Chacune de ces femmes sinclina mains jointes devant le Qāid et ce-lui-ci répondit
Je ferais envoyer des dons pour récompenser la beauté de cette mai-son. en posant plus dun regard sur les yeux de Nadira.
Les plus beaux tapis et les coussins les plus prestigieux avaient été pré-parés en vitesse sur le pavement de la plus grande pièce, pour que les hommes puissent sasseoir et converser entre eux. Dans les cuisines même le tannūr18 avait été allumé pour cuire le pain tandis que les jeunes couraient à la source la plus proche pour porter de leau fraîche et courante aux invités. Ils sassirent tout autour de la pièce, tandis que les femmes de la maison invitaient Maimuna à sunir à eux de lautre côté, derrière, sous une espèce de hangar délimité par une haie formée de roses.
Une rangée de femmes parmi les domestiques commencèrent à porter la nourriture, les fruits, mais aussi les pâtisseries au miel, le pain, les dates à peine cueillis et les jus de grenade. A ce point, le Vizir, se lissant la barbe à létrange forme pointue commença ses réflexions et ses questions tech-niques sur la gestion du village :
Le lieu est agréable et les personnes sont dévouées à leur Qāid ; tout le mérite est pour vous ?
Il va à chaque habitant du Raba et au joug agréable que notre aimé Qāid leur réserve.
Quels sont les nombres de la conscription du giund19 ? Quarante et un hommes, déjà armés.
Les dhimmi te sont soumis ? Il y a une seule famille de chrétiens. des paysans parmi les plus paisibles.
Une seule ? Ailleurs, dans le iqlīm20 de Mazara, les chrétiens sont re-groupés en communautés, bien souvent modestes.
Les maraudeurs avez-vous subi des attaques ? demanda à ce point Ali ibn al-Hawwās.
Nous subissons des attaques depuis le temps de mon père. La dernière fut quand Jirjis Maniakis se déchaîna sur la côte orientale, il y a vingt ans. Pourquoi me le demandes-tu mon Seigneur ? Les sujets de Mohammed ibn al-Thumna, mon beau-frère, ne sont pas si doux que les habitants de ce village. et le Raba est dans un avant-poste fragile aux pieds de Qasr Yanna, où il réside.
Nous devons nous préparer à quelque chose, cher Qāid ?
Je te demande seulement dorganiser la garde et un feu de signalisation prêt pour lancer lalarme à nos sentinelles.
Sous le toit, en plein air, Jala en attendant entretenait son illustre invité grâce au même traitement réservé à son frère. Assis sur des escabeaux ils conversaient de frivolités et banalités.
Quand laccouchement est-il prévu ? demanda Maimuna à Ghadda en fixant labdomen.
Dans trois mois. Inshallah21
et toi. Nadira. cest vraiment inhabituel dêtre encore dans la maison de ta mère. Cest peut-être la petite taille de ce village qui est la cause pour laquelle tu nas pas de prétendant ? .
A dire vrai, ma Dame, jai beaucoup de prétendants. Mais Umar re-tient quils ne sont pas dignes.
de ta beauté ? Ton frère a raison.
Je nai rien que ta seule moitié nait pas
Alors Maimuna découvrit ses poignets en retournant les manches ; des cicatrices à peine guéries mais encore pleine de rougeurs apparurent.
Mais toi, tu nas pas celles que jai
Nadira et les autres la regardèrent avec perplexité, ils pensèrent immédiatement que la sœur du Qāid sétait coupé les veines. Mais Maimuna expliqua :
Ne pensez surtout pas que je suis une pêcheuse ; cest quelquun dautre qui ma obligée à me tailler les poignets.
Qui, ma Dame ? demanda Nadira, presque avec les larmes aux yeux, ce jour là elle portait une petite peinture en forme de palmier sur le menton, un travail minutieux fait avec de lhenné22.
Mon mari, Mohammed ibn al-Thumma, Qāid de Catane et Syracuse.»
Pourquoi, ma Dame ? Que lui as-tu fait ? demanda Nadira en se penchant vers lavant et en lui prenant les mains.
Il existe un motif pour lequel une femme doit être traitée de la sorte ? Nadira donc laissa la prise, en entendant la réponse qui ressemblait presque à un reproche.
Jappartenais à ibn Meklāti, déjà seigneur de Catane, avec lequel jétais mariée, mais Mohammed lui prit la vie et lui vola sa femme.
Et comme ci linfamie dêtre mariée au meurtrier de mon premier mari ne suffisait pas, Mohammed voulu moffrir ce cadeau de me tailler les poignets avec lobjectif de mépuiser. En plus, vous savez comment mon frère a été fait esclave de Qāid de ses propres mains. Pour cela Mohammed ne manquait pas de me rappeler mon état de plèbe.
Tu appartiens encore au Qāid de Catane, ma Dame ? demanda Ghadda.
Il me demanda de le pardonner quand il eut cuvé son vin du soir précédent. Vu que Mohammed fait partie de ceux qui boivent et se donnent aux excès pour ensuite se plaindre et se repentir le jour suivant. Moi, je lui demandai dans tous les cas de pouvoir me rendre chez mon frère et il me le permis mais si le jeune domestique ne mavait pas sauvée, aujourdhui je ne serais pas ici à bavarder avec vous, mes chères sœurs.
Ne crains tu pas en retournant vers lui ?
Non, je ne retournerais pas, jai la certitude de ne plus revoir mes enfants mais je ne retournerais pas !
Sois courageuse ! sexclama Ghadda.
Je ne suis pas courageuse, je suis seulement la sœur du Qāid de Qasr Yanna. Si javais été une des femmes de ce village, je serais sûrement re-tournée comme une brave femme.
Et ton frère ne te renverra pas ? intervint Jala, surprise par le fait que Maimuna espérait que son frère puisse lappuyer dans ce comporte-ment quil lui semblait indécent.
Ali me la juré.
Il y eut un moment de silence, comme si lair était chargé de préoccupations pour le geste de la femme.
Nadira, ma sœur, ton frère a raison de ne taccorder à personne. Tu as vu mes poignets ? Tu as vu ce que lon risque quand on finit dans les bras de celui qui nest pas lhomme juste ? Et puis, tu mérites beaucoup. beaucoup plus de ce qui pourrait tarriver en restant au Raba. Les hommes communs ne te méritent pas, ma fille.
Qui pourrait sintéresser à une fille du peuple ?
Même un illustre Qāid! répliqua dune rapidité inattendue Maimuna, comme si elle attendait depuis le début de pouvoir donner cette réponse.
Nadira rit modestement, et dit :
Il ny a plus beaucoup de qāid importants en Sicile, à lexception de ton mari, ton frère et
Elle navait pas encore terminé de parler quelle pris étrangement conscience : Maimuna était là pour elle au nom de son frère. Elle éprouva une telle anxiété, peur et une tension telle quelle ne parvint plus à parler.
Nadira, ma chérie, quest-ce qui te trouble ? lui demanda Maimuna, en lui caressant la joue.
Jala, au contraire, ayant compris avant sa fille à quoi elle faisait allusion, était hors delle.
Nadira, on dirait que les compliments de Maimuna te dérangent. reprocha la mère.
Pourquoi es-tu là ? demanda au contraire la jeune fille, en déglutissant.
Pour comprendre si ce qui se dit sur Nadira du Raba est vrai. Cela te dérange ?