Laissant la foule piétiner sur les pas du conservateur qui lui délivrait une conférence itinérante et Vauxbrun, complètement détaché du sujet, se consacrer à Léonora, Aldo rejoignit lappartement de la Reine par le chemin qui lui avait permis, tout à lheure, déviter la cohue. Il se composait de trois « petites » pièces entresolées où chacune des précieuses vitrines avait été disposée. Il ny restait que peu de meubles. Encore les avait-on retirés au bénéfice de torchères dont les lumières mettaient les joyaux en valeur. Une vitrine par salon permettait une circulation réduite sans doute mais assurant une meilleure surveillance.
Cétait surtout le boudoir de Marie-Antoinette qui attirait Aldo. Là étaient les bijoux les plus précieux et il voulait examiner daussi près que possible la « larme » de diamant que lon y avait installée auprès de ses girandoles et des bracelets de son beau-père.
Arrivé la veille seulement de Venise, il avait eu juste le temps de remettre lécrin au prince de Polignac, membre illustre du Comité et compositeur mondain descendu pour une
fois de ses rêves musicaux. Il était chargé de recevoir les dépôts en présence de policiers armés. Visiblement dépassé par une responsabilité due au fait quil était le chef de nom et darmes dune famille que Marie-Antoinette avait portée au pinacle, il assumait là une corvée évidente dont il avait hâte de se débarrasser. Morosini, qui avait compté sur la présence du fameux joaillier Chaumet chargé de lorganisation des vitrines ou dun de ses représentants, navait donc pu visiter comme il le souhaitait. Aussi espérait-il disposer dun temps appréciable avant de voir arriver les invités.
Ainsi quil le pensait, le boudoir était vide à lexception des deux policiers, en perruque poudrée, qui montaient la garde. Cétait lendroit le mieux protégé du château grâce à un caprice de la Reine : en choisissant lancienne « pièce du café » de Louis XV et pour quil devienne son refuge intime, elle avait fait installer un système de miroirs sortant du parquet pour venir obturer les fenêtres, sassurant de la sorte une tranquillité absolue puisquil nétait plus possible de voir quoi que ce soit depuis les jardins. On avait réussi à remettre en marche le mécanisme et le boudoir isolé devait son éclairage à la seule lumière électrique.
En y pénétrant, Aldo se crut le jouet dun rêve : la Reine était là ! En grand habit de satin et dentelles, blanches comme le piquet de plumes dautruche fixé par une agrafe de diamants dans sa haute coiffure poudrée, un éventail à la main, elle semblait fascinée par le scintillement des pierres sur leur lit de velours noir. Cette femme était élancée, mince, imposante et gracieuse à la fois et Morosini la salua dun mouvement irréfléchi :
Votre Majesté !
« Marie-Antoinette » sursauta, se retourna et sourit :
Dieu, que vous mavez fait peur !
Vous men voyez désolé, madame mais je pourrais presque vous en dire autant. Lillusion est parfaite
Quand elle sétait retournée, en effet, il avait reconnu ce visage dont il avait pu voir nombre de photographies : celui de la comédienne Marcelle Chantal qui venait dincarner la souveraine quelques mois plus tôt dans lun des deux premiers films parlants tournés en France, Le Collier de la Reine. Le sourire de la jeune femme saccentua :
Merci. Puis-je vous demander qui vous êtes ? Je ne connais pas tous les membres du Comité, ajouta-t-elle, les yeux sur la cocarde bleue et blanche au revers du veston.
Je ne suis arrivé quhier avec ceci, continua-t-il en désignant les girandoles rosées, et
Oh ! Le magicien de Venise, je présume ? Prince Morosini ?
Extrêmement flatté dêtre connu de Votre Majesté, fit-il en sinclinant sur la main gantée quon lui offrait.
Ne faites donc pas le modeste ! Vous savez fort bien que vous faites rêver toutes les femmes de goût ! Sans doute aussi les autres et jaimerais infiniment bavarder un moment avec vous mais jentends la horde qui arrive et je dois rejoindre mon poste. Je suis la « surprise » du jour ! ajouta-t-elle en riant.
Elle glissa à la rencontre des invités, Aldo revenant à la vitrine, se pencha pour approcher au plus près la pièce qui lintriguait et tira de sa poche la loupe de joaillier qui ne le quittait jamais. Aussitôt, lun des gardiens voulut sinterposer :
Quest-ce que cest ?
Ni une clef ni une matraque : une simple loupe
Il sinterrompit : même à cette distance, le puissant verre grossissant confirmait le soupçon qui lui venait. À savoir que la ravissante pièce devait être fausse. Et cétait bien la seule parmi celles qui lentouraient. En outre, on lui avait donné la place dhonneur ! Un comble !
Replaçant le petit outil dans sa poche, il voulut se mettre à la recherche de Chaumet quil avait vu arriver pour avoir une explication. Impossible que lun des plus grands joailliers du monde se fût laissé prendre ! Il devait y avoir une raison ! Seulement il fallait attendre : les pas nombreux approchaient à la suite de la voix cultivée et précise de M. Pératé. Ils arrivaient à lappartement de la Reine ainsi que len convainquirent les exclamations de surprise en découvrant, au seuil, la somptueuse évocation qui les accueillait dune révérence. Des bravos éclatèrent orchestrés par le président du Conseil : la très belle Marcelle était en train de remplacer la non moins belle mais plus imposante encore Mary Marquet, de la Comédie-Française, dans le cœur de linflammable Tardieu !