Lanneau nuptial
Yvonne dOrigny embrassa son fils et lui recommanda dêtre bien sage[79].
«Tu sais que ta grand-mère dOrigny naime pas beaucoup les enfants. Pour une fois quelle te fait venir chez elle, il faut lui montrer que tu es un petit garçon raisonnable.»
Et sadressant à la gouvernante:
«Surtout, fraulein, ramenez-le tout de suite après dîner Monsieur est encore ici?
Oui, Madame, Monsieur le comte est dans son cabinet de travail.»
Aussitôt seule, Yvonne dOrigny marcha vers la fenêtre afin dapercevoir son fils dès quil serait dehors. Elle vit soudain un homme qui descendait dune automobile et qui sapprochait de lui. Cet homme elle reconnut Bernard, le domestique de confiance de son mari cet homme saisit lenfant par le bras, le fit monter dans lautomobile ainsi que la gouvernante, et donna lordre au chauffeur de séloigner.
Yvonne, bouleversée, courut jusquà la chambre, empoigna un vêtement se dirigea vers la porte.
La porte était fermée à clef, et il ny avait point de clef sur la serrure. La porte de son boudoir était fermée également.
Tout de suite, limage de son mari la heurta.[80]
«Cest lui!.. cest lui!.. se dit-elle il a pris lenfant Ah! cest horrible!»
Elle frappa la porte. Un bruit de serrure La porte souvrit violemment. Le comte apparut au seuil du boudoir. Et lexpression de son visage était si terrible quYvonne se mit à trembler.
Le comte se précipita et la saisit à la gorge.
«Tais-toi disait-il dune voix sourde»
Voyant quelle nessayait pas de se défendre, il desserra son étreinte[81] et sortit de sa poche des bandes de toile toutes prêtes et de longueurs différentes. En quelques minutes la jeune femme eut les poignets liés, les bras attachés le long du corps, et fut étendue sur un divan.
Le comte alluma lélectricité et se dirigea vers un petit secrétaire où Yvonne avait lhabitude de ranger ses lettres. Ne parvenant pas à louvrir, il le fractura à laide dun crochet de fer, vida les tiroirs, et, de tous les papiers, fit un monceau quil emporta dans un carton.
Comme il sen allait, il fut rejoint près de la porte par son domestique Bernard. Ils conversèrent tous deux à voix basse, mais Yvonne entendit ces mots que prononçait le domestique:
«Jai reçu la réponse de louvrier bijoutier. Il est à ma disposition.[82]«
Et le comte répliqua:
«La chose est remise à demain midi. Ma mère vient de me téléphoner quelle ne pouvait venir auparavant.»
Ensuite Yvonne perçut le cliquetis de la serrure. Elle comprenait peu à peu que son fils ne reviendrait pas, et quelle ne le reverrait jamais. Exaspérée par la douleur, de tous ses nerfs, de tous ses muscles, elle se raidit, en un effort brutal. Elle fut stupéfaite: sa main droite conservait une certaine liberté.
Comme la pendule frappait huit coups, la dernière entrave tomba. Elle était libre!
Elle ouvrit la fenêtre. Un agent de police se promenait sur le trottoir. Elle se pencha. Mais lair vif de la nuit layant frappée au visage, plus calme, elle songea au scandale, à lenquête, aux interrogatoires, à son fils. Elle dit tout bas, à plusieurs reprises[83]: «Au secours au secours». Puis, avec des gestes mécaniques, elle allongea le bras vers une petite bibliothèque suspendue au-dessus du secrétaire, saisit un livre et trouva entre les pages une carte de visite: Horace Velmont, et cette adresse écrite au crayon: Cercle de la rue Royale.
Et sa mémoire évoqua la phrase bizarre que cet homme lui avait dite quelques années auparavant:
«Si vous avez besoin de secours, nhésitez pas, jetez à la poste cette carte que je mets dans ce livre et quelle que soit lheure, quels que soient les obstacles, je viendrai.[84]«
Yvonne prit une enveloppe, introduisit la carte de visite, inscrivit les deux lignes: Horace Velmont, Cercle de la rue Royale. Puis elle sapprocha de la fenêtre et lança lenveloppe, la confiant au hasard.
Les douze coups de minuit Puis la demie Puis une heure La clef venait de tourner dans la serrure. Du regard, Yvonne chercha une arme pour se défendre. Mais la porte fut poussée vivement, et, stupéfaite la jeune femme balbutia:
«Vous!.. vous!..»
Un homme savançait vers elle, et cet homme jeune, de taille mince, élégant, elle lavait reconnu, cétait Horace Velmont.
«Est-ce possible! Est-ce possible que ce soit vous!..[85]«
Il parut très étonné.
«Navais-je pas promis de me rendre à votre appel?
Oui mais
Eh bien, me voici,» dit-il en souriant.
Il examina les bandes de toile dont Yvonne avait réussi à se délivrer.
«Jai vu également que le compte dOrigny vous avait emprisonnée Il est sorti depuis dix minutes.
Où est-il?
Chez sa mère, la comtesse dOrigny.
Comment le savez-vous?
Oh! très simplement. Il a reçu un coup de téléphone pendant que, moi, jen attendais le résultat au coin de cette rue et du boulevard.»
Il racontait cela le plus naturellement du monde, de même que lon raconte, dans un salon, une petite anecdote insignifiante. Mais Yvonne demanda, reprise dune inquiétude soudaine[86]:
«Alors, ce nest pas vrai? Sa mère nest pas malade? Partons je ne veux pas quil me retrouve ici je rejoins mon fils.
Un instant
Un instant!.. Mais vous ne savez donc pas quon me lenlève? quon lui fait du mal, peut-être?»
Avec beaucoup de douceur, Velmont la contraignit à sasseoir et prononça dun ton grave:
«Écoutez-moi, madame, et ne perdons pas un temps dont chaque minute est précieuse. Il faut mobéir aveuglément. De même que je suis venu à travers tous les obstacles, de même je vous sauverai, quelle que soit la situation.»
La tranquillité dHorace Velmont, sa voix impérieuse aux intonations amicales, apaisaient peu à peu la jeune femme.
«Que dois-je faire? dit-elle.
Me répondre, et très nettement. Nous avons vingt minutes. Cest assez. Ce nest pas trop.
Interrogez-moi.
Croyez-vous que le comte ait eu des projets criminels?
Non.
Il sagit donc de votre fils?
Oui.
Il vous lenlève, nest-ce pas, parce quil veut divorcer et épouser une autre femme, une de vos anciennes amies[87], que vous avez chassée de votre maison?
Oui.
Cette femme na pas dargent. De son côté[88], votre mari, qui sest ruiné, na dautres ressources que la pension qui lui est servie par sa mère, la comtesse dOrigny, et les revenus de la grosse fortune que votre fils a héritée de deux de vos oncles. Votre mari veut largent de votre fils, mais il ne peut rien contre vous ni contre lui. Alors, si un homme comme le comte, après tant dhésitations et malgré tant dimpossibilités, se risque dans une aventure aussi incertaine, cest quil a, ou quil croit avoir entre les mains[89], des armes.
Quelles armes?
Je lignore. Mais elles existent Le comte na pas un ami plus intime auquel il se confie?
Non.
Personne nest venu le voir hier?
Personne.
Il était seul quand il vous a liée et enfermée?
À ce moment, oui.
Mais après?
Après, son domestique la rejoint près de la porte, et jai entendu quils parlaient dun ouvrier bijoutier
Cest tout?
Et dune chose qui aurait lieu le lendemain, cest-à-dire aujourdhui, à midi, parce que la comtesse dOrigny ne pouvait venir auparavant.»
Velmont réfléchit.
« Où sont vos bijoux?
Mon mari les a vendus.
Il ne vous en reste pas un seul?
Non, dit-elle en montrant ses mains, rien que cet anneau.
Qui est votre anneau de mariage?
Qui est mon anneau»
Elle sarrêta. Velmont nota quelle rougissait, et il lentendit balbutier:
«Serait-ce possible? Mais non»
À la fin[90], elle répondit, à voix basse:
«Ce nest pas mon anneau de mariage. Un jour, il y a longtemps, je lai fait tomber de la cheminée de ma chambre, et, malgré toutes mes recherches, je nai pu le retrouver. Sans rien dire, jen ai commandé un autre que voici à ma main.
Le véritable anneau portait la date de votre mariage?
Oui vingt-trois octobre.
Et le second?