On peut remarquer que depuis le dernier quart du dix-neuvième siècle a débuté un processus actif de globalisation qui ne sest jamais arrêté jusquà ce jour. Conscient que la Bretagne des légendes et des mythes était en train de disparaître à jamais, Charles Le Goffic sest fixé pour but de transcrire et de sauver ce qui pouvait lêtre. Suite à ses convictions conservatrices, régionalistes et chrétiennes, il collabore avec Charles Maurras dans lAction française et fonde en 1886 avec ses amis Maurice Barrés et Raymond de La Tailhède la revue littéraire Les Chroniques.
Par la force de ses traditions familiales et son attachement à la Bretagne historique, il demeure fidèle au catholicisme. Les Bretons, quand ils se sont convertis au Christianisme, ont conservé une bonne part de leur riche héritage celte de croyances et de légendes. Le poème Membra Dei laisse deviner les traces dune narrativité propre aux bardes celtes tout en demeurant assez fidèle au contenu du douzième chapitre de la première épître aux Corinthiens de lapôtre Paul. Dans le poème, Dieu descend de son trône dans notre misérable sphère humaine et sy dilue de façon mystique.
Où vous croyez quil trône à la droite du Père,
Lui plaît moins que notre humble et misérable sphère.
Et, dans limmensité de la misère humaine,
Son corps divin, que vous cherchez au firmament,
Cest comme dilué mystérieusement.
Dans son discours de réception à lAcadémie française du 4 juin 1931, Le Goffic pose des questions essentielles qui demeurent dune brûlante actualité.
«La science, «la nouvelle Idole», va-t-elle détrôner Dieu et, désormais, le monde sera-t-il sans mystère ou si les ténèbres spirituelles doivent nous presser de plus en plus? Et déjà Berthelot entrevoyait un stade de civilisation où manger, aimer, penser aussi sans doute, quand nous aurons lécole unique se traiteraient chimiquement et perdraient toute leur importance».
Le nouvel académicien achève son long discours par une dernière interrogation rhétorique avec une réponse possible en latin: « solutio totius difficultatis Christus, «Le Christ qui résout toutes les difficultés»?
Charles Le Goffic na pas encore trente ans quand Anatole France, lauréat dun prix Nobel qui navait encore rien perdu de son prestige, lui consacre un grand article. Il souligne fort justement le rôle quà joué la famille du jeune poète dans ses préférences littéraires. Son père, Jean-François Le Goffic, était imprimeur et éditeur. Dans sa petite imprimerie de Lannion, il éditait et imprimait les textes des bardes, leurs chants, leurs poèmes, leurs légendes, en continuité avec les traditions celtes et même avec celles des druides qui avaient vécu sur ces terres avant la venue des Celtes. Anatole France cite Charles Maurras qui décrit ainsi les réunions annuelles dans la maison de Le Goffic «M. Charles Maurras nous apprend que laïques et clercs, mendiants et lettrés, tous les jouglars du pays se réunissaient une fois lan dans la maison de Jean-François à un banquet ou lon chantait toute la nuit sur vingt tonneaux de cidre défoncés». Et il conclut: «Conçu dans ces fêtes de poésie populaire, Charles Le Goffic naquit poète».
Selon Anatole France, lart poétique de Le Goffic «est rare, pur, achevé». Dans son article, il cite également Paul Bourget: «Ces vers donnent une impression unique de grâce triste et souffrante. Cela est à la fois très simple et très savant Il ny a que Gabriel Vicaire et lui à toucher certaines cordes de cet archet-là, celui dun ménétrier de campagne qui serait un grand violoniste aussi».
Le Goffic a payé son tribut au romantisme, précoce et tardif, qui a ouvert la voie au mysticisme, au personnalisme et à lindividualisme. Le Parnasse la attiré en tant que maître de la composition poétique, auteur dun traité de versification, par la grande attention quil prêtait aux problèmes de forme. André Chénier, Théodore de Banville, Paul Verlaine, poètes quil admirait tout particulièrement, ont exercé sur lui une influence certaine. Et Paul Bourget a raison de souligner les liens particuliers qui le liaient à Gabriel Vicaire. Plus quune camaraderie, il partageaient la même compréhension profonde de ce que devait être selon eux la poésie de leur temps. Rapprocher la langue poétique du parler populaire qui navait pas perdu son substrat historique, ses légendes, son folklore.
Dans son article Gabriel Vicaire ou la plaisante histoire dun Bressan devenu Breton, il cite une lettre de Vicaire que celui-ci lui a adressée: «Mon rêve serait dintroduire dans notre poésie française une forte dose de poésie populaire. Je vois que cette idée fait son chemin: je nai cessé de la répandre de mon mieux».
Dans cet article il définit le développement de la poésie de Vicaire en des termes quon peut, cent ans plus tard, appliquer à Le Goffic lui-même.
«Le vers de Gabriel Vicaire, déjà si souple et si libre, se fait plus musical encore, mêlant les rythmes, se jouant aux allitérations et aux assonances internes et quen même temps que son sensualisme saffine une émotion plus pénétrante, une délicieuse fleur de rêve séveille en lui».
Cest tout particulièrement dans ses poèmes damour qui occupent une place dhonneur dans son écriture ses œuvres complètes commencent par un cycle intitulé Amour Breton quon perçoit la façon dont il construit sa dépiction, le principe de description visuelle de sa poétique. Le Goffic nutilise pratiquement jamais les objets qui soffrent directement à son regard. Dans sa mémoire, comme sur la palette dun peintre sorganisent des images nées dune impulsion spirituelle, que son inspiration redessine après les avoir fixées, recompose avec dautres pour créer ses vers. Ce qui explique lattention particulière quil prête au folklore populaire et plus généralement à tout ce qui constitue la mémoire dune société. La mémoire est la matière quil travaille. Prenons par exemple cette petite pièce, comme la nomme fort justement Anatole France.
Il neige à nos vitres glacées;
Mais viens! Durant les mauvais mois,
Les âmes des fleurs trépassées
Habitent encore dans les bois.
Lair simprègne dodeurs plus douces.
Voici le lilas et voici,
Avec la silène des mousses,
La fleur dolente du souci.
Et de toutes ces fleurs ensemble,
Par je ne sais quels lents accords,
Émane un parfum qui ressemble
Au parfum secret de ton corps.
Comme se mêlent ici et coexistent de façon mnémique les images tactiles, auditives, visuelles et olfactives!
Marcel de Corte dans son étude L'essence de la poésie souligne que la poésie transcende lexistence et témoigne de la présence dune mystique qui sélève au-dessus de la nature.
Anatole France venait rarement en Bretagne, mais en entendant les chants de Le Goffic il écrivait revoir les rives solitaires, lor des plaines, les chênes enracinés dans le granit, la sombre verdure ombrageant les rivières et les routes bordées de genêts, et au pied des calvaires les paysannes sévères comme des nonnes.
Boris Lejeune,
France
Шарль Ле Гоффик: чарующая поэзия
Поэт Шарль Ле Гоффик родился 4 июля 1863 года в бретонском городе Ланьон. Во второй половине девятнадцатого века этот небольшой город на морском побережье с проживающими в нем семью тысячами жителей продолжал сохранять средневековой характер, как, впрочем, и вся Бретань. Длинные каменные лестницы поднимались к храму тамплиеров. Вдоль них ютились, этаж за этажом, небольшие дома. Эрнест Ренан описывает узкие улочки, веселый нрав жителей, их невозмутимость.