- Alors, cétait bien ou quoi ? demanda Alfie.
- Non, de la merde, en fait, se sentant soudainement au bord des larmes, une chaleur lui montant derrière les yeux. Le directeur est un tyran. Un frimeur. Il veut me briser, comme un cheval. Pour que je fasse simplement ce quil veut.
- Tu aimerais quun grand homme fort se pointe et le tabasse ?
- Ce serait bien !
- Je vais voir si je peux en trouver un
Mai fit un petit sourire cétait exactement ce quil dirait. Intéressant quAlfie puisse être aussi dynamique et physique derrière son arsenal, mais si froid dans la vie réelle. Peut-être que cest de là quil la eu, toute cette frustration et cette colère.
- Et il y a autre chose, dit-elle. Bientôt, tu pourrais en lire beaucoup sur moi dans les journaux.
- Le raffut sur Deannah.
- Bien deviné.
- Facile. Joe men a parlé. Il ta vu lire le livre lorsque tu es venu à cette répétition de lautre jour. Il a demandé si tu étais intéressée. Jai fait des recherches sur le net hier soir.
- Alors, quest-ce que ten penses ? Est-ce je devrais tenter ma chance ?
- Cest tout à fait toi, non ? Une fille ordinaire qui devient une princesse à temps partiel.
Mai se mit à rire.
- Enfoiré. De toute manière, je nai pas besoin de ta permission. Je leur ai déjà dit que je suis dans la course.
- Ça ressemble un peu à un concours de beauté, pourtant. Est-ce ça que tu veux ?
- On dirait que oui puisque jai accepté. Quen penses-tu ?
- Hé, cest ta carrière. Tu as décidé de jouer la pièce. Tu as décidé de tourner ce film pourri.
- On ne sait pas encore si cest pourri. Ça dépendra des effets spéciaux. Une jeune fille doit commencer quelque part.
Mai naimait pas la voie que la conversation prenait. Alfie semblait inutilement agressif ce matin, comme sil libérait son stress intérieur petit-à-petit et quil testait sa fermeté.
- Tu vas bien ? demanda-t-elle.
- Oui, pourquoi ?
- Je nsais pas. Tu as lair de mauvaise humeur.
- Tu serais de mauvaise humeur si tu répétais dix chansons pendant trois semaines sans interruption. Jai une douleur horrible aux bras et je narrive plus à sentir mes doigts. Jai limpression que ceux sont des bananes qui ont été suturées au bout de mes poignets par un chirurgien cruel de laboratoire expérimental.
Comme cela arrivait souvent au cours de ses répétitions, Mai se retrouva à se demander ce quelle ressentait. Si elle voulait exprimer le sentiment de colère et de frustration légère qui sétait engouffré dans la partie supérieure de sa poitrine, que devait-elle faire maintenant ? Pourrait-elle regarder Alfie dans les yeux ? Aimerait-elle le toucher ? Lui donner un coup de poing ? Lembrasser ?
- Tu es encore là ? demanda-t-il dune voix plus dure.
Elle revint au présent, ressentit un froid sur sa joue dû au contact de lécran en verre de son téléphone contre son oreille.
- Je réfléchissais, dit-elle. Je vais essayer de passer demain. Jamènerai peut-être Stefan. Il peut prétendre être mon petit copain, te laissant le champ libre avec les fans de seize ans.
- Cest ceux qui ont la vingtaine qui me causent le plus de problèmes. Elles peuvent riposter.
Mai sourit à nouveau au téléphone.
- Ten fais pas pour la pièce, dit Alfie la voix un peu plus douce. Tu es bonne, tu le sais. Laisse Pedro être un con. Quest-ce quil va faire te renvoyer ? Je ne crois pas.
- Il la déjà fait avant, apparemment. Aucun respect pour les réputations.
- Alors il aura à affronter ma colère de batteur.
- Un spectacle à ne pas manquer !
- Cest le bruit que je fais qui les effraie, en vrai.
Pedro était passé au deuxième acte, où le grand symbole de la pièce faisait son apparition un oiseau abattu à mort par lun des personnages et offert au personnage joué par Mai. En lieu du vrai accessoire, Pedro avait apporté un singe empaillé, qui avait fait mourir tout le monde de rires quand ils étudièrent son symbolisme potentiel dans la pièce. Il se laissa entrainer par les rires pendant un moment, mais très vite il en eut marre et se mit à leur crier dessus.
Vers lheure du déjeuner, ils continuèrent lacte dans une série de scènes réticentes. Plusieurs personnages avaient de long discours, obligeant Pedro à leur donner ses propres lignes de lecture, et les acteurs non impliqués soupiraient de soulagement et se repliaient dans les chaises bordant les murs. Mai se demandait quand cela irait mieux.
À la pause-déjeuner, elle aperçut une veste sport beige familière au fond du couloir. Eric était entré sans faire de bruit et, elle réalisa, quil était probablement ici depuis environ une demi-heure, pour avoir une idée comment ça allait.
Elle lui fit signe des yeux pour quil la rejoigne à lextérieur, puis elle récupéra sa boîte-déjeuner et se dirigea vers la porte de sortie de secours à proximité dune pile de tréteaux.
Elle sassit à côté de lui sur le mur de laire de jeux de lécole et redevint soudain une écolière à Northampton, généralement isolée des autres filles de son âge les regardant parler des garçons et de musique. Elles mourraient probablement de se retrouver à sa place aujourdhui sachant quelle avait un petit copain faisant partie dune bande.
- Maman ta appelé, alors.
Des fourgonnettes blanches remplies de constructeurs, de décorateurs et délectriciens vrombirent sur la route. Eric attendit que ce soit calme.
- Tu ne penses pas que je dois prendre de tes nouvelles de temps en temps ? Voir si tu vas bien ? Tu as si peu confiance en moi, ma petite.
Elle lui offrit un sandwich quil refusa. Comme dhabitude, il avait besoin de se couper les cheveux et se raser ne serait pas trop lui en demander non plus. Quand elle se sentait généreuse, elle aimait à penser quil était trop occupé à prendre soin de ses clients pour avoir le temps de prendre soin de sa personne. Lorsquelle était déprimée, elle pensait quil nétait quun souillon.
- Ça tarrive de cirer ces chaussures ? Elles ont lair dêtre exactement dans le même état que le jour où on est tous allés à cette ferme à Amberside. Tu te rappelles ?
Eric haussa les épaules. Il ne se sentait jamais assez embarrassé pour changer son apparence.
- Il semblerait que tu as pris une autre décision sans me consulter, dit-il. Je ne crois pas que létat de mes chaussures soit aussi important que la nature précaire de notre relation professionnelle.
Mai renifla dans son sandwich. À chaque fois quEric se lançait dans une discussion délicate, son langage devenait un labyrinthe, comme pour éviter que le vrai message passe par lutilisation judicieuse de syllabes.
- Une amie hier ma rappelé que tu étais mon agent, pas mon patron, dit-elle.
- Cest vrai, cest vrai, et je donnerai une raclé à quiconque dirait le contraire. Mais il y a des choses quon doit considérer stratégiquement. Après tout, ta carrière nest pas la même chose que de prendre rendez-vous chez le coiffeur. Cest un engagement à long-terme, et chaque décision, chaque tournant dans le dit engagement doit être pris en considération à partir des différents angles.
- Comme un diamant.
- Si tu veux, oui. Comme un diamant.
- Ou un quartz.