Оноре де Бальзак - Le père Goriot стр 3.

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Cette pièce est dans tout son lustre au moment où, vers sept heures du matin, le chat de madame Vauquer précède sa maîtresse ; saute sur les buffets, y flaire le lait que contiennent plusieurs jattes couvertes dassiettes, et fait entendre son rourou matinal. Bientôt la veuve se montre, attifée de son bonnet de tulle sous lequel pend un tour de faux cheveux mal mis, elle marche en traînassant ses pantoufles grimacées. Sa face vieillotte, grassouillette, du milieu de laquelle sort un nez à bec de perroquet ; ses petites mains potelées, sa personne dodue comme un rat déglise, son corsage trop plein et qui flotte, sont en harmonie avec cette salle où suinte le malheur, où sest blottie la spéculation, et dont madame Vauquer respire lair chaudement fétide sans en être écœurée. Sa figure fraîche comme une première gelée dautomne, ses yeux ridés, dont lexpression passe du sourire prescrit aux danseuses à lamer renfrognement de lescompteur, enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. Le bagne ne va pas sans largousin, vous nimagineriez pas lun sans lautre. Lembonpoint blafard de cette petite femme est le produit de cette vie, comme le typhus est la conséquence des exhalaisons dun hôpital. Son jupon de laine tricotée, qui dépasse sa première jupe faite avec une vieille robe, et dont la ouate séchappe par les fentes de létoffe lézardée, résume le salon, la salle à manger, le jardinet, annonce la cuisine et fait pressentir les pensionnaires. Quand elle est là, ce spectacle est complet. Agée denviron cinquante ans, madame Vauquer ressemble à toutes les femmes qui ont eu des malheurs. Elle a lœil vitreux, lair innocent dune entremetteuse qui va se gendarmer pour se faire payer plus cher, mais dailleurs prête à tout pour adoucir son sort, à livrer Georges ou Pichegru, si Georges ou Pichegru étaient encore à livrer. Néanmoins, elle est bonne femme au fond, disent les pensionnaires, qui la croient sans fortune en lentendant geindre et tousser comme eux. Quavait été monsieur Vauquer ? Elle ne sexpliquait jamais sur le défunt. Comment avait-il perdu sa fortune ? Dans les malheurs, répondait-elle. Il sétait mal conduit envers elle, ne lui avait laissé que les yeux pour pleurer, cette maison pour vivre, et le droit de ne compatir à aucune infortune, parce que, disait-elle, elle avait souffert tout ce quil est possible de souffrir. En entendant trottiner sa maîtresse, la grosse Sylvie, la cuisinière, sempressait de servir le déjeuner des pensionnaires internes.

Généralement les pensionnaires externes ne sabonnaient quau dîner, qui coûtait trente francs par mois. À lépoque où cette histoire commence, les internes étaient au nombre de sept. Le premier étage contenait les deux meilleurs appartements de la maison. Madame Vauquer habitait le moins considérable, et lautre appartenait à madame Couture, veuve dun Commissaire-Ordonnateur de la République française. Elle avait avec elle une très-jeune personne, nommée Victorine Taillefer, à qui elle servait de mère. La pension de ces deux dames montait à dix-huit cents francs. Les deux appartements du second étaient occupés, lun par un vieillard nommé Poiret ; lautre, par un homme âgé denviron quarante ans, qui portait une perruque noire, se teignait les favoris, se disait ancien négociant, et sappelait monsieur Vautrin. Le troisième étage se composait de quatre chambres, dont deux étaient louées, lune par une vieille fille nommée mademoiselle Michonneau ; lautre, par un ancien fabricant de vermicelles, de pâtes dItalie et damidon, qui se laissait nommer le Père Goriot. Les deux autres chambres étaient destinées aux oiseaux de passage, à ces infortunés étudiants qui, comme le père Goriot et mademoiselle Michonneau, ne pouvaient mettre que quarante-cinq francs par mois à leur nourriture et à leur logement ; mais madame Vauquer souhaitait peu leur présence et ne les prenait que quand elle ne trouvait pas mieux : ils mangeaient trop de pain. En ce moment, lune de ces deux chambres appartenait à un jeune homme venu des environs dAngoulême à Paris pour y faire son Droit, et dont la nombreuse famille se soumettait aux plus dures privations afin de lui envoyer douze cents francs par an. Eugène de Rastignac, ainsi se nommait-il, était un de ces jeunes gens façonnés au travail par le malheur, qui comprennent dès le jeune âge les espérances que leurs parents placent en eux, et qui se préparent une belle destinée en calculant déjà la portée de leurs études, et, les adaptant par avance au mouvement futur de la société, pour être les premiers à la pressurer. Sans ses observations curieuses et ladresse avec laquelle il sut se produire dans les salons de Paris, ce récit neût pas été coloré des tons vrais quil devra sans doute à son esprit sagace et à son désir de pénétrer les mystères dune situation épouvantable aussi soigneusement cachée par ceux qui lavaient créée que par celui qui la subissait.

Au-dessus de ce troisième étage étaient un grenier à étendre le linge et deux mansardes où couchaient un garçon de peine, nommé Christophe, et la grosse Sylvie, la cuisinière. Outre les sept pensionnaires internes, madame Vauquer avait, bon an, mal an, huit étudiants en Droit ou en Médecine, et deux ou trois habitués qui demeuraient dans le quartier, abonnés tous pour le dîner seulement. La salle contenait à dîner dix-huit personnes et pouvait en admettre une vingtaine ; mais le matin, il ne sy trouvait que sept locataires dont la réunion offrait pendant le déjeuner laspect dun repas de famille. Chacun descendait en pantoufles, se permettait des observations confidentielles sur la mise ou sur lair des externes, et sur les événements de la soirée précédente, en sexprimant avec la confiance de lintimité. Ces sept pensionnaires étaient les enfants gâtés de madame Vauquer, qui leur mesurait avec une précision dastronome les soins et les égards, daprès le chiffre de leurs pensions. Une même considération affectait ces êtres rassemblés par le hasard. Les deux locataires du second ne payaient que soixante-douze francs par mois. Ce bon marché, qui ne se rencontre que dans le faubourg Saint-Marcel, entre la Bourbe et la Salpêtrière, et auquel madame Couture faisait seule exception, annonce que ces pensionnaires devaient être sous le poids de malheurs plus ou moins apparents. Aussi le spectacle désolant que présentait lintérieur de cette maison se répétait-il dans le costume de ses habitués, également délabrés. Les hommes portaient des redingotes dont la couleur était devenue problématique, des chaussures comme il sen jette au coin des bornes dans les quartiers élégants, du linge élimé, des vêtements qui navaient plus que lâme. Les femmes avaient des robes passées, reteintes, déteintes, de vieilles dentelles raccommodées, des gants glacés par lusage, des collerettes toujours rousses et des fichus éraillés. Si tels étaient les habits, presque tous montraient des corps solidement charpentés, des constitutions qui avaient résisté aux tempêtes de la vie, des faces froides, dures, effacées comme celles des écus démonétisés. Les bouches flétries étaient armées de dents avides. Ces pensionnaires faisaient pressentir des drames accomplis ou en action ; non pas de ces drames joués à la lueur des rampes, entre des toiles peintes, mais des drames vivants et muets, des drames glacés qui remuaient chaudement le cœur, des drames continus.

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