Elle réalisa qu’en partant à la hâte, elle avait omis de raconter à Ray l’appel anonyme au sujet d’Evie, ainsi que son détour à l’entrepôt abandonné.
Concentre-toi sur ce dossier, Keri. Sur Kendra Burlingame.
Elle envisagea d’appeler l’agent Kevin Edgerton, l’expert en informatique qui localisait la dernière position connue des GPS de Kendra, afin d’avoir des nouvelles.
Une part d’elle-même était irritée à la pensée que cette nouvelle mission empêche Edgerton de travailler à hacker l’ordinateur de Pachanga. Encore une fois, la frustration l’envahit lorsqu’elle se remémora qu’ils avaient cru accéder à une abondance d’informations, pour finalement être confrontés à d’innombrables obstacles.
Keri était certaine que le code dont ils avaient besoin se trouvait quelque part dans le dossier de Pachanga, auprès de son avocat, Jackson Cave. Elle résolut de rendre visite à Cave aujourd’hui, sans défaut.
Alors qu’elle se promettait cela, elle arriva en face de la maison de Becky Sampson.
Ok, mettons de côté Jackson Cave. Kendra Burlingame a besoin de mon aide. Concentre-toi, Keri.
Elle sortit de sa voiture et, en s’approchant de l’entrée de l’immeuble, balaya du regard les environs. Becky Sampson vivait dans un bâtiment de style Tudor, à trois étages. Toute la rue, North Stanley Drive, était bordée de bâtiments de la sorte, aux ornements factices.
Ce quartier de Beverly Hills, au sud de Cedars-Sinai et à l’ouest de Robertson Boulevard, se trouvait techniquement à l’intérieur de Los Angeles. Mais puisqu’il était périphérique et entouré de zones industrielles, les loyers étaient considérablement plus bas qu’en ville. Toutefois, le quartier était bien celui de Beverly Hills, et cette dénomination à elle seule comportait des avantages.
Keri sonna à la porte, qui s’ouvrit immédiatement. Une fois à l’intérieur, elle comprit que le code postal était justement le principal argument de vente de cet immeuble – en tout cas, ce n’était pas son architecture. En marchant vers l’ascenseur, Keri remarqua la peinture rose défraîchie sur les murs et l’aspect miteux de la moquette. Une odeur de moisi flottait dans l’air.
L’ascenseur était encore pire, comme si on avait vomi tellement de fois dedans que l’odeur, à présent, ne partait plus. La cabine se hissa avec plusieurs cahots jusqu’au troisième étage, et les portes s’ouvrirent en grinçant. Keri mit le pied sur le palier en se jurant de prendre l’escalier pour redescendre.
Elle frappa à la porte de l’appartement 323, ôta la sécurité de son pistolet et posa la main dessus dans une position nonchalante. Elle entendit un bruit caractéristique de vaisselle qu’on empilait sans cérémonie dans l’évier, ainsi que le bruit d’un objet qu’on ramassait par terre et qu’on jetait dans une armoire.
Maintenant, elle est en train de vérifier son allure dans un miroir près de la porte d’entrée. Voilà son ombre derrière le judas – elle regarde qui je suis... La porte devrait s’ouvrir dans trois, deux...
Le verrou cliqueta et la porte s’ouvrit sur une femme mince, qui semblait troublée. Becky devait avoir le même âge que Kendra, puisqu’elles s’étaient rendues à une réunion d’anciens élèves ensemble, mais elle semblait bien plus vieille, plus proche de la cinquantaine que des quarante ans. Ses cheveux étaient d’un brun terne, manifestement teints, et ses yeux étaient aussi injectés de sang que l’étaient normalement ceux de Keri. Le premier adjectif qui vint à l’esprit de Keri pour la décrire fut « fébrile ».
« Becky Sampson ? » demanda-t-elle, comme l’exigeait le protocole, bien que la femme en face d’elle corresponde tout à fait à la photo d’identité qu’elle avait reçue en chemin. Sa main droite reposait toujours sur la crosse de son pistolet.
« Oui, c’est moi. Agent Locke ? Rentrez, je vous prie. »
Keri s’avança, tout en conservant une certaine distance entre elle et Becky. Même les aspirantes mondaines de Beverly Hills maigres comme des clous pouvaient faire des ravages si on baissait la garde. Keri s’efforça de ne pas montrer à quel point l’odeur de moisi de l’appartement la dérangeait.
