« C'est l'heure d'aller au lit », répéta-t-elle avec lassitude. Tout en gardant sa main gauche fermement sur l'épaule de Marc, elle sortit la clé de la serrure. Remarquant un crochet haut sur le mur, elle la tendit et l'accrocha là. Elle fit monter Marc à l'étage sans lâcher prise. Ella trottinait à côté et Antoinette traînait désespérément derrière elle, claquant la porte de sa chambre sans même dire bonne nuit.
« Tu veux que je te lise une histoire ? demanda-t-elle à Marc, mais il hocha la tête pour refuser.
— D'accord. Au lit, alors. Tu pourras te lever tôt demain et jouer avec tes soldats si tu te couches maintenant. »
Ce fut la seule motivation qui lui vint à l'esprit, mais cela semblait fonctionner ; ou peut-être que la fatigue avait finalement rattrapée le jeune garçon. En tout cas, à son grand soulagement, il fit ce qu'elle ordonna. Elle remonta la couette et remarqua que ses mains tremblaient d'épuisement. S'il faisait une autre tentative d'évasion, elle savait qu'elle allait éclater en sanglots. Elle n'était pas convaincue qu'il resterait au lit, mais pour l'instant, au moins, son travail était terminé.
« Je veux une histoire. Ella tira son bras. Tu m'en lis une ?
—Bien sûr. » Cassie se dirigea vers sa chambre et choisit un livre parmi la petite sélection sur l'étagère. Ella sauta dans son lit, bondissant sur le matelas avec excitation, et Cassie se demanda combien de fois on lui avait fait la lecture dans le passé, car cela ne semblait pas faire partie de sa routine habituelle. Bien qu'elle présuma qu'il n'y avait pas grand-chose de normal dans l'enfance d'Ella jusque-là.
Elle lut l’histoire la plus courte qu'elle put trouver, mais Ella insista pour en avoir une deuxième. Les mots nageaient devant ses yeux au moment où elle arriva à la fin et referma le livre. En levant les yeux, Cassie fut soulagée de voir que la lecture avait apaisé Ella, et elle s'endormit enfin.
Elle éteignit la lampe et ferma la porte. En redescendant le couloir, elle partit voir Marc, en restant aussi silencieuse que possible. Heureusement, la pièce était toujours sombre et elle pouvait entendre une légère respiration.
Quand elle ouvrit la porte d'Antoinette, la lumière était allumée. Antoinette était assise dans son lit, griffonnant des notes dans un livre à couverture rose.
« Tu frappes avant d'entrer, réprimanda-t-elle à Cassie. C'est une règle.
—Je suis désolée. Je promets de le faire à partir de maintenant », s'excusa Cassie. Elle craignait qu'Antoinette ne transforme la règle enfreinte en une dispute, mais elle se tourna plutôt vers son carnet de notes, écrivant quelques mots de plus avant de le fermer.
« Tu finis tes devoirs ? » demanda Cassie, surprise parce qu'Antoinette ne semblait pas être une personne à repousser les choses à la dernière minute. Sa chambre était impeccable. Les vêtements qu'elle avait enlevés tout à l'heure étaient pliés dans le panier à linge, et son cartable, bien rangé, était placé sous un bureau blanc parfaitement ordonné.
Elle se demanda si Antoinette avait l'impression que sa vie manquait de contrôle et qu'elle essayait de l'exercer dans son environnement immédiat. Ou peut-être, puisque cette dernière avait clairement indiqué qu'elle n’appréciait pas la présence d'une fille au pair, elle essayait de prouver qu'elle n'avait besoin de personne pour prendre soin d'elle.
« Mes devoirs sont faits. J'écrivais dans mon journal intime, lui dit Antoinette.
— Tu fais ça tous les soirs ?
— Je le fais quand je suis en colère. » Elle remit le couvercle sur son stylo.
« Je suis désolée pour ce qui s'est passé ce soir », sympathisa Cassie, comme si elle marchait sur de la glace qui pourrait se briser à tout moment.
« Margot me déteste et je la déteste », dit Antoinette, sa voix légèrement tremblante.
— Non, je ne pense pas que ce soit vrai, protesta Cassie, mais Antoinette hocha la tête.
