Keri et sa guide atteignirent finalement le bureau de Cave, dont la porte ne présentait aucune indication. La femme précéda Keri à l’intérieur, et lui fit signe de s’asseoir. Il n’y avait personne dans la pièce. Keri s’installa sur le siège luxueux en face du bureau, qui était parfaitement rangé et lustré.
Une fois seule, Keri parcourut la pièce du regard, s’efforçant de dénicher quelques informations sur Jackson Cave. Il n’y avait pas de photos personnelles sur son bureau ni sur le guéridon. Sur les murs étaient accrochées quelques photographies représentant Cave avec des personnalités de la ville, telles que le maire ; des conseillers municipaux ; et quelques célébrités. Ses diplômes d’université étaient également affichés. Toutefois, il n’y avait aucun signe de sa personnalité ou de ses passions.
Avant qu’elle puisse étudier la pièce plus avant, Jackson Cave entra dans son bureau. Elle se leva vivement. Il était exactement tel que dans son souvenir ; ses cheveux d’un noir de jais étaient gominés, comme ceux de Gordon Gekko dans Wall Street. Son sourire faux révélait des dents d’un blanc éblouissant. Il était vêtu d’un costume Michael Kors, sur lequel contrastait sa peau bronzée. Ses yeux bleus perçants avaient un éclat fier qui rappelait à Keri un oiseau de proie en pleine chasse.
Alors, tout d’un coup, elle sut ce qu’elle devait faire. Jackson Cave, comme le montraient ses photos avec des personnalités et son allure impeccable, était un homme à qui il importait de bien paraître. Il gagnait sa vie en charmant les gens – les hommes politiques, les jurés, les médias. Et Keri savait qu’il voudrait la charmer, elle aussi. C’était sa nature.
Je dois couper court à cet élan. Je dois l’attaquer vite et fort, bousculer ses attentes, le déboussoler. La seule façon de percer cette armure et de le faire déraper, c’est si j’arrive à l’atteindre plusieurs fois. Peut-être qu’alors, il laissera échapper quelque chose qui pourrait me conduire à la clé de cryptage.
Si elle parvenait à l’énerver, ou même juste à l’agacer, il pourrait faire une erreur et révéler une information importante, par inadvertance. Étant donné qu’elle le détestait déjà, ce ne serait pas difficile. Elle devait simplement y mettre de la force, et trouver les failles dans son armure cuirassée. Elle ne savait pas exactement quelles pouvaient être ces failles, mais si elle faisait très attention, elle les trouverait.
« Keri Locke, fit Cave en passant derrière son bureau. Quelle surprise. Et dire que nous bavardions dans l’air frais des montagnes il y a seulement quelques semaines. Et maintenant, vous m’accordez une visite dans la jungle urbaine. À quoi dois-je cet honneur ? »
Avant de prendre la parole, Keri fit un pas vers une des photos sur le mur, qui représentait Cave et un élu local. À présent, elle lui tournait le dos. Elle le faisait en partie pour montrer qu’elle dirigeait cet entretien, et en partie pour l’irriter, en refusant de le regarder en face. De plus, elle ne voulait pas qu’il voie qu’elle grimaçait de douleur.
« Désolée de vous déranger, Maître. J’imagine que vous êtes plutôt occupé, à préparer la défense d’un complice d’enlèvement d’enfant.
— Prétendu complice, agent Locke. Prétendu complice. »
Keri ignora son commentaire et poursuivit : « Je suis venue pour vous poser une question. Comment se fait-il que, malgré vos innombrables clients de standing, vous persistez à vouloir travailler pour la lie de notre société ? »
Elle regarda nonchalamment au-dessus de son épaule, prenant garde à bien noter l’expression de Cave. Elle essayait de déceler des signes d’ébranlement, mais il n’en montrait aucun. De toute évidence, il était habitué à ces pointes.
« Tout le monde mérite une défense de qualité, Madame. C’est inscrit dans la Constitution. Sixième amendement. Faites une petite recherche.
— J’en suis consciente, M. Cave, dit-elle en se tournant de nouveau vers le mur de photos. Mais vous pourriez représenter n’importe quel accusé, et pourtant vous paraissez attiré par ceux qui se sont montrés violents envers des femmes et des enfants. Comment ça se fait ?
— Peut-être que je devrais en parler à mon psychothérapeute. »
Cave paraissait détendu, et nullement déstabilisé.
Ça ne fonctionne pas. Il est trop habitué à battre en brèche les attaques au sujet de ses clients. Je dois l’attaquer ailleurs.
« Voilà une remarque mignonne, M. Cave. Je parie que vous vous en servez également pour défendre votre travail en parlant aux gens comme lui », dit-elle en désignant le conseiller municipal dans la photo devant elle. Elle se retourna rapidement pour voir sa réaction, mais il était imperturbable.
« C’est pour ça que vous êtes venue, agent Locke ? Pour me faire culpabiliser ? Comme c’est ennuyant... et décevant. J’en attendais plus de votre part.
— Désolée de vous décevoir. Mais je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi ces gens ne sont pas plus réticents à s’afficher avec vous. Après tout, cette femme n’est-elle pas la présidente d’un groupe de soutien aux victimes de viols ? »
Elle désigna une photo où une femme âgée se collait quasiment à Cave, qui avait passé un bras autour de ses épaules.