Gina ferma son magazine de jardinage.
– La conseillère ?
– Oui, la conseillère Muir, lui dit Lacey. C’est la tante de Suzy. Toute cette histoire de B&B semble faire partie des plans du maire Fletcher pour revitaliser l’est de Wilfordshire. Non pas que ce soit la faute de Suzy en soi, mais ça l’a fait paraître encore moins à la hauteur. Qui sait à quoi ressemble son véritable plan de développement, ou s’il a été approuvé juste grâce de sa tante.
Gina se tapota le menton.
– Humm. Donc Carol était sur quelque chose après tout.
– En quelque sorte.
– Mais en mettant de côté tous ces trucs politiques, ajouta Gina en pivotant sur son tabouret pour faire directement face à Lacey. Qu’est-ce que ça signifierait pour toi de t’impliquer ?
Lacey fit une pause. Une petite lueur d’excitation s’alluma en elle. Si elle mettait de côté tous les doutes tenaces, c’était vraiment une occasion extraordinaire.
– Cela signifierait que j’aurais la responsabilité de meubler une propriété de quatre cents mètres carrés avec des objets d’époque. Pour un amateur d’antiquités, c’est en gros le paradis.
– Et l’argent ? demanda Gina.
– Oh, ça rapporterait beaucoup de dollars. Nous parlons de milliers de livres de stocks. Toute une salle à manger. Un vestibule. Un bar. Six chambres et une suite nuptiale. C’est une entreprise énorme. Ajoute à cela la possibilité de travailler davantage à l’avenir en faisant connaître mon nom, et le fait qu’avoir un B&B pour des occasions spéciales comme le spectacle aérien aura des répercussions positives pour le reste de la ville…
Gina commençait à sourire.
– Il me semble que tu t’es persuadée de le faire.
Lacey fit un signe de tête évasif.
– Peut-être que oui. Mais est-ce que ce ne serait pas fou ? Je veux dire, elle veut que ce soit fait à temps pour le spectacle aérien. Qui est samedi !
– Et depuis quand travailler dur te fait peur ? demanda Gina. Elle fit un geste des bras vers le magasin d’antiquités. Regarde tout ce que tu as déjà accompli en travaillant dur.
Lacey était trop modeste pour accepter le compliment, excepté le sentiment qu’elle pouvait sentir derrière. Elle était devenue une preneuse de risques. Si elle n’avait pas quitté son travail à New York et pris le premier vol pour l’Angleterre, elle n’aurait jamais pu se construire cette vie merveilleuse. Elle aurait été une misérable divorcée, allant toujours chercher le café pour Saskia comme une stagiaire plutôt que comme une assistante avec quatorze ans d’expérience. Accepter ce travail avec Suzy était le genre de chose pour laquelle Saskia se battrait bec et ongles manucurés. C’était une raison suffisante pour le faire.
– Je pense que tu sais quoi faire, dit Gina. Elle prit le téléphone et le laissa tomber devant Lacey. Appelle Suzy et dis-lui que tu es d’accord.
Lacey regarda fixement le téléphone en se mordant la lèvre inférieure.
– Mais qu’en est-il de tous les coûts ? dit-elle. Un tel inventaire en si peu de temps sera une énorme dépense d’un seul coup. Bien plus que ce que je dépense habituellement pour le stock.
– Mais tu seras payée pour ça, non ? dit Gina.
– Seulement après que le B&B commence à gagner de l’argent.
– Ce qui est un fait acquis, n’est-ce pas ? Donc, tu es sûre de faire des profits dans le temps. Gina poussa le téléphone vers Lacey. Je pense que tu cherches des excuses.
Elle avait raison, mais cela n’empêcha pas Lacey d’en trouver une autre.
– Et toi ? dit-elle. Il faudrait que tu t’occupes du magasin pendant toute une semaine ? Je n’aurai pas le temps de faire autre chose.
– Je peux parfaitement gérer le magasin toute seule, lui assura Gina.
– Et Chester ? Il devra rester avec toi pendant que je travaille. Suzy n’aime pas les chiens.
– Je pense que je peux m’occuper de Chester, pas toi ?
Le regard de Lacey passa de Gina au téléphone, puis de nouveau à Gina. Puis, d’un geste rapide, elle tendit la main, attrapa le combiné et entra le numéro de Suzy.
– Suzy ? dit-elle à la seconde où l’on répondit à l’appel. J’ai pris ma décision. J’en suis.
