Diego Maenza - Architecture De La Prière стр 4.

Шрифт
Фон

*

Une explosion de bruits secoue le marché. Les cris imprègnent latmosphère encombrée de commerçants occupés à négocier les fruits, les légumes, les céréales. Lépicerie en général donne une touche deuphorie typique des endroits bondés de gens ordinaires. Je vais dans le coin du poisson et je demande mon ravitaillement habituel du lundi. Père, le voici ! me dit Leandro, le commerçant qui me connaît depuis des années, et il enveloppe sans ménagement le poisson encore épileptique dans des feuilles de vieux journaux. En quittant le marché, jentends les sirènes de police et leurs hurlements plaintifs, rejoindre les indiscrets qui se pressent sur les lieux de la scène pour satisfaire leur curiosité et juger de leurs propres yeux. En passant près de la rue de léchauffourée, je peux voir les policiers enfouir la brute querelleuse finalement menottée dans la patrouille, non sans se heurter à une certaine résistance. Je ne retrouve aucune trace du jeune homme intrépide. Je méloigne et jimagine encore une fois une conclusion de grande envergure à lhistoire de léchauffourée. Limage du garçon me tombe dessus. Le souvenir du son de sa voix palpite dans mes tympans comme un orphéon danges. Je réalise que le blasphème dépasse les jurons du grand homme aux tatouages. Je récite quelques prières sur le chemin du retour.

*

Mme Salomé armée de son balai défile devant moi sans aucune inquiétude, toujours gardée par Tomás. Elle sest habituée à ma présence sur le canapé. Avec ma prosternation coutumière, je plonge dans des transes qui me procurent des sensations insoupçonnables. Jai parfois conscience quen réalité je me suis habitué à lombre de son anatomie qui se déplace dans la pièce. Je me redresse péniblement et je me dirige vers ma chambre.

*

La musique exalte ma sensibilité et son alchimie mélodique laisse sur moi une empreinte indélébile. Je ferme les yeux. Je me laisse transporter vers un autre monde plus agréable, un lieu marqué par des joies infinies, un paradis fait de toutes fleurs, des tulipes, des dahlias, des agérates, des chrysanthèmes, des orchidées, des lys Sy perdre représente une véritable bénédiction ! Ce jardin offre une échappatoire unique au brouhaha incessant provoqué par mes pensées.

*

Un râle secoue le corps du jeune homme. La force qui comprime et libère violemment le diaphragme émane des poumons. Elle fait irruption avec virulence. Elle glisse rugueuse sur sa langue. Elle sillonne les cordes vocales qui transforment limpulsion en un son rauque et trouble. La toux se matérialise dans des expectorations qui traversent la gorge et se terminent par un voyage par la fenêtre côté jardin. Le garçon tousse longuement. Les rares pauses entre les quintes naccordent guère de répit aux brûlures de ses amygdales. Depuis la cour, les aboiements impétueux de Tomás inondent toute la maison. Sa vigie a visiblement abouti, il a sûrement détecté un insecte insaisissable, ou simplement ses vieux sens subissent le fruit de pure fabulation.

*

Les sonneries récurrentes brisent le silence. Jentends derrière moi les chaussures de Mme Salomé. Elles glissent à la hâte sur le carrelage et sarrêtent à destination pour laisser place au bruit plastique du combiné quelle décroche. Le tintement des ustensiles de table remonte aux oreilles de Tomás. Ses organes fatigués restent plus éveillés que son odorat presque perdu. Jexagère, les effluves de poisson lont sûrement guidé jusquà la table. Le garçon se repose. Je mâche soigneusement la nourriture. La douceur salée ravit mon palais. Une arête éclate bruyamment entre mes dents. Mme Salomé enlève la vaisselle. Elle minforme, de façon très formelle, quaujourdhui, elle doit partir plus tôt en raison dun accident domestique. Elle doit sabsenter pendant quelques jours. Jacquiesce en guise de confirmation.

