Tu as raison. Va dire à ces types du service dordre quils arrêtent ce flot. Tu fais partie du Comité, pas moi !
Ça ne va pas être facile ! Mais doù peuvent sortir tous ces gens ?
Un concert de protestations séleva naturellement. Vauxbrun prit alors la parole pour faire entendre raison : tout le monde pourrait entrer mais plus tard. Il y en avait déjà trop et il fallait au moins permettre à la cérémonie dinauguration de se dérouler dans lharmonie. Il finit par convaincre et rejoignit les salons avec Aldo.
Grâce au génie de Gabriel, son architecte, le Petit Trianon, bâti au bout dune terrasse, était construit de telle façon quen entrant par la cour dhonneur, côté sud, il fallait gravir un étage pour atteindre les pièces nobles alors que, vers louest, celles-ci se trouvaient au rez-de-chaussée. Un rez-de-chaussée un peu surélevé auquel on accédait par des degrés divergents avec balustres. Cette façade, avec ses quatre colonnes corinthiennes davant-corps sertissant trois des cinq hautes fenêtres, était la plus majestueuse de ce joyau de pierre blonde, peut-être le plus pur chef-dœuvre de larchitecture de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Elle ouvrait sur le Jardin français qui sétendait jusquà une pièce deau ronde au-delà de laquelle apparaissait un charmant pavillon. Les quatre faces de Trianon étaient dailleurs différentes. Elles ouvraient toutes par cinq croisées dune grande noblesse donnant, à lexception de la cour dhonneur, sur des jardins dissemblables : fleuriste au nord et botanique au sud. Ainsi lavait voulu Louis XV, amateur éclairé de plantes rares. Un attique où étaient les appartements intimes couronné lui-même dune balustrade surmontait létage de réception. Et ce petit château en forme de cube qui aurait pu être pesant réussissait lexploit dêtre une merveille de grâce et délégance. En le recevant en cadeau de son époux, la jeune Marie-Antoinette en avait été si charmée quelle ne lavait plus guère quitté, y passant ses journées dabord puis ses nuits de plus en plus souvent, ny recevant que ses amis proches, la « coterie » quon lui avait tant reprochée, faisant arranger différemment les jardins et surtout le Hameau, un joli jouet pour une grande fille ! En fait, elle navait abandonné son Trianon que pour les prisons dun peuple aux yeux de qui le délicieux domaine nétait quun lieu de débauches
Aldo, pour sa part, adorait Trianon. Sil rendait au sublime Versailles le tribut dadmiration méritée
par ce chef-dœuvre absolu dans son extraordinaire splendeur, il sétait pris de tendresse pour ce petit joyau de sobre élégance bien propre à séduire une jeune reine ou un homme de goût. Cétait une raison de plus, et non la moindre, de laisser exposer au public lun de ses précieux trésors.
Accoudé à une balustrade, il regarda la longue voiture noire avec chauffeur et valet de pied sarrêter au bas des marches sur lesquelles le Comité avait fait disposer des laquais en perruque poudrée et livrée aux couleurs de la reine. Deux personnes en descendirent : dabord lambassadeur des États-Unis, Myron T. Herrick, vieil et fidèle ami de la France représentant à la fois son pays et le mécène John Rockefeller, ensuite la présidente dhonneur, quil aida galamment à mettre pied à terre Une autre voiture noire venait derrière amenant le président du Conseil, André Tardieu, mais sans escorte officielle.
Vêtue de crêpe georgette de ce bleu tendre quaffectionnait Marie-Antoinette, blonde et belle, la princesse Sixte de Bourbon-Parme, née Edwige de La Rochefoucauld et belle-sœur par mariage de limpératrice Zita, saccordait à merveille au décor ambiant, ce qui nétait pas le cas de son compagnon en sévère jaquette noire. Seuls les cheveux blancs et les vifs yeux bleus du diplomate le rattachaient à linstant présent mais tous deux semblaient ravis dêtre ensemble, nayant pas jugé bon dinterrompre lalerte conversation quils avaient dû entamer dans la voiture. La princesse riait franchement en atteignant le haut des marches où lattendait le Comité. Cela donna tout de suite le ton de la fête : et lon échangea saluts, baisemains et autres politesses dans un aimable brouhaha, après quoi le conservateur du château de Versailles, M. André Pératé, souhaita une bienvenue érudite mais assez courte pour nêtre pas ennuyeuse, à laquelle le président du Conseil joignit quelques mots louangeurs à ladresse de lAmérique et de son ambassadeur qui ne put moins faire que de répondre en termes tout aussi flatteurs. Cela fait, la princesse coupa le ruban bleu interdisant laccès à lexposition, tandis que lon délivrait la foule à cartons entassée dans lantichambre et une partie du salon de réception délimitée par des cordons de velours rouge. Et la visite commença
Lexposition rassemblait dabord de nombreuses effigies de la Reine : peintures, sculptures ou simples dessins. En marbre, en bronze, en albâtre ou sur toile, partout lon rencontrait le beau visage altier. Des meubles aussi, appartenant au château ou prêtés par des collectionneurs. Des livres aux armes ou au monogramme de Marie-Antoinette étaient revenus dans la pièce qui avait été la bibliothèque, et sur les murs provisoirement tendus de soie quelques billets écrits de sa main et encadrés dor voisinaient avec trois aquarelles peintes par elle. Dans les vitrines des éventails, des flacons, des mouchoirs et un objet très émouvant, le livre supportant les échantillons de tissus de toutes ses robes, ce registre quelle avait mille fois feuilleté et quapportait chaque matin la dame datour. Dhabiles ouvrières avaient réussi à reconstituer, à partir de ce livre, deux des toilettes de la Reine exposées sur des mannequins avec des gants brodés et des souliers de satin. Des jouets denfants et des timbales évoquaient la mère. Des miroirs, des brosses, des peignes, des flacons et de petits pots de Sèvres, de vermeil ou dargent, la femme coquette, et plus loin un nécessaire de voyage qui navait guère servi puisque, au contraire de toutes les reines de France, Marie-Antoinette navait jamais quitté Versailles ni surtout Trianon.