Альбер Камю - Le minotaure. La peste / Минотавр. Чума. Книга для чтения на французском языке стр 4.

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Mais, dans la salle, des combats que le programme ne comportait pas ont déjà éclaté. Des chaises sont brandies, la police se fraye un chemin, lexaltation est à son comble. Pour calmer ces bons esprits et contribuer au retour du silence, la «direction», sans perdre un instant, charge le pick-up de vociférer Sambre-et-Meuse. Pendant quelques minutes, la salle a grande allure. Des grappes confuses de combattants et darbitres bénévoles oscillent sous des poignes dagents, la galerie exulte et réclame la suite par le moyen de cris sauvages, de cocoricos ou de miaulements farceurs noyés dans le fleuve irrésistible de la musique militaire.

Mais il suffit de lannonce du grand combat pour que le calme revienne. Cela se fait brusquement, sans fioritures, comme des acteurs quittent le plateau, une fois la pièce finie. Avec le plus grand naturel, les chapeaux sont époussetés, les chaises rangées, et tous les visages revêtent sans transition lexpression bienveillante du spectateur honnête qui a payé sa place pour assister à un concert de famille.

Le dernier combat oppose un champion français de la marine à un boxeur oranais. Cette fois, la différence dallonge est au profit de ce dernier. Mais ses avantages, pendant les premiers rounds, ne remuent pas la foule. Elle cuve son excitation, elle se remet. Son souffle est encore court. Si elle applaudit, la passion ny est pas. Elle siffle sans animosité. La salle se partage en deux camps, il le faut bien pour la bonne règle. Mais le choix de chacun obéit à cette indifférence qui suit les grandes fatigues. Si le Français «tient», si lOranais oublie quon nattaque pas avec la tête, le boxeur est courbé par une bordée de sifflets, mais aussitôt redressé par une salve dapplaudissements. Il faut arriver au septième round pour que le sport revienne à la surface, dans le même temps où les vrais amateurs commencent à émerger de leur fatigue. Le Français, en effet, est allé au tapis et, désireux de regagner des points, sest rué sur son adversaire. «Ça y est, a dit mon voisin, ça va être la corrida.» En effet, cest la corrida. Couverts de sueur sous léclairage implacable, les deux boxeurs ouvrent leur garde, tapent en fermant les yeux, poussent des épaules et des genoux, échangent leur sang et reniflent de fureur. Du même coup, la salle sest dressée et scande les efforts de ses deux héros. Elle reçoit les coups, les rend, les fait retentir en mille voix sourdes et haletantes. Les mêmes qui avaient choisi leur favori dans lindifférence se tiennent dans leur choix par entêtement, et sy passionnent. Toutes les dix secondes, un cri de mon voisin pénètre dans mon oreille droite: «Vas-y, col bleu[22], allez, marine!» pendant quun spectateur devant nous hurle à lOranais: «Anda! hombre!»[23] Lhomme et le col bleu y vont et, avec eux, dans ce temple de chaux, de tôle et de ciment, une salle tout entière livrée à des dieux au front bas. Chaque coup qui sonne mat sur les pectoraux luisants retentit en vibrations énormes dans le corps même de la foule qui fournit avec les boxeurs son dernier effort.

Dans cette atmosphère, le match nul[24] est mal accueilli. Il contrarie dans le public, en effet, une sensibilité toute manichéenne. Il y a le bien et le mal, le vainqueur et le vaincu. Il faut avoir raison si lon na pas tort. La conclusion de cette logique impeccable est immédiatement fournie par deux mille poumons énergiques qui accusent les juges dêtre vendus, ou achetés. Mais le col bleu est allé embrasser son adversaire sur le ring et boit sa sueur fraternelle. Cela suffit pour que la salle, immédiatement retournée, éclate en applaudissements. Mon voisin a raison: ce ne sont pas des sauvages.