— C’est vrai. Je la déteste. J'aimerais qu'elle soit morte. Elle a déjà dit des choses comme ça avant. Ça me met tellement en colère que je pourrais la tuer. »
Cassie la dévisagea en état de choc.
Ce ne furent non seulement les paroles d'Antoinette, mais la façon calme dont elle les prononça, qui la refroidirent. Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle devait répondre. Était-il normal qu'un enfant de douze ans ait ces pensées meurtrières ? Antoinette devrait sûrement être aidée à gérer cette colère par quelqu'un de mieux qualifié. Un conseiller, un psychologue, même un curé de paroisse.
Eh bien, en l'absence de toute personne compétente, elle supposait qu'elle était la seule disponible.
Cassie passa en revue ses propres souvenirs, essayant de se rappeler ce qu'elle avait dit et fait à cet âge. Comment elle avait réagi et ce qu'elle avait ressenti quand sa propre situation avait dégénéré. Avait-elle déjà voulu tuer quelqu'un ?
Elle se souvint soudain d'une des copines de son père, Elaine, une blonde aux longs ongles rouges et au rire aigu et strident. Elles se détestèrent dès le premier regard. Pendant les six mois qu'Elaine était sur les lieux, Cassie l'avait détestée avec vengeance. Elle ne se souvenait pas d'avoir souhaité sa mort, mais elle l'avait certainement souhaité partie.
C'était probablement la même chose. Antoinette était plus franche, c'est tout.
— Ce que Margot a dit n'était pas juste du tout, acquiesça Cassie, parce que ça ne l'avait pas été. Mais les gens disent des choses qu'ils ne pensent pas sous le coup de la colère. »
Bien sûr, les gens disaient parfois la vérité quand ils étaient en colère, mais elle n'allait pas s'engager dans cette voie.
« Oh, elle le pensait », lui assura Antoinette. Elle remuait son stylo, tordant violemment son capuchon d'un côté à l'autre.
« Et papa prend toujours sa défense maintenant. Il ne pense qu'à elle et jamais à nous. C'était différent quand ma mère était en vie. »
Cassie hocha la tête en signe de sympathie. C'était aussi son expérience.
« Je sais, dit-elle.
— Comment le sais-tu ? » Antoinette la regarda avec curiosité.
— Ma mère est morte quand j'étais jeune. Mon père a aussi amené de nouvelles petites amies - euh, je veux dire une nouvelle fiancée - à la maison. Cela entraîna beaucoup d'affrontements et d'hostilités. Ils ne m'aimaient pas, je ne les aimais pas. Heureusement que j'avais une sœur aînée.
Hâtivement, Cassie se corrigea à nouveau.
— J'ai une sœur aînée, Jacqui. Elle a tenu tête à mon père et m'a aidé à me protéger quand il y avait des disputes. »
Antoinette acquiesça d'un signe de tête.
« Tu as pris ma défense ce soir. Personne n'a jamais fait ça avant. Merci d'avoir fait ça. »
Elle contempla Cassie, les yeux grands et bleus, et Cassie sentit une boule dans sa gorge devant l'inattendue gratitude.
« C'est pour ça que je suis là, dit-elle.
— Je suis désolée de t'avoir dit de marcher dans les orties. » Elle jeta un coup d'œil sur les marques des mains de Cassie, toujours enflées et enflammées.
« Ce n'est vraiment pas un problème. Je comprends que c'était juste une blague. » Des larmes inondèrent ses yeux alors qu'une vague de sympathie s'élevait en elle. Elle ne s'attendait pas à ce qu'Antoinette baisse sa garde. Elle comprenait exactement à quel point elle devait se sentir seule et vulnérable. C'était terrible de penser qu'Antoinette avait déjà subi des violences verbales de la part de Margot, sans que personne ne soit là pour la protéger, elle et son père s'étant délibérément rangés contre elle.
Eh bien, elle avait quelqu'un maintenant - Cassie était de son côté et la soutiendrait peu importe ce qu'il fallait faire. La journée n'avait pas été un désastre complet si elle avait réussi à se rapprocher de cet enfant complexe et troublé.
« Essaie de dormir maintenant. Je suis sûre que les choses iront mieux demain matin.