Adèle haussa les épaules.
– J’en suis capable si elle en est capable.
– Magnifique, lança-t-il. J’espère que tu as dormi dans l’avion, cependant. Foucault veut te voir au plus vite.
Adèle acquiesça, les lèvres serrées.
– L’agent Paige est déjà dans son bureau, dit-elle. Allons-nous nous y mettre sur le champ ?
Son ancien mentor opina du chef en se relevant de son siège et en contournant son bureau avec raideur.
– Laisse ta valise ici, lui conseilla-t-il. Je demanderai à ce que quelqu’un la récupère. Viens maintenant.
Robert la prit par le bras, en passant sa main dans le creux de son coude, et l’escorta jusqu’à l’ascenseur. Robert était vieux jeu, et certains le trouvaient pompeux. Mais Adèle n’y voyait que de la tendresse.
Ils attendirent d’entendre le tintement de l’ascenseur et entrèrent dans la cabine. Pendant un bref instant, le doigt d’Adèle hésita sur le bouton du deuxième étage – celui du bureau de John. Était-il là ? Non, ce n’était pas le moment. Les meurtres n’étaient pas espacés de trois semaines comme la dernière fois. L’intervalle était de trois jours. À peine trois jours. Un rythme rapide et surprenant. Un rythme qui risquait de perdurer.
Adèle appuya sur le bouton du dernier étage et, avec Robert à ses côtés, qui lui tenait encore le bras, elle attendit que l’ascenseur les mène jusqu’au bureau du directeur.
***
Paige était assise près de la fenêtre, visiblement à l’aise vu la manière dont elle était installée sur la chaise de bureau. Foucault lui-même avait baissé ses yeux d’oiseau de proie, il se mordait un coin de la lèvre et secouait la tête.
Adèle et Robert se tenaient debout, attendant, observant. Foucault était absorbé par son écran d’ordinateur et son expression s’assombrissait graduellement.
– C’est tout ? demanda-t-il en levant enfin les yeux. Rien de nouveau ?
Il tourna le regard vers l’agent Paige, qui toisait Adèle comme pour rediriger la colère du directeur dans sa direction.
Adèle hésita. La lumière du soleil traversait la fenêtre ouverte du grand bureau du cadre – les rafales d’air dissipaient en partie l’odeur de la fumée de cigarette, mais la senteur de tabac froid persistait néanmoins dans la pièce.
– Je viens d’arriver, commença Adèle, hésitante, ne sachant pas si on lui reprochait quelque chose. J’avais l’intention de m’installer chez Robert… (Elle suivit le regard de Foucault et s’éclaircit ensuite la gorge). Honnêtement, j’ai dormi dans l’avion. On peut commencer cet après-midi. J’aimerais voir la scène de crime de la seconde victime.
Foucault acquiesça, en agitant la main.
– Oui, dit-il, ses sourcils épais froncés au-dessus de ses yeux sombres. C’est une bonne idée. On n’a pas le temps d’attendre sur ce coup-là, n’est-ce pas ? Non, en effet. (Il adressa un signe de tête à Paige). Vous avez déjà travaillé ensemble, n’est-ce pas ?
Paige resta silencieuse près de la fenêtre. Elle hocha la tête une fois. Adèle l’imita.
Après quelques instants de silence gênant, Robert intervint, après s’être raclé la gorge.
– C’est étrange, marmonna-t-il doucement.
Adèle garda les yeux rivés sur Foucault, mais manifesta son accord par un fredonnement.
Robert grogna alors que l’attention du directeur quittait Adèle pour se concentrer sur lui.
– Les victimes devaient connaître le tueur, lança-t-il. Un ami ? Peut-être un membre de la famille ?
Adèle inclina légèrement la tête, en roulant sa tête contre ses épaules.
– Peut-être. Ou le tueur avait les moyens d’entrer. Un propriétaire ? Avec une clé ?
Robert hésita un instant et le silence se fit une fois de plus. Enfin, il dit :
– Que penses-tu du rein manquant ?
– Tu as passé en revue les dossiers ?
– Le deuxième rapport n’est pas encore arrivé.
Robert se tut, haussant un sourcil interrogateur à l’attention de Foucault.
Le directeur acquiesça.
