Vous supposez bien !
Le couvercle soulevé révéla sur un lit de velours sept grosses perles en poire réunies par de fines chaînettes dor. Elles étaient toutes identiques, mesurant quatre ou cinq centimètres et dun incomparable orient légèrement doré. Ladmiration le tint muet quelques instants, comme chaque fois quil découvrait un joyau exceptionnel. Il le prit entre ses mains afin de mieux jouir de leur contact soyeux et de les examiner de plus près. Certes, il préférait les pierres précieuses à ces fabuleuses sécrétions marines, et son dernier contact avec lune des plus importantes lui avait laissé un souvenir aussi impérissable que peu agréable, mais il admettait volontiers que celles-ci étaient dune extraordinaire beauté. En face de lui, la princesse retenait son souffle.
Il les détaillait au moyen de la petite mais puissante loupe de joaillier dont il navait garde de se séparer, quand un déclic se fit dans sa tête. Il nétait peut-être jamais venu en Égypte mais ne méconnaissait pas pour autant certains de ses trésors liés à lHistoire.
Calmement, il rangea sa loupe, recoucha les perles dans leur coffret quil referma avant de le rendre à sa propriétaire dont il se demandait maintenant si elle létait vraiment :
Croyez que je suis désolé, princesse, mais il mest impossible de me charger dune telle vente
Comment ?
À moins que vous ne puissiez me remettre une autorisation écrite de Sa Majesté le roi Fouad pour les sortir dÉgypte. Elles font partie de ce que jappellerais les joyaux de la Couronne
Mais elles mappartiennent, à présent ! Il me les a offertes lorsque jétais son épouse !
En ce cas, il a eu tort car je ne pense pas quil en ait le droit. Pas plus que le roi dAngleterre, sil lui prenait fantaisie de vendre ou doffrir le Koh-I-Noor. Ce sont les perles de Saladin, connues dans les milieux de la haute joaillerie et des musées.
Mais je me tue à vous dire quil men a fait cadeau ?
Je nen doute pas. Cest pourquoi lautorisation ne devrait pas poser de problèmes
Ne vous ai-je pas prévenu quil sagissait dune tractation secrète, afin que ces perles soient vendues dans la plus totale discrétion ? Le roi ne doit rien savoir. Il me les a offertes parce que je porte en moi quelques gouttes du sang de Saladin Oh, je devrais plutôt dire quil men a donné la jouissance ma vie durant jusquà sa mort. Elles font en effet partie du trésor royal mais cest sans importance !
Comment cela, sans importance ? On pourrait vous les réclamer au moins au décès du roi ? Son héritier
Farouk ? Il ne sera pas le meilleur de nos souverains. À douze ans, il ne pense déjà quà ses plaisirs. Dailleurs, il nest pas dune intelligence folle mais il se plaît en ma compagnie. Je lamuse Il aime les chevaux, les femmes
Eh bien ! Il est précoce !
Oh, oui ! Ajoutez le jeu, largent
Les joyaux ?
Aussi, pour leur éclat. Mais il ny connaît rien !
Soit ! Tenons-nous-en au roi. Que se passerait-il sil voulait vous les reprendre ?
Ce ne serait pas une catastrophe : jai fait réaliser des copies !
Copiées, des perles de cette taille ?
Pourquoi non ? Il y a dans ce pays des artistes de talent qui ne connaissent pas leur propre valeur.
Et le coffret ?
Une imitation, lui aussi. Cela a été plus facile, dailleurs. Faites-moi
aiguilles des minarets, semblait saccrocher au ciel : la mosquée Muhammad Ali doù sélevait le bourdonnement dune prière. On ne visitait pas. Dailleurs on ne visitait rien, ni le château, ni les mosquées secondaires, ni le palais où veillaient des gardes, ni les bâtiments qui faisaient de cette citadelle une ville dominant la grande, mais Aldo nen avait pas lintention : ce quil voulait, cétait embrasser dun seul coup dœil la capitale égyptienne et son prodigieux décor. Aussi, descendu de sa voiture, se contenta-t-il de sapprocher au bord de la vaste terrasse sans rien vouloir entendre des explications en sabir anglo-arabe que son cocher prétendait déverser sur lui : le spectacle se suffisait à lui-même.
Le Caire, couleur de sable piqué de verdure, coupé par le large cordon bleuté du Nil, sétendait tel un tapis jusquà un horizon que marquaient, dune part, les Pyramides et le Sphinx de Gizeh et, de lautre, les montagnes éventrées que les siècles avaient transformées en carrières pour des bâtisseurs inspirés
Les déclics dappareils photo maniés par un groupe de touristes américains sur fond dexclamations nasales mais enthousiastes le chassèrent vers le côté opposé de la terrasse. Il ne se tenait là quune jeune femme ou plutôt une jeune fille, si lon considérait la minceur de la taille habillée de toile blanche sous lauréole dune capeline de paille posée en arrière de la tête. Elle aussi contemplait le paysage. Tournant le dos au soleil, elle avait ôté ses lunettes noires dont elle mordillait lune des branches. Craignant de la déranger comme lui-même venait de lêtre, il napprocha pas. Pourtant elle se tourna vers lui, montrant un visage mince et brun, sur lequel tranchaient des yeux dun bleu tellement clair quils semblaient transparents. Sous le nimbe de paille, les cheveux étaient dun noir profond. Une Égyptienne peut-être, dont une aïeule aurait eu des bontés pour un Viking ? En tout cas elle était très belle, mais Aldo neut pas le temps de sen assurer. Après un froncement de sourcils, elle rechaussa ses verres fumés, tourna les talons et prit dun pas daltesse le chemin de la voûte sombre de la sortie. Bien quil neût rien fait pour cela puisquil navait pas bougé, il importunait