Federico Montuschi - Deux. Impair стр 4.

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La mémoire olfactive est profondément ancrée dans les sens de lhomme.

« Burgos, vous avez dit ? Parfait. Laissez-moi ici sil vous plait. Ça me plaît. »

Le taxi avait atteint en un rien de temps le centre du village, dans lequel lauberge Hermosa rivalisait depuis des années par sa beauté architecturale avec léglise de San Isidro sur la place Allende .

Il sétait garé près de lentrée et, sans éteindre le moteur, il était sorti pour ouvrir la porte au jeune homme.

« Ça fera trente-cinq mille colons, monsieur. », avait-il dit sans le regarder dans les yeux, presque honteux de demander une somme aussi indécente.

Le jeune navait pas cillé, plongeant sa main dans la poche latérale de son pantalon et sortant un portefeuille si gonflé quil semblait sur le point dexploser.

Il lavait ouvert et glissé quatre billets de dix mille colons dans les mains du taxi.

Avant quil ne le referme, le chauffeur avait eu le temps de poser les yeux sur le portefeuille.

Il navait jamais vu autant de liquide entre les mains de quelquun.

Mais il neut pas le temps de sinterroger davantage, car le jeune homme lavait congédié de la meilleure façon qui soit, selon lui.

« Gardez le reste. Je vous remercie. Bon retour, bonne nuit. »

***

Dans une petite communauté comme Burgos, il nétait pas facile doccuper le poste de détective privé, surtout pour quelquun comme Castillo qui avait décidé de refuser catégoriquement toute sorte denquête liée à déventuelles infidélités conjugales.

Pour cette raison, au nom de sa conscience déontologique, ou, pourrait-on dire, de son amour propre qui lavait toujours guidé dans les moments décisifs, il navait trouvé ces derniers mois aucune mission, exception faite dune enquête pour escroquerie aux dépens dune vieille dame qui avait vu disparaître de son compte courant, en une nuit, les économies de toute une vie.

Une bagatelle, pour lui.

Il avait résolu laffaire en moins de trois jours, grâce notamment à ses amis de San José, danciens collègues de la police nationale, qui, grâce à des analyses croisées sur les mouvements bancaires de la famille de la dame, avaient facilement identifié la brebis galeuse, un petit-fils au casier apparemment vierge mais connu des forces de lordre locales pour consommation intensive de drogues de synthèse.

Ce nétait pas la première fois que la police lui refilait des enquêtes ; comme dans le cas de la vieille dame, cela arrivait surtout lorsque le poste de San José était occupé à des opérations bien plus importantes - cette fois, il sagissait de trafic de drogue international - ne sachant que faire de banalités de ce genre.

Dans ces circonstances, la police sadressait à lui, comme à un sous-traitant, sachant quil accepterait à coup sûr.

Un mandat de consultant, avec clause de paiement ex post , une fois laffaire résolue ; le tout sans aucune formalité, ça se passait comme ça entre personnes de confiance. Après tout, il sagissait dun ancien collègue : après des années de bons et loyaux services, il sétait mis à son compte, mais avait gardé des contacts importants quil avait créés principalement pendant les trois années au cours desquelles il avait occupé le poste de chef de la police nationale.

Avec un poste aussi important, cette période fut difficile et d'une intensité inédite : trois années de défi professionnel en tant que responsable de la police de la capitale.

Un rêve denfant.

Et puis, Conchita avait été renversée sur un passage piéton de San José, par un pauvre ivrogne qui cherchait dans le fond d'une bouteille une improbable consolation à son chagrin damour. Les docteurs avaient expliqué à Castillo que sa femme, opérée durgence, devrait rester au repos pendant au moins six mois.

À la lumière de cette nouvelle urgence, Castillo avait alors eu loccasion de repenser à sa situation à froid.

Pura vida était le credo qui lavait toujours inspiré dans les moments clé de son existence.

Cétait une expression dont la simplicité navait dégal que limportance du message quelle transmettait.

Il sétait rendu compte, à ce moment particulier, que pura vida signifiait pouvoir travailler à cinq minutes de la maison, pouvoir être tous les jours si nécessaire, aux côtés de Conchita pendant sa difficile rééducation, pouvoir suivre de près la croissance de ses filles, qui étaient à lépoque en pleine adolescence.

Pura vida.

La décision fut prise rapidement : le policier Castillo, chef du poste de police nationale de San José, rendit son étoile argentée au responsable du bureau du personnel, accompagnée dune lettre de démission irrévocable pour raisons familiales. Il loua un deux pièces au centre de Burgos, à côté de lauberge Hermosa , et il accrocha à lentrée une vieille plaque dorée récupérée dans le grenier de la maison, cadeau de Noël offert par des collègues du poste des années auparavant pour la résolution dun cas complexe dexploitation de mineurs pour prostitution, sur laquelle avec un poinçon dacier, par un travail de précision, il effaça le mot « merci » et le remplaça « Insp ».

Il aurait voulu compléter son œuvre, en écrivant « Inspecteur », mais étant donné la fatigue excessive provoquée par lincision des premières lettres, il changea davis.

« Insp. Castillo », disait la nouvelle plaque.

Artisanale, mais efficace.

Il se sentit renaître.

Le village de Burgos avait enfin un détective privé et lui, encore une fois, avait suivi son cœur pour une décision importante.

Pura vida.

Une fête

The walls started shaking,

The earth was quaking,

My mind was aching.

(ACDC)

Carmen se sentait excitée.

Cétait un magnifique dimanche ensoleillé et elle rentrait de San José, où elle avait passé la veille son premier examen universitaire, obtenant la note maximale.

Elle sétait inscrite à la faculté de philosophie, plus pour ne pas décevoir son père que par réelle conviction, mais elle reconnaissait que les premiers mois de cours sétaient révélés une agréable surprise.

Les matières étaient, de manière générale, intéressantes, mais les personnes quelle avait rencontrées constituaient la véritable raison pour laquelle elle navait pas regretté son choix.

Elle se rappelait souvent les mots de sa mère qui, bien que nayant jamais beaucoup voyagé dans sa vie, aimait répéter que ce qui fait toute la différence dans une situation ce sont les personnes, indépendamment de lenvironnement.

Elle passa le trajet en autobus qui la ramenait chez elle, de San José à Burgos, à envoyer des messages à ses amies et en postant des selfies joyeux sur Facebook.

Elle descendit à larrêt de la gare ferroviaire de Burgos et, pour profiter au maximum du premier jour de soleil après plus de deux semaines de pluie, elle décida de rallonger le chemin qui la ramenait chez elle, en longeant tranquillement le fleuve, accompagnée par la musique douce et enveloppante de