La foule qui sécoule au-dehors, sous un ciel plein de silence et détoiles, vient de livrer le plus épuisant des combats. Elle se tait, disparaît furtivement, sans forces pour lexégèse. Il y a le bien et le mal, cette religion est sans merci. La cohorte des fidèles nest plus quune assemblée dombres noires et blanches qui disparaît dans la nuit. Cest que la force et la violence sont des dieux solitaires. Ils ne donnent rien au souvenir. Ils distribuent, au contraire, leurs miracles à pleines poignées dans le présent. Ils sont à la mesure de ce peuple sans passé qui célèbre ses communions autour des rings. Ce sont des rites un peu difficiles, mais qui simplifient tout. Le bien et le mal, le vainqueur et le vaincu: à Corinthe, deux temples voisinaient, celui de la Violence et celui de la Nécessité.

Les Monuments

Pour bien des raisons qui tiennent autant à léconomie quà la métaphysique, on peut dire que le style oranais, sil en est un, sest illustré avec force et clarté dans le singulier édifice appelé Maison du Colon. De monuments, Oran ne manque guère[25]. La ville a son compte de maréchaux dEmpire, de ministres et de bienfaiteurs locaux. On les rencontre sur des petites places poussiéreuses, résignés à la pluie comme au soleil, convertis eux aussi à la pierre et à lennui. Mais ils représentent cependant des apports extérieurs. Dans cette heureuse barbarie, ce sont les marques regrettables de la civilisation.

Oran, au contraire, sest élevé à elle-même ses autels et ses rostres. En plein cœur de la ville commerçante, ayant à construire une maison commune pour les innombrables organismes agricoles qui font vivre ce pays, les Oranais ont médité dy bâtir, dans le sable et la chaux, une image convaincante de leurs vertus: la Maison du Colon. Si lon en juge par lédifice, ces vertus sont au nombre de trois: la hardiesse dans le goût, lamour de la violence, et le sens des synthèses historiques. LÉgypte, Byzance et Munich ont collaboré à la délicate construction dune pâtisserie figurant une énorme coupe renversée. Des pierres multicolores, du plus vigoureux effet, sont venues encadrer le toit. La vivacité de ces mosaïques est si persuasive quau premier abord on ne voit rien, quun éblouissement informe. Mais de plus près, et lattention éveillée, on voit quelles ont un sens: un gracieux colon, à nœud papillon et à casque de liège blanc[26], y reçoit lhommage dun cortège desclaves vêtus à lantique. Lédifice et ses enluminures ont été enfin placés au milieu dun carrefour, dans le va-et-vient des petits tramways à nacelle dont la saleté est un des charmes de la ville.

Oran tient beaucoup dautre part aux deux lions de sa place dArmes. Depuis 1888, ils trônent de chaque côté de lescalier municipal. Leur auteur sappelait Caïn. Ils ont de la majesté et le torse court. On raconte que, la nuit, ils descendent lun après lautre de leur socle, tournent silencieusement autour de la place obscure, et, à loccasion, urinent longuement sous les grands ficus poussiéreux. Ce sont, bien entendu, des on-dit auxquels les Oranais prêtent une oreille complaisante. Mais cela est invraisemblable.

Malgré quelques recherches, je nai pu me passionner pour Caïn. Jai seulement appris quil avait la réputation dun animalier adroit. Cependant, je pense souvent à lui. Cest une pente desprit qui vous vient à Oran. Voici un artiste au nom sonore qui a laissé ici une œuvre sans importance. Plusieurs centaines de milliers dhommes sont familiarisés avec les fauves débonnaires quil a placés devant une mairie prétentieuse. Cest une façon comme une autre de réussir en art. Sans doute, ces deux lions, comme des milliers dœuvres du même genre, témoignent de tout autre chose que de talent. On a pu faire la «Ronde de Nuit», «saint François recevant les stigmates», «David» ou «lExaltation de la Fleur». Caïn, lui, a dressé deux mufles hilares sur la place dune province commerçante, outre-mer. Mais le David croulera un jour avec Florence et les lions seront peut-être sauvés du désastre. Encore une fois, ils témoignent dautre chose.

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