« Je peux vous offrir quelque chose à boire ? demanda Becky.
— Un verre d’eau, merci beaucoup », répondit Keri, surtout parce que cela lui permettrait de prendre la mesure de l’appartement pendant que son hôte était dans la cuisine.
Les fenêtres étaient fermées et les rideaux tirés, ce qui rendait l’atmosphère étouffante. Chaque objet semblait recouvert d’une couche de poussière, de la table aux étagères, en passant par le canapé. Keri entra dans le salon et vit qu’elle se trompait : un emplacement de la table basse était luisant et dépourvu de poussière, comme s’il était perpétuellement en usage. Par terre, en face de cet emplacement, Keri remarqua quelques traces d’une espèce de poudre blanche. Elle s’agenouilla, ignorant la douleur dans ses côtes, et jeta un coup d’œil sous la table. Elle vit un billet d’un dollar à moitié enroulé, recouvert de poussière blanche.
Elle entendit le robinet être fermé et se releva avant que Becky ne revienne dans la pièce, deux verres d’eau à la main.
Becky fut visiblement surprise de trouver Keri si loin de la porte d’entrée, où elle l’avait laissée. Elle la regarda d’un air soupçonneux avant de jeter un coup d’œil involontaire à l’espace propre de sa table basse.
« Ça vous dérange si je m’assois ? demanda Keri. J’ai une côte fêlée et ça fait mal de rester debout trop longtemps.
— Non, asseyez-vous, dit-elle, visiblement apaisée. Comment est-ce arrivé ?
— Un kidnappeur d’enfants m’a mis une raclée. »
Becky écarquilla les yeux, choquée.
« Oh, ce n’est rien, la rassura Keri. Je lui ai tiré dessus après ça. Il est mort. » Certaine à présent qu’elle avait déstabilisé Becky, elle entra dans le vif du sujet :
« Je vous ai dit au téléphone que je voulais vous parler de Kendra Burlingame. Elle a disparu. Savez-vous où elle pourrait se trouver ? »
Les yeux de Becky s’écarquillèrent encore plus. « Quoi ? fit-elle.
— Personne n’a de nouvelles depuis hier matin. Quand est-ce que vous lui avez parlé pour la dernière fois ? »
Becky s’apprêtait à répondre quand elle fut prise d’une quinte de toux. Au bout d’un instant, elle fut suffisamment remise pour répondre : « Nous sommes allées faire du shopping dimanche après-midi. Elle cherchait une nouvelle robe pour le gala de bienfaisance de ce soir. Vous êtes vraiment sûre qu’elle a disparu ?
— Oui, nous en sommes sûrs. Comment se comportait-elle, samedi ? Est-ce qu’elle paraissait anxieuse ou stressée ?
— Pas vraiment », répondit Becky en reniflant. Elle s’empara d’un mouchoir. « Je veux dire, elle avait quelques petits problèmes avec la collecte de fonds dont elle s’occupait, des histoires de traiteurs... Mais rien à quoi elle n’ait pas déjà été confrontée des millions de fois. Elle n’était pas si embêtée que ça.
— Et qu’est ce que ça vous faisait, à vous, Becky ? De l’écouter passer des coups de fil au sujet d’un gala élégant, pendant qu’elle achetait une robe hors de prix ?
— Qu’est ce que vous voulez dire ?
— Je veux dire, vous êtes sa meilleure amie, n’est-ce pas ?
— Depuis presque vingt-cinq ans, répondit Becky en hochant la tête.
— Et elle habite dans un palais dans les collines de Beverly Hills, tandis que vous êtes dans cet appartement deux pièces. Vous n’êtes pas envieuse ? »
Elle scruta la réaction de Becky. Celle-ci avala une gorgée d’eau, puis toussa comme si elle avait fait une fausse route. Elle répondit après quelques secondes.
« Oui, parfois je suis envieuse. Je l’admets. Mais ce n’est pas la faute de Kendra, si la vie n’a pas été aussi généreuse avec moi. Franchement, c’est difficile de lui en vouloir pour quoi que ce soit. C’est la personne la plus gentille que je connaisse. J’ai eu quelques... problèmes... et elle a toujours été là pour me soutenir quand j’ai traversé des mauvaises passes. »