“Exactement”, dit Reid.
“Pourtant, regardez ça”, dit Jessie en désignant le bras. “Mis à part l’endroit qui contient la seringue, il a le bras gauche lisse, sans trace de piqûre.”
“Qu’en déduisez-vous ?” demanda Hernandez, qui commençait à voir où elle voulait en venir.
“J’en déduis qu’il ne se shootait jamais dans le bras gauche. D’après ce que je vois, ce n’est pas non plus la sorte de gars qui laisserait quelqu’un d’autre le shooter dans ce bras. Il avait un système. Il était très méthodique. Regardez le dos de sa main droite. Il y a des marques, là aussi. Il préférait se shooter dans la main que demander à quelqu’un d’autre de le lui faire. Je parie que, si nous lui enlevions ses chaussettes, nous trouverions aussi des traces de piqûre entre les orteils de son pied droit.”
“Donc, selon vous, il n’aurait pas eu d’overdose ?” demanda Reid d’un air sceptique.
“Je suggère que quelqu’un veut faire croire qu’il a eu une overdose mais que cette personne s’est mal débrouillée et s’est contentée d’enfoncer la seringue quelque part dans son bras gauche, celui qu’une personne droitière piquerait instinctivement.”
“Pourquoi ?” demanda Reid.
“Eh bien”, dit prudemment Jessie, “j’ai commencé à penser au fait qu’il lui manque ses chaussures. Il a tous ses autres vêtements. Je me demande si, comme il avait été joueur pro, ses chaussures étaient chères. Certaines marques ne coûtent-elles pas des centaines de dollars ?”
“C’est vrai”, répondit Hernandez, visiblement passionné. “En fait, quand il a rejoint la ligue et que tout le monde pensait qu’il allait être formidable, il a signé un contrat avec une jeune entreprise de chaussures du nom de Hardwood. La plupart des joueurs signaient chez une des grandes entreprises de chaussures de sport comme Nike, Adidas ou Reebok mais Lionel avait signé chez ces gars-là. Ils étaient considérés comme étant avant-gardistes, peut-être trop, vu qu’ils ont fait faillite il y a quelques années.”
“Donc, en fait, ces chaussures de sport ne valent plus tant que ça”, dit Reid.
“Non, c’est le contraire”, corrigea Hernandez. “Comme ils ont fait faillite, leurs chaussures sont devenues vintage. Il y en a un nombre limité en circulation, ce qui fait que chaque paire est précieuse pour les collectionneurs. En tant que porte-parole de l’entreprise, Lionel a probablement reçu tout un camion de leurs chaussures quand il a signé le contrat. De plus, je serais prêt à parier que ce sont ces chaussures qu’il portait hier au soir.”
“Donc”, reprit Jessie, “quelqu’un l’a vu porter les chaussures. Cette personne avait peut-être un besoin désespéré de liquide. Lionel n’avait pas la réputation d’être un dur. Il était une cible facile. Donc, cette personne a tué Lionel, volé les chaussures et enfoncé une seringue dans son bras en espérant qu’on prendrait ça pour une simple overdose.”
“Ça se tient”, dit Hernandez. “Voyons si nous pouvons lancer une recherche dans les environs. Il nous faut un homme qui porte une paire de Hardwoods.”
“Si Lionel n’a pas eu d’overdose, alors, comment le meurtrier l’a-t-il tué ?” se demanda Reid. “Je ne vois pas de sang.”
“Je pense que c’est une excellente question … à poser au médecin légiste”, dit Hernandez qui sourit puis passa de l’autre côté du cordon de police. “Et si on en appelait un avant d’aller déjeuner ?”
“Il faut que je file à la banque”, dit Reid. “Je vous retrouve au poste, d’accord ?”
“OK. On dirait qu’on va se retrouver seuls, Jessie”, dit Hernandez. “Aimeriez-vous un hot dog ? J’ai vu un vendeur de l’autre côté de la rue.”
“Je crois que je vais le regretter mais je vais quand même en manger un pour ne pas avoir l’air d’une mauviette.”
“Vous savez”, précisa-t-il, “si vous dites que vous ne le faites que pour ne pas passer pour une mauviette, tout le monde comprendra la manœuvre. C’est un peu une tactique de mauviette. Simple conseil de pro.”