CHAPITRE QUATRE
– Oh, Percy, ils sont merveilleux ! s’extasia Lacey au téléphone tout en regardant la boîte ouverte remplie de fourchettes en argent, qu’elle venait de recevoir de son antiquaire de Mayfair préféré. Elle se trouvait dans l’arrière-boutique exiguë du magasin, entourée de classeurs remplis de listes, de croquis, de planches de tendances, de dessins détaillés et de tout un tas de tasses tachées de café.
– Ils sont tous rassemblés dans des ensembles complets, expliqua Percy. Salade, soupe, poisson, dîner, dessert et huîtres.
Lacey eut un grand sourire.
– Je ne sais pas si Suzy a l’intention de servir des huîtres, mais si les Victoriens avaient des fourchettes à huîtres sur leur table, alors nous ferions mieux d’en avoir sur la nôtre.
Elle entendit le rire de grand-père de Percy dans le haut-parleur.
– Ça a l’air vraiment excitant, dit-il. Je dois dire que ce n’est pas souvent que je reçois une commande pour tout ce que tu as de victorien.
– Oui, eh bien, dit Lacey. Je suis sûre que ce n’est pas souvent qu’un de tes acheteurs est chargé de transformer une maison de retraite en un B&B au thème victorien en une semaine !
– Dis-moi, est-ce que tu dors ?
– Quatre bonnes heures par nuit, dit Lacey en riant.
Malgré tout le travail acharné qu’elle avait fourni jusque-là, elle trouvait le projet passionnant. Exaltant, même. C’était comme un mystère que seule elle pouvait résoudre, avec une horloge qui faisait tic-tac dans un coin.
– Ne t’use pas jusqu’à la corde, dit Percy, toujours doux.
Elle raccrocha, prit un marqueur et fit une grande croix à côté d’“ustensiles”. Elle en était maintenant à la moitié de sa liste, après avoir demandé une centaine de faveurs, traversé la région en voiture jusqu’à Bristol et Bath pour récupérer des pièces particulièrement exceptionnelles, puis être allée en dehors de la région jusqu’à Cardiff juste pour une magnifique pièce d’eau en pierre qui serait parfaite dans le vestibule.
De toutes les pièces, le vestibule s’était avéré le plus difficile à concevoir. Son architecture était en gros celle d’une véranda. Lacey s’était inspirée de structures victoriennes comme l’Alexandra Palace à Londres et les serres de Kew Gardens. Suzy y avait fait venir les décorateurs, qui étaient là en ce moment et arrachaient le sol en lino, jetaient les stores dignes de la salle d’attente d’un dentiste et recouvraient les cadres en PVC blanc de fines plaques de métal pliable, peintes en noir pour ressembler à du fer.
Jusqu’à présent, le travail avait été amusant, même avec le manque de sommeil et les longs trajets en voiture. Mais le trou sur son solde bancaire était un peu alarmant. Lacey avait rassemblé des milliers et des milliers de livres de meubles, tous parfaitement adaptés au thème de pavillon de chasse de Suzy. Et si elle savait que Suzy réglerait la facture dès qu’elle aurait dégagé des bénéfices, elle n’en était pas moins très mal à l’aise de constater la baisse massive de son compte. Surtout si l’on considérait le marché qu’elle avait conclu avec Ivan pour l’hypothèque de Crag Cottage. Elle n’aimerait pas être dans l’incapacité de pouvoir payer cet homme adorable qui lui avait vendu la maison de ses rêves, mais si la facture de Suzy n’était pas réglée avant la fin du mois de juin, elle serait obligée de le faire.
Le fusil à lui seul valait 5 000 livres sterling ! Lacey avait failli s’étouffer avec son cappuccino quand elle avait cherché sa valeur pour l’ajouter à la facture de Suzy, et avait immédiatement envoyé un message à Xavier lui suggérant de lui transférer un peu d’argent. Mais il lui avait répondu c’est un cadeau, ce qui lui avait fait regretter de l’avoir immédiatement vendu. Mais pas trop. Car quel homme envoie innocemment une antiquité de valeur à une femme sans avoir certaines pensées en tête ? Lacey commençait à accepter que Gina ait pu avoir raison sur les intentions de Xavier, et décida qu’il valait mieux minimiser ses contacts avec lui. De plus, elle avait une toute nouvelle piste à suivre dans la recherche de son père maintenant, avec l’ancien club de tir du Manoir Penrose, donc Xavier n’était plus le fil d’Ariane qu’il avait été.