Fran avait grandi à New York. Ses montagnes étaient des gratte-ciels. Ses champs, de lasphalte. Il ny avait là-bas rien de comparable à la beauté majestueuse de la nature sélevant jusquaux cieux.
LAfghanistan lui avait fait le même effet. Dans ce pays supposément désertique se trouvaient des montagnes escarpées et des vallées profondes. La neige couronnait les pics aux pentes abruptes. Les vallées étaient fertiles, permettant agriculture et élevage.
Il avait été choqué de trouver de la beauté, de la générosité dans cet endroit décrit comme ignoble. Mais tout le monde ne tenait pas dans ce portrait. Les gens bien qui composaient ce peuple essayaient de se faire discrets. La plupart du temps, cependant, ils ny parvenaient pas, et le pinceau de la violence venait colorer leurs vies.
Fran tourna à lentrée du ranch. Quand son chef descadron avait acheté le ranch, les soldats lavaient bien vite renommé le ranch du Cœur Violet. Les luxuriantes feuilles violettes de la campanule ressemblaient à ce symbole décerné aux combattants blessés par lennemi. Chacun des hommes de son escadron avait été blessé et, maintenant quils étaient ici pour se soigner, un nouveau coup leur était infligé.
Fran et les hommes de son escadron devaient se marier dici quelques semaines sils voulaient rester au ranch qui avait commencé à guérir leurs blessures et leur avait rendu une raison de vivre. Le problème, cest que peu de femmes accepteraient dêtre enchaînées pour le reste de leurs jours à un groupe de guerriers blessés. Surtout si lun dentre eux ne pouvait même pas leur donner son cœur parce quil pouvait cesser de battre à tout moment.
Fran devrait donc bientôt quitter le ranch. Mais pas sans sassurer que tous les autres étaient bien installés. Puisque cétait sa faute sils avaient tous perdu une part deux-mêmes, il leur devait bien ça. Il ferait en sorte quils profitent tous de la sécurité quils méritaient. Et, qui sait, peut-être trouveraient-ils même lamour.
Cétait un joli rêve. Un rêve quil avait un jour eu. Mais dont il savait quil ne deviendrait jamais réalité maintenant que son torse cachait une bombe à retardement.
CHAPITRE 2
Éva inspira profondément pour se calmer. Pourtant, ses doigts tremblaient toujours. Elle leva le stylo du bout de papier, secoua la main et réessaya.
Elle refit les calculs mentalement. Elle navait pas le droit à lerreur au moment décrire les chiffres et le montant équivalent en mots. Cétait un gros chèque. Le plus gros quelle ait écrit de toute sa vie.
Après avoir vérifié trois fois, puis trois fois de plus, elle reposa le stylo. Il séloigna delle en roulant, mais elle le laissa faire. Elle navait plus besoin de son encre. Largent était dépensé, et son compte en banque était désormais vide. Mais cela en valait la peine.
Elle détacha le chèque du carnet avec précaution. Il portait le numéro un. Cétait la première fois quelle en écrivait un. Elle avait toujours payé en liquide. Cétait le premier compte-chèques avec lequel elle allait écrire des chèques et pas simplement les encaisser. Et elle venait décrire le premier.
Éva le tendit à la femme au regard doux et au sourire patient assise derrière le comptoir. Celle-ci vérifia le chèque.
Éva retint sa respiration. Elle ne pouvait pas se permettre la moindre erreur. Elle navait pas les moyens de mettre un centime de plus dans ce chèque.
« Tout a lair en ordre, ma grande. »
Les épaules dÉva se détendirent visiblement en entendant cette confirmation.
« Voilà votre emploi du temps. »
La responsable des admissions tendit à Éva une feuille A5 sur laquelle le numéro des salles, lintitulé des cours et le nom des professeurs étaient imprimés en lignes claires.
« Vous êtes attendue en cours lundi, madame Lopez.
Oui, répondit Éva dans un souffle. Oui, je serai là.
Profite bien de tes cours, ma puce.
Vous aussi. Enfin, merci. Passez une bonne journée. »
Éva séloigna du guichet des inscriptions, son emploi du temps serré contre sa poitrine. Derrière elle, une longue file détudiants patientait pour sinscrire. Ils avaient lair ennuyés et fatigués. Aucun dentre eux ne semblait empli du même enthousiasme quelle. Probablement parce que la plupart bénéficiaient de bourses ou daides financières, ou avaient des parents qui pouvaient payer leur scolarité.
Mais pas Éva. Elle avait mérité jusquau moindre centime quelle venait de verser. Cela lui avait pris trois ans, mais elle avait réussi. Elle avait assez économisé pour payer son premier semestre à luniversité. Pas à distance : elle aurait cours sur un véritable campus. Et pas seulement quelques cours du soir. Elle était inscrite à une université détat.
Elle ne pensait pas ça par snobisme. Enfin, si, un peu. Pour la première fois de sa vie, elle faisait partie de lélite. Elle aurait juste aimé que ses parents puissent la voir. Sans savoir comment, elle sentait quils lobservaient de là-haut, leurs regards emplis de fierté.
Elle y était arrivée. Elle avait réalisé son rêve. Ses parents le lui avaient dit dès son premier jour de maternelle : léducation était la clef de ses rêves, la clef de tous les possibles.