PHILIPPE. Excuse-moi! C'est abattre un usurpateur.
ÉLÉONORE. Qu'appelles-tu usurpateur, roi de France?
CONSTANCE. Laissez-moi répondre: l'usurpateur, c'est ton fils.
ÉLÉONORE. Loin d'ici, insolente! Oui, ton bâtard sera roi, afin que tu puisses être reine, et gouverner le monde!
CONSTANCE. Mon lit fut toujours aussi fidèle à ton fils, que le tien le fut à ton époux: et cet enfant ressemble plus de visage à son père Geoffroy, que toi et Jean ne lui ressemblez de caractère; il lui ressemble comme l'eau à la pluie, ou le diable à sa mère. Mon enfant, un bâtard! Sur mon âme, je crois que son père ne fut pas aussi légitimement engendré: cela est impossible, puisque tu étais sa mère.
ÉLÉONORE. Voilà une bonne mère, enfant, qui flétrit ton père.
CONSTANCE. Voilà une bonne grand'mère, enfant, qui voudrait te flétrir.
L'ARCHIDUC. Paix.
LE BATARD. Écoutez le crieur.
L'ARCHIDUC. Quel diable d'homme es-tu?
LE BATARD. Un homme qui fera le diable avec vous, s'il peut vous attraper seul, vous et votre peau; vous êtes le lièvre, dont parle le proverbe, dont la valeur tire les lions morts par la barbe; je fumerai la peau qui vous sert de casaque, si je puis vous saisir à mon aise, drôle, songez-y; sur ma foi, je le ferai, sur ma foi.
BLANCHE. Oh! cette dépouille de lion convient trop bien à celui-là qui l'a dérobée au lion!
LE BATARD. Elle fait aussi bien sur son dos que les souliers du grand Alcide aux pieds d'un âne! Mais, mon âne, je vous débarrasserai le dos de ce fardeau, comptez-y, ou bien j'y mettrai de quoi vous faire craquer les épaules.
L'ARCHIDUC. Quel est ce fanfaron qui nous assourdit les oreilles avec ce débordement de paroles inutiles?
PHILIPPE. Louis, déterminez ce que nous allons faire.
LOUIS. Femmes et fous, cessez vos conversations. Roi Jean, en deux mots, voici le fait: Au nom d'Arthur, je revendique l'Angleterre et l'Irlande, l'Anjou, la Touraine, le Maine; veux-tu les céder et déposer les armes?
LE ROI JEAN. Ma vie, plutôt! Roi de France, je te défie. Arthur de Bretagne, remets-toi entre mes mains; et tu recevras de mon tendre amour plus que jamais ne pourra conquérir la lâche main du roi de France, soumets-toi, mon garçon.
ÉLÉONORE. Viens auprès de ta grand'mère, enfant.
CONSTANCE. Va, mon enfant, va, mon enfant, auprès de cette grand'mère; donne-lui un royaume, à ta grand'mère, et ta grand'mère te donnera une plume, une cerise et une figue: la bonne grand'mère que voilà!
ARTHUR. Paix! ma bonne mère; je voudrais être couché au fond de ma tombe; je ne vaux pas tout le bruit qu'on fait pour moi.
ÉLÉONORE. Sa mère lui fait une telle honte, pauvre enfant, qu'il en pleure.
CONSTANCE. Que sa mère puisse lui faire honte ou non, ayez honte de vous-même. Ce sont les injustices de sa grand'mère et non l'opprobre de sa mère qui font tomber de ses pauvres yeux ces perles faites pour toucher le ciel et que le ciel acceptera comme honoraires: oui le ciel séduit par ces larmes de cristal lui fera justice et le vengera de vous.
ÉLÉONORE. Indigne calomniatrice du ciel et de la terre!