De beaucoup de façons, c'étaient probablement eux les plus rationnels. Felene avait toujours eu plus d'affinités pour les gens qui venaient voler après un combat que pour ceux qui risquaient leur vie. Ils comprenaient, eux, comment on se protège. C'étaient les siens.
Alors, une idée lui vint et elle dirigea son skiff vers un des groupes. De son meilleur bras, elle sortit un couteau.
“Salut !” cria-t-elle en dialecte de Felldust, le prononçant le mieux possible.
Un homme apparut au-dessus de la balustrade, braquant un arc vers elle. “Tu t'imagines qu'on va prendre tous les —”
Felene lança le couteau et il gargouilla, coupé au milieu de sa phrase. Il tomba du bateau et frappa l'eau en la faisant éclabousser.
“C'était un de mes meilleurs hommes”, dit la voix d'un homme.
Felene rit. “J'en doute, ou tu ne l'aurais pas envoyé à la balustrade pour voir si j'étais dangereuse. C'est toi le capitaine de ce navire ?”
“Oui”, répondit-il.
C'était une bonne chose. Felene n'avait pas de temps à perdre en négociant avec ceux qui n'étaient pas en position de le faire.
“Vous allez tous à Delos ?” demanda-t-elle.
“Où veux-tu qu'on aille sinon à Delos ?” répondit le capitaine. “Tu penses qu'on est partis pêcher ?”
Felene pensa à quelques-uns des requins qui l'avaient chassée alors qu'elle rejoignait la rive. Elle pensa au corps qui coulait maintenant vers eux. “Peut-être. Il y a des appâts dans l'eau et on trouve de gros poissons dans cette zone.”
“Et d'autres encore plus gros à Delos”, répondit la voix. “Tu veux te joindre à notre convoi ?”
Felene se força à hausser les épaules comme si elle n'en avait que faire. “J'imagine qu'une épée de plus pourra vous être utile.”
“C'est cinquante épées de plus qu'il faudrait avoir. Cela dit, on dirait que tu sais te battre. Tu ne nous ralentis pas et tu manges tes propres victuailles. Ça te va ?”
Ça lui allait parfaitement bien, puisqu'elle venait de trouver le moyen d'entrer à Delos. Même si le cordon de navires qui encerclait la cité montait la garde, la flotte de Felldust ne lui prêterait aucunement attention quand elle en ferait partie.
“Ça me va”, répondit-elle. “Tant que vous ne me ralentissez pas à moi !”
“Tu veux de l'or, hein ? J'aime ça.”
Ils pouvaient aimer ce qu'ils voulaient tant qu'ils laissaient Felene tranquille. Qu'ils pensent qu'elle était venue pour l'or. La seule chose qui comptait, c'était —
La quinte de toux prit Felene par surprise et sa violence la plia presque en deux. Elle la traversa brutalement et elle eut la sensation que ses poumons avaient pris feu. Elle mit une main à la bouche et, quand elle la retira, elle vit qu'elle était tachée de sang.
“Tu vas bien, dis donc ?” cria le capitaine du navire de Felldust, d'un ton visiblement soupçonneux. “C'est du sang ? Tu n'as pas la peste ou autre chose, hein ?”
Felene était certaine que, s'il pensait qu'elle avait la peste, il la forcerait à voyager seule ou alors mettrait le feu à son navire rien que pour s'assurer qu'aucune maladie ne s'approche du sien.
“Je me suis prise un coup de poing au ventre dans une bagarre sur les quais”, mentit-elle en s'essuyant la main sur la balustrade. “Rien de grave.”
“Si tu craches du sang, ça doit être assez grave”, répondit le capitaine. “Tu devrais aller trouver un guérisseur. Si on meurt, on ne peut pas dépenser d'or.”
C'était probablement un bon conseil mais Felene n'avait jamais été du style à écouter les bons conseils, surtout quand elle avait mieux à faire. Si elle n'avait été intéressée que par l'or, elle aurait probablement fait exactement ce que suggérait l'homme.
“C'est ce qu'on dit”, plaisanta Felene. “Moi, je dis qu'on devrait essayer plus fort.”
Elle laissa rire le capitaine du navire. Elle avait mieux à faire.
Il était temps de tuer Stephania et Elethe.
CHAPITRE SEPT
Tous les jours, le convoi d'ex-appelés faisait le tour de la campagne qui entourait Delos et, tous les jours, Sartes regardait fixement Leyana en essayant de trouver le moyen de lui dire ce qu'il ressentait quand il était avec elle.
Tous les jours, Sartes passait du temps à essayer de le dire avec des mots, de penser aux choses qu'une personne plus éloquente aurait pu trouver. Qu'est-ce que Thanos aurait dit, ou Akila, ou … ou n'importe quel autre homme à moitié amoureux qui ne savait pas comment continuer ?
Il passait son temps tantôt à penser à Leyana tantôt à penser aux choses qu'il aurait dû être en train de faire. Ils allaient de village en village, distribuaient les victuailles qu'ils avaient, ramenaient chez eux des appelés qui en avaient été arrachés et rassuraient les gens de leur mieux en leur disant que la rébellion ne serait pas une autre bande de tyrans.
Tous les jours, il essayait de préparer quelque chose à dire et, tous les jours, au moment de bivouaquer, il se rendait compte qu'il n'avait rien dit.
“Tu vas bien ?” demanda Leyana avec un sourire. Elle avait pris l'habitude de chevaucher dans le même chariot que Sartes, et Sartes était bien obligé d'admettre qu'il aimait ça. Le soir, quand ils bivouaquaient, la tente de Leyana n'était jamais loin de la sienne. Sartes aimait aussi ça. Il était reconnaissant du fait que, s'ils devaient être attaqués, il pourrait se ruer vers elle pour la sauver.