“Merci, Hernandez”, répondit Jessie. “J’apprends plein de nouvelles choses, aujourd’hui.”
“On appelle ça la formation sur le terrain”, dit-il en continuant à la taquiner pendant qu’ils remontaient vers la grande rue. “En plus, si vous prenez des oignons et des poivrons avec votre hot-dog, ça vous fera peut-être une bonne réputation.”
“Génial”, dit Jessie en faisant la grimace. “Qu’en pense votre femme quand vous êtes allongé à côté d’elle et que vous sentez le hot-dog ?”
“Ce n’est pas vraiment un problème”, dit Hernandez avant de se tourner vers le vendeur pour lui commander son hot-dog.
Jessie fut surprise par quelque chose dans la réponse d’Hernandez. Quand sa femme était au lit, elle était peut-être indifférente à l’odeur des oignons et des poivrons mais, d’après son ton, on pouvait penser que ce n’était pas vraiment un problème parce qu’il ne couchait plus dans le même lit que sa femme ces temps-ci.
Malgré sa curiosité, Jessie n’insista pas. Elle connaissait à peine cet homme. Elle n’allait pas l’interroger sur l’état de son couple mais elle aurait bien voulu trouver d’une façon ou d’une autre si elle avait deviné de travers ou si elle avait bien soupçonné.
Elle se rendit compte que le vendeur la regardait parce qu’il voulait qu’elle passe sa commande. Elle regarda le hot-dog d’Hernandez, qui débordait d’oignons, de poivrons et de ce qui devait être de la sauce salsa. L’inspecteur la fixait, visiblement prêt à se moquer d’elle.
“Je veux la même chose que lui”, dit-elle. “Exactement la même chose.”
*
Quand ils furent de retour au poste quelques heures plus tard et que Jessie sortit des toilettes des femmes pour la troisième fois, Hernandez approcha d’elle avec un grand sourire. Elle se força à avoir l’air détendue et ignora le gargouillis désagréable qu’elle avait au ventre.
“Bonne nouvelle”, dit-il, heureusement inconscient de l’inconfort de Jessie. “On nous a dit que quelqu’un avait été intercepté il y a quelques minutes de cela avec des Hardwood d’une taille qui correspondait à celle des pieds de Lionel, qui chaussait du quarante-neuf. La personne qui portait les chaussures de sport avait des pieds de taille quarante-deux. Donc, vous voyez, c’était un peu louche. Bien vu.”
“Merci”, dit Jessie en essayant de faire comme si ce n’était pas grand-chose. “Est-ce que le médecin légiste a fourni une cause possible de décès ?”
“On n’a rien d’officiel pour l’instant mais, quand ils ont retourné Lionel, ils ont trouvé une énorme vergeture à l’arrière de sa tête. Donc, ça pourrait être un hématome sous-dural. Cela expliquerait le manque de sang.”
“Excellent”, dit Jessie, heureuse que sa théorie semble avoir été la bonne.
“Oui, mais sa famille ne se réjouit pas, elle. Sa mère est venue ici pour identifier le corps et, apparemment, elle est complètement décomposée. Elle est célibataire. Je me souviens avoir lu dans un article sur son fils qu’elle avait trois boulots quand Lionel était enfant. Elle a dû penser qu’elle pourrait travailler moins quand il serait riche mais j’imagine que ça ne va pas se passer comme ça.”
Comme Jessie ne savait pas quoi répondre, elle se contenta de hocher la tête en silence.
“J’en ai fini pour aujourd’hui”, dit brusquement Hernandez. “On va boire un coup à plusieurs. Tu peux venir si tu veux. Je te dois vraiment une tournée.”
“J’aimerais bien mais je dois aller en boîte avec ma coloc ce soir. Elle pense qu’il est temps que je me remette à draguer.”
“Et toi, qu’en penses-tu ?” demanda Hernandez en levant les sourcils.
“Je pense qu’elle est implacable et qu’elle ne me laissera pas tranquille tant que je n’y serai pas allée au moins une fois, même si on est lundi. Ça devrait me laisser quelques semaines de sursis avant qu’elle recommence à me tanner.”
“Eh bien, amuse-toi”, dit-il en essayant d’avoir l’air optimiste.
“Merci. Je suis sûre que je vais m’ennuyer.”
CHAPITRE SIX
Le club était sombre et bruyant et Jessie sentait venir un mal au crâne.