On navait vraiment pas besoin de ça!
Si elle sortait de là avec lui, elle courrait le risque quun fan curieux les immortalise ensemble et elle se retrouverait sur les réseaux sociaux le jour suivant, avec de nombreuses allusions à une éventuelle liaison. Peut-être que Johnny y croirait; cétait la dernière chose quelle voulait.
Elle réfléchit quelques secondes; puis, poussée par le désir de fuir, elle se joignit à un petit groupe de personnes qui prenaient la sortie. Avant de refermer la porte en verre qui donnait sur l'extérieur, elle se tourna vers Sonny, qui la regardait maintenant dun air perdu, avec dans la main le feutre quil avait utilisé pour les autographes.
La petite brune à côté de lui réclama son attention en lui montrant la surface du patin où il devait apposer sa signature, mais il lignora: il continuait à fixer Loreley.
Elle hocha très légèrement la tête.
Désolée, Sonny! lui dit-elle en remuant à peine les lèvres et en écartant les bras. On se verra une autre fois. Elle sortit ensuite dun pas rapide et ne ralentit que lorsquelle fut à bonne distance du bâtiment bleu et rouge.
Elle marcha le long de la jetée et sarrêta dans le petit parc jouxtant le centre sportif, l'Hudson River Park, bien que la journée ne se prête pas vraiment à une promenade: de gros nuages couvraient le ciel, annonçant une averse. Elle sentait déjà lhumidité dans lair, mais elle se fichait dêtre mouillée.
Elle était encore déboussolée par sa rencontre avec Sonny. Et continuait à se répéter quelle devait oublier ce quil sétait passé et poursuivre sa vie comme avant, mais elle ny arrivait pas.
Dans tous les cas, elle tenait trop à Johnny pour risquer de le perdre à cause dune stupide frasque de poivrote: elle devait y remédier avant quil ne soit trop tard. Mais que pouvait-elle faire?
Elle sassit sur un banc pour reposer ses jambes. Elle sourit en secouant la tête: après son comportement, Sonny allait probablement se tenir à l'écart. Elle avait mis de la bonne volonté à éclaircir la situation, mais le destin avait décidé que ce nétait pas encore le bon moment.
Loreley franchit le seuil de la maison à six heures et le silence absolu l'accueillit. Sur le canapé dangle, où elle trouvait généralement Johnny étendu le soir, les coussins étaient à leur place. Elle lappela à voix haute. Ne recevant aucune réponse, elle alla contrôler quil ne travaillait pas dans son bureau: chaque fois quil senfermait là, il sisolait du reste du monde. Elle alluma, mais tout était comme il lavait laissé le matin, jusquau sweat-shirt jeté sur le bras du fauteuil. Elle trouva la chambre à coucher vide également.
Il nétait pas encore rentré.
Elle ramassa une paire de chaussettes noires de Johnny sur le sol et les jeta dans le panier de linge sale: il ne perdrait jamais sa mauvaise habitude de les laisser traîner partout dans la pièce.
Après avoir enfilé un tablier, elle alla à la cuisine pour tenter de préparer un dîner quil pourrait considérer comme tel. Elle sortit du poisson du frigo et enleva les écailles sous leau courante afin quelles ne se répandent pas partout, comme le lui avait appris Mira, sa domestique, qui était chez ses parents ce week-end. Loreley voulait profiter de son absence pour passer une soirée seule avec son compagnon, comme au début de leur relation. Elle pela quelques pommes de terre, les coupa en cubes et les mit dans un plat avec le poisson, espérant ne pas en faire de la purée ou du charbon de bois.
Après avoir tout enfourné, elle prit une douche rapide, mit de la lingerie en dentelle et des bas auto-fixants, et revêtit une courte robe bleue, à la coupe diagonale. Elle coiffa ses cheveux vers larrière, sur la nuque, et les coinça dans une barrette ouvragée. Elle termina par une légère touche de maquillage.
Elle dressa soigneusement la table, plaçant un vase en verre et une bougie allumée au centre.
Le temps passait, mais pas l'ombre dun Johnny. Elle l'attendit patiemment. Le dîner refroidissait et la bougie avait fondu de moitié.
Un message arriva sur son téléphone à huit heures:
Ne mattends pas, je mange dehors avec Ethan.
Elle soupira: dhabitude, il sortait avec Ethan après le dîner, une fois par semaine pour ne pas perdre leur amitié, comme il disait pour justifier ses soirées avec lui. Elle espéra que cette exception ne deviendrait pas une constante. Il navait même pas perdu son temps à lui téléphoner avant quelle ne se mette aux fourneaux, chose qui lui pesait comme il le savait. Elle devait se résigner à se mettre à table seule. Elle se sentit déçue: pour une fois quelle avait l'impression davoir préparé un plat correct, Johnny nétait pas là pour lapprécier.
Loreley ne perdit pas de temps à débarrasser: elle mit le poisson et les pommes de terre dans un récipient, quelle rangea dans le frigo, et alla se coucher. Elle était vraiment fatiguée et devait encore récupérer le sommeil perdu la nuit précédente pour étudier laffaire Wallace.
Le matin qui suivit, elle vit Johnny à côté delle, qui dormait en ronflant: cela lui arrivait quand il buvait trop. Étrange quelle ne lait pas entendu rentrer.
Qui sait à quelle heure il était revenu!
Elle regarda le réveil: neuf heures et demie. Elle repoussa les couvertures et entendit Johnny marmonner un juron avant de se tourner de lautre côté: il ne travaillait pas le samedi et sil voulait dormir, il était libre de le faire.
Loreley enfila sa robe de chambre bleue en épais satin et, après sêtre rafraîchie le visage, alla à la cuisine. Elle se sentait ralentie dans ses mouvements ce matin, comme si elle était encore sous leffet du sommeil. Elle avait pourtant beaucoup dormi cette nuit. Elle avait besoin dune bonne dose de café pour se réveiller complètement.
Elle allait le verser dans la tasse quand elle sentit une présence derrière elle. Elle se retourna et vit Johnny; ses cheveux courts étaient dressés sur lavant de son crâne et le blanc de ses yeux était rougi, entourés de cernes bien visibles qui révélaient une insomnie.
«Tu men verses un peu aussi? lui demanda-t-il en se grattant une joue à la barbe naissante.
Je ne pensais pas que tu te lèverais maintenant.»
Elle lentendit murmurer quelque chose dincompréhensible mais évita de lui faire répéter. Il se réveillait parfois de mauvaise humeur et ce devait être le cas ce matin, parce quau-delà de son expression sérieuse, il ne lui avait même pas donné le bref et coutumier bisou de bonjour.
Johnny but son café debout et posa brutalement la tasse sur la table.
«Quest-ce que tu veux manger? lui demanda-t-elle en le regardant, perplexe.
Je nai pas faim.
Tu peux me dire ce que tu as ce matin? lui demanda-t-elle en croisant les bras et en se plantant devant lui.
Problèmes de boulot.
Je peux savoir?
Je sais que tu ne me laisseras pas tranquille tant que je ne te l'aurai pas dit. Il se gratta la nuque. Je dois travailler sur un projet, mais pour le faire au mieux, je dois voir lendroit en personne.
Et où est le problème?
Il émit un bruit qui ressemblait à un rire sarcastique.
Où est le problème, répéta-t-il irrité. Le problème est que cet endroit se trouve à Paris.
Loreley le regarda, alarmée.
Paris? Ne me dis pas que tu dois de nouveau partir!
Ce nest pas certain, mais il y a beaucoup de probabilités que je doive y aller. Et ça ne me va pas du tout de refaire un voyage aussi rapidement après la dernière fois.