– Ils y travaillent, mais ça prend du temps. Le rapport complet devrait être bientôt disponible.
Robert hocha la tête et s’adressa cette fois à Foucault, traversant la pièce pour regarder par la fenêtre ouverte donnant sur la rue en contrebas. Un petit café peint en rose occupait la rue en face de la DGSI.
– J’ai bien lu le premier rapport, déclara-t-il. Il ne manque que le rein. Pourquoi pensez-vous que c’est le cas ?
Paige et Foucault gardèrent tous deux le silence. Mais Adèle jeta un regard à travers la pièce en direction de son mentor, observant la façon dont la lumière du soleil de l’après-midi illuminait son profil et projetait des ombres sur la moquette.
– Un trophée ?
– Peut-être, répondit Robert. Ça a du sens.
– Quoi d’autre ?
Robert haussa les épaules et son regard se dirigea vers Foucault derrière son bureau.
Le directeur se renfrogna encore plus.
– Je pose les questions, vous fournissez les réponses, décocha-t-il. (Il regarda les trois agents à tour de rôle et il tendit la main pour tapoter le côté de son ordinateur). Nous avons besoin de plus d’informations, et vous n’avez pas beaucoup de temps pour nous les fournir.
Adèle remarqua la facilité avec laquelle le « nous » était devenu un « vous ». Elle marqua une pause, puis répondit sur un ton tranquille :
– J’ai pensé aux victimes. Toutes deux sont des expatriées, n’est-ce pas ? En grandissant, j’ai côtoyé cette communauté – pas énormément, car ma mère était française. Mais j’avais quelques amis américains à l’école dont les parents avaient déménagé pour des raisons professionnelles. (Elle resta pensive). Il s’agit d’une communauté vulnérable. Souvent isolée – à cause des barrières de la langue et de la culture. Le tueur utilise peut-être cette fragilité pour se rapprocher d’eux. En exploitant la solitude ou la pression de plaire dans le pays d’accueil.
Foucault hocha la tête avant de hausser les épaules.
– Explorez toutes les possibilités, leur ordonna-t-il. Juste… (Une pause). N’en faites pas une affaire personnelle. (Il se détourna d’Adèle). Agent Henry, vous allez rester ici, je suppose ?
Le directeur le fixait maintenant.
Robert se tritura la moustache.
– Je vais laisser le travail de terrain aux jeunes.
Foucault s’intéressa à nouveau à Adèle.
– La deuxième scène de crime ? Elle est toujours sous notre supervision.
– Je suis prête à y aller si elle n’est pas trop fatiguée, déclara Paige, s’exprimant pour la première fois depuis qu’ils étaient entrés dans le bureau.
Le commentaire semblait assez innocent, mais l’intonation souleva les foudres d’Adèle.
Maintenant que l’attention était à nouveau concentrée sur elle, Adèle soupira doucement.
Des Américains en France, des expatriés – elle se sentait proche d’eux, solidaire. Adèle savait ce que signifiait passer d’un pays à l’autre, retrouver des racines, reconstruire sa vie.
Mais ces vies s’étaient construites jusqu’à ce que le sang éclabousse le sol de leurs appartements. Aucune preuve matérielle. Aucun signe de lutte. Aucun signe d’effraction.
Ce n’était pas le moment de se reposer.
– Je suis prête, lança Adèle avec défi, se tournant déjà vers la porte.
CHAPITRE SEPT
Frustrée, Adèle serra les dents, tapotant impatiemment le cadre de la porte qui menait à l’appartement du bout des doigts. Elle jeta un coup d’œil à sa montre pour la dixième fois en trente minutes et fronça encore davantage les sourcils. Son visage s’assombrit, elle sentit qu’elle commençait à bouillir intérieurement.
– Seigneur, marmonna Adèle.
Elle plissa les yeux en direction de la rue, suivant le flux des véhicules. Elle essayait de repérer une voiture de fonction, mais son attention n’était attirée que par le véhicule qu’elle avait garé le long du trottoir, près de l’horodateur. C’était encore l’après-midi, le soleil était haut dans le ciel, illuminant l’horizon.
Adèle et Sophie avaient pris des véhicules séparés, car Adèle se rendrait directement chez Robert depuis la scène du crime.