Альбер Камю - Le minotaure. La peste / Минотавр. Чума. Книга для чтения на французском языке стр 7.

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Lhomme, au milieu de ce chantier, attaque la pierre de front. Et si lon pouvait oublier, un instant au moins, le dur esclavage qui rend possible ce travail, il faudrait admirer. Ces pierres, arrachées à la montagne, servent lhomme dans ses desseins. Elles saccumulent sous les premières vagues, émergent peu à peu et sordonnent enfin suivant une jetée, bientôt couverte dhommes et de machines, qui avancent jour après jour, vers le large. Sans désemparer, dénormes mâchoires dacier fouillent le ventre de la falaise, tournent sur elles-mêmes, et viennent dégorger dans leau leur tropplein de pierrailles. À mesure que le front de la corniche sabaisse, la côte entière gagne irrésistiblement sur la mer.

Bien sûr, détruire la pierre nest pas possible. On la change seulement de place. De toute façon, elle durera plus que les hommes qui sen servent. Pour le moment, elle appuie leur volonté daction. Cela même sans doute est inutile. Mais changer les choses de place, cest le travail des hommes: il faut choisir de faire cela ou rien. Visiblement, les Oranais ont choisi. Devant cette baie indifférente, pendant des années encore, ils entasseront des amas de cailloux le long de la côte. Dans cent ans, cest-à-dire demain, il faudra recommencer. Mais aujourdhui ces amoncellements de rochers témoignent pour les hommes au masque de poussière et de sueur qui circulent au milieu deux. Les vrais monuments dOran, ce sont encore ses pierres.

La Pierre DAriane

Déjà, aux portes mêmes dOran, la nature hausse le ton. Du côté de Canastel, ce sont dimmenses friches, couvertes de broussailles odorantes. Le soleil et le vent ny parlent que de solitude. Au-dessus dOran, cest la montagne de Santa Cruz, le plateau et les mille ravins qui y mènent. Des routes, jadis carrossables, saccrochent au flanc des coteaux qui dominent la mer. Au mois de janvier, certaines sont couvertes de fleurs. Pâquerettes et boutons dor en font des allées fastueuses, brodées de jaune et de blanc. De Santa Cruz, tout a été dit. Mais si javais à en parler, joublierais les cortèges sacrés qui gravissent la dure colline, aux grandes fêtes, pour évoquer dautres pèlerinages. Solitaires, ils cheminent dans la pierre rouge, sélèvent au-dessus de la baie immobile, et viennent consacrer au dénuement une heure lumineuse et parfaite.

Oran a aussi ses déserts de sable: ses plages. Celles quon rencontre, tout près des portes, ne sont solitaires quen hiver et au printemps.

la Tour de Babel Вавилонская башня
Pâquerettes et boutons dor маргаритки и калужницы

Ce sont alors des plateaux couverts dasphodèles, peuplés de petites villas nues, au milieu des fleurs. La mer gronde un peu, en contrebas. Déjà pourtant, le soleil, le vent léger, la blancheur des asphodèles, le bleu cru du ciel, tout laisse imaginer lété, la jeunesse dorée qui couvre alors la plage, les longues heures sur le sable et la douceur subite des soirs. Chaque année, sur ces rivages, cest une nouvelle moisson de filles fleurs. Apparemment, elles nont quune saison. Lannée suivante, dautres corolles chaleureuses les remplacent qui, lété davant, étaient encore des petites filles aux corps durs comme des bourgeons. À onze heures du matin, descendant du plateau, toute cette jeune chair, à peine vêtue détoffes bariolées, déferle sur le sable comme une vague multicolore.

Il faut aller plus loin (singulièrement près, cependant, de ce lieu où deux cent mille hommes tournent en rond) pour découvrir un paysage toujours vierge: de longues dunes désertes où le passage des hommes na laissé dautres traces quune cabane vermoulue. De loin en loin, un berger arabe fait avancer sur le sommet des dunes les taches noires et beiges de son troupeau de chèvres. Sur ces plages dOranie, tous les matins dété ont lair dêtre les premiers du monde. Tous les crépuscules semblent être les derniers, agonies solennelles annoncées au coucher du soleil par une dernière lumière qui fonce toutes les teintes. La mer est outremer, la route couleur de sang caillé, la plage jaune. Tout disparaît avec le soleil vert; une heure plus tard, les dunes ruissellent de lune. Ce sont alors des nuits sans mesure sous une pluie détoiles. Des orages les traversent parfois, et les éclairs coulent le long des dunes, pâlissent le ciel, mettent sur le sable et dans les yeux des lueurs orangées.

Mais ceci ne peut se partager. Il faut lavoir vécu. Tant de solitude et de grandeur donne à ces lieux un visage inoubliable. Dans la petite aube tiède, passé les premières vagues encore noires et amères, cest un être neuf qui fend leau, si lourde à porter, de la nuit. Le souvenir de ces joies ne me les fait pas regretter et je reconnais ainsi quelles étaient bonnes. Après tant dannées, elles durent encore, quelque part dans ce cœur aux fidélités pourtant difficiles. Et je sais quaujourdhui, sur la dune déserte, si je veux my rendre, le même ciel déversera encore sa cargaison de souffles et détoiles. Ce sont ici les terres de linnocence.

Mais linnocence a besoin du sable et des pierres. Et lhomme a désappris dy vivre. Il faut le croire du moins, puisquil sest retranché dans cette ville singulière où dort lennui. Cependant, cest cette confrontation qui fait le prix dOran. Capitale de lennui, assiégée par linnocence et la beauté, larmée qui lenserre a autant de soldats que de pierres. Dans la ville, et à certaines heures, pourtant, quelle tentation de passer à lennemi! quelle tentation de sidentifier à ces pierres, de se confondre avec cet univers brûlant et impassible qui défie lhistoire et ses agitations! Cela est vain sans doute. Mais il y a dans chaque homme un instinct profond qui nest ni celui de la destruction ni celui de la création. Il sagit seulement de ne ressembler à rien. À lombre des murs chauds dOran, sur son asphalte poussiéreux, on entend parfois cette invitation. Il semble que, pour un temps, les esprits qui y cèdent ne soient jamais frustrés. Ce sont les ténèbres dEurydice et le sommeil dIsis. Voici les déserts où la pensée va se reprendre, la main fraîche du soir sur un cœur agité. Sur cette Montagne des Oliviers, la veille est inutile; lesprit rejoint et approuve les Apôtres endormis. Avaient-ils vraiment tort? Ils ont eu tout de même leur révélation.

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