*

Après avoir examiné le monde effondré sous toutes ses facettes jouvre le triptyque. Mon regard se porte sur le côté droit enrichi dillustrations complexes. Lenfer serait-il un endroit chargé de vacarme ? Je me le demande. Peut-être est-ce un hurlement infini qui fait éclater le cerveau et les entrailles pour nous inciter ensuite à récupérer nos débris ? Ou tous ces instruments de musique exposés dans la peinture manqueraient-ils vraiment de sons et de silence infernal, le destin des hérétiques ? Lenfer ne se matérialise pas par le doux hurlement du silence. Cest sûr ! Cest le torrent de crépitements dévastateurs qui fait plier lâme. Pour cette raison, ce condamné est incrusté dans les cordes de la harpe et cet autre infortuné est sacrifié dans le luth géant. Ensuite, je pense à ma sentence. Jexamine ce triste sodomite empalé par une flûte comme linitiateur dune longue lignée de grabataires. Cest comme si jécoutais son tourment, comme si dune manière énigmatique sa douleur fictive se transfigurait en complicité dans mon intestin et me rappelait toute latrocité du péché. Je contemple lhomme étreint par un cochon vêtu dun voile de religieuse. Cest comme si lon mavait initié au tableau, car je flaire la pestilence des soupirs obscènes constamment près de moi, à lintérieur de moi. Je ferme de toute urgence les portes de ce terrible monde spirituel. Limage du monde terrestre réapparaît, un paysage qui me semble plus odieux encore. Monde, les péchés tenvahissent. Dieu, protège-nous. Dieu, sauve-moi.

Je me prépare pour la messe.

*

Je vous salue Marie très pure, conçue sans péché. Jai péché, père. Parle-moi de tes péchés, ma fille. Des pensées de luxure massaillent. Hier soir, je lai vu presque nu et je désirais son corps, je le voulais avec intensité et ardeur. Est-ce vraiment mal, père ?

*

Le prêtre écoute et réprime un soupir complice. Cest la même histoire pour chaque croyant, partiellement défigurée par une légère nuance. Cest le désir. Le désir peccamineux et odieux. Le Père Misael, à la fin de chaque rite de nature analogue, termine avec la formule de rigueur. Il la manifeste comme en ce moment, avec les intonations les plus normales, après avoir écouté tout lattirail intime quimplique une confession de lesprit. Que Dieu, le Père miséricordieux, qui a réconcilié le monde avec lui-même par la mort et la résurrection de son Fils, Dieu qui a répandu lEsprit Saint pour la rémission des péchés, taccorde le pardon et la paix à travers le mystère de lÉglise. Et je tabsous de tes péchés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Dans le confessionnal, un amen retentit, il est chargé de soulagement.

*

Je me tiens derrière la tête de lit et je secoue le flacon deau de Cologne tubéreuse avec laquelle jhumidifie mes mains. Joins la surface de son visage et je pense percevoir un battement des paupières immédiatement étouffé par la force fébrile de la fièvre. Le garçon est brûlant. Je brûle aussi, pour des raisons différentes. Dors, mon fils, je prends soin de toi. Je suis sur le point de mendormir, je me lève et je constate que les médicaments ont atténué linfection. Je me frotte les mains une fois de plus et jeffleure ses pieds avec le baume. Je méloigne, quelque peu soulagé après ma visite.

*

Louée soit leau bénite de la tubéreuse quils ont ointe sur ton corps. Repose-toi, demain tu te lèveras et tu marcheras.

*

Je délire, jai vu de près le visage de la bête et cela ne peut arriver que dans mes rêves. Cest la fièvre. Sa bave inonde mon corps. Jécoute son expiration et je nai pas la force de crier. Je réunis juste assez de courage pour lui cracher au visage, même pas avec de la salive, mais juste avec un air de dégoût et dhorreur. Je pleure. Il est normal de pleurer dans les moments de terreur. Jimplore le ciel. Il est naturel dimplorer le ciel, pour un croyant. Jette la bête en enfer, Seigneur. Protège-moi. Prends soin de moi, Seigneur. Sois mon refuge. Toi, Seigneur, tu es mon berger. Avec toi je ne manquerai de rien. Rien ni personne ne peut me blesser.

Ваша оценка очень важна

0
Шрифт
Фон

Помогите Вашим друзьям узнать о библиотеке

Скачать книгу

Если нет возможности читать онлайн, скачайте книгу файлом для электронной книжки и читайте офлайн.

fb2.zip txt txt.zip rtf.zip a4.pdf a6.pdf mobi.prc epub ios.epub fb3

Популярные книги автора