« Quest-ce quon va faire de lui ? »
Laccent de linconnu laissait un léger doute quant à ses origines. Ce nétait pas du tout celui dun noble. Probablement un docker Où avait-il été se vautrer exactement ? Il devrait ouvrir les yeux pour le découvrir, mais il ne pouvait sy résoudre. Sa tête le faisait assez souffrir comme cela.
« Le Capitaine saura quoi faire, renchérit une autre voix masculine.
Quétait-ce ? Un club de dockers mal léchés ? Donovan désirait sincèrement réussir à se rappeler de ce quil avait fait la veille. Il soupçonnait que ces hommes puissent être autre chose que des dockers. Daprès ce quil savait, il sétait écroulé dans les taudis de Londres. Dans tous les cas, il avait la chance dêtre en vie. À bien y réfléchir Pourquoi ne lavaient-ils pas simplement tué ? Cela aurait eu plus de sens.
On devrait lui régler son compte, proposa le premier homme qui avait parlé. Le Capitaine Estes nous en remerciera.
Vous êtes fou ? rétorqua lautre homme. Estes déteste quand on prend des décisions de notre chef. On ne recevra pas de remerciements ; nous verrons seulement nos vies perdues pour notre stupidité.
Bien, cela répondait à certaines questions. Ils lauraient probablement assassiné deux-même. Qui était cet Estes ? Donovan nétait pas entièrement sûr de vouloir rencontrer ce grand homme... si lon pouvait lappeler ainsi. Il contrôlait certainement la situation dune main de fer. Donovan en aurait bien ri, mais hélas, sa tête était assez douloureuse comme cela.
Très bien, approuva lhomme. Vous le surveillez pendant que je vais chercher le Capitaine.
Il se trouvait donc sur un navire. Que le diable lemporte Il aurait préféré se tromper. Qui pouvait affirmer dans quelle direction ils allaient ? Pourquoi diable aurait-il embarqué sur un satané navire ? À quoi pensait-il que cela aboutirait ? Il navait certainement pas eu lintention de monter sur ce fichu bateau. Ses beuveries lavaient précipité dans bien des situations fâcheuses, ces dernières années. Seulement une nouvelle aventure se présentant sur son chemin vers la ruine.
Peut-être aurait-il dû se rendre à nouveau au château de Manchester. Son ami laurait peut-être aidé à retourner sur le droit chemin. Non, le comte était profondément heureux. Ce bonheur sétait avéré à la fois écœurant et merveilleux à voir. Il était heureux pour Garrick, sincèrement. Mais il navait pu empêcher la graine de la jalousie de pousser en le voyant trouver lamour de sa vie et se montrer tout autant capable de le garder. Donovan nétait pas un homme bien ou un bon ami. Il avait mieux fait de rester à lécart.
Vous êtes réveillé ? demanda lhomme avant de le gratifier dun coup de pied.
Donovan grogna.
Va te faire foutre.
Il navait pas voulu engager le bras de fer avec ces raclures, mais celui-là ne semblait pas prêt à le laisser mourir en paix. Oh après tout, quy aurait-il damusant à partir en toute discrétion ? Il nétait pas connu pour prendre de grandes décisions. Non, la bonne société le dépeignait comme un riche scélérat, ou du moins en avait lhabitude. Il navait pas vécu à la hauteur de cette réputation, ces derniers temps. La plupart du temps, il restait chez lui à se saouler jusquà lévanouissement. Il ne voyait pas de raison à se rendre en ville quand il pouvait dénicher des litres dalcool dans ses propres coffres pour passer le temps.
Je ne préfère pas, sire, répliqua linconnu. Le capitaine sera bientôt là et vous empestez joliment. Je vous aurais bien jeté par-dessus bord sur-le-champ, mais ce nest pas à moi de prendre cette décision.
Quen pensait-il ? Il avait vu juste dans cette hypothèse. Peut-être devrait-il faire plus attention, mais cela faisait longtemps. Pourquoi commencer maintenant ? Assurément, il était censé le faire. Il avait un domaine, un titre, et pas dhéritiers à qui les transmettre. Ainsi quelque lointain cousin allait voir leur souhait se réaliser. Il nétait pas fait pour être vicomte, de toute manière. Quest-ce que cela lui aurait apporté, en toute honnêteté ? De largent ? Il ricana de mépris intérieurement. Cela ne lui aurait pas apporté lombre dun bonheur. La sécurité ? Jusquà un certain point, oui. Largent pourvoyait définitivement au moindre besoin dans sa vie ; néanmoins, cela lui donnait également les moyens de la ruiner. Sil navait pas eu dargent, peut-être aurait-il dû travailler pour survivre. Peut-être alors laurait-il appréciée au lieu de boire jusquà loubli. Quel genre dhomme cela faisait-il de lui sil abandonnait aussi facilement ?
Pas mon problème, grommela Donovan.
Bon Dieu, intervint une voix féminine. Quelle est cette odeur ?
Cest cet homme, expliqua lun des hommes. Nous lavons trouvé étendu là.
Que voulez-vous que nous fassions de lui ? senquit un autre homme.
Linconnue demeura silencieuse. Était-il si mal en point ? Était-ce la fameuse Estes ? Il ne sétait guère attendu à ce que ce fût une femme et cette surprise était presque douce. La plupart du temps, Donovan appréciait un bon choc. Cela lui donnait la sensation dêtre vivant. Cétait le cas en cet instant. Il aurait aimé avoir lénergie douvrir les yeux pour savourer la vue de cette femme capitaine. Elle devait être grosse et robuste pour commander ainsi la loyauté de ces hommes.
Quils aillent tous au diable. Il voulait avoir un aperçu de cette femme. Peut-être cela lui donnerait-il la force de rester en vie. Ainsi pourrait-il ensuite se rendre au Château Manchester et parler de la femme capitaine à Garrick. Ils se paieraient une bonne tranche de rigolade. Cela suffirait à le maintenir dans un état de sobriété pendant un court moment. Il y avait des moments où il nétait pas ivre, mais ils se faisaient rares. Ce pourrait être le catalyseur, pour sa part.
Il ouvrit lentement les yeux. Il cligna des paupières plusieurs fois. Peut-être était-il mort. La femme devant lui nétait ni grosse ni robuste. Elle était menue, ses hanches étroites moulées dans un pantalon en cuir, revêtue dune ample chemise blanche sous un gilet en cuir. Ses cheveux blond vénitien étaient tressés et tombaient en cascade dans son dos. Ces yeux bleu saphir cependant il ne pourrait jamais les oublier et ce même dans une autre vie.
Estella ?
Enfer et damnation. Quest-ce que Donovan fabriquait sur son navire ? Elle avait toujours eu lintention de le retrouver après la fin de son exil. Elle ne pouvait pas encore retourner à Londres. Son beau-père continuait de la traquer. Du moins le croyait-il. Il envoyait ses espions ici et là pour la surveiller. Ce que le duc ne savait pas, cétait quEstella avait elle aussi des espions. Elle avait vent de leur venue avant même quils ne soient arrivés à destination. Lorsquelle recevait le message, elle se rappelait toujours de se trouver chez elle. La plupart du temps, elle y était, de toute façon ; cependant, de temps à autre elle devait monter au bord du navire afin de sassurer que tout se passait comme prévu.
Le duc ne lui laissait pas beaucoup dargent pour vivre. En réalité, il ne lui avait pas envoyé le moindre sou depuis son arrivée. Elle avait dû trouver un moyen de survivre et avait gardé cette première somme pour la doubler, puis lavait doublée jusquà obtenir assez pour survivre toute lannée. En faisant ses comptes, elle réalisa alors quelle ne pouvait plus continuer à jouer aux jeux dargent. Il ny avait pas assez dargent pour quelle se refasse de cette manière, et les chances de gagner savéraient à chaque fois faibles. Cela ne la dérangeait pas de prendre des risques, mais il fallait que cela en vaille le coup. Cest alors quelle avait entendu quelquun se vanter au sujet dune entreprise maritime. Sur le moment, elle navait pas compris ce quétait cette entreprise exactement, mais elle avait misé dessus néanmoins. Elle avait joué au plus intense jeu de cartes de sa vie et remporté le navire de lhomme, ainsi que son respect. Cétait son second à présent, et il lui demandait de lépouser une fois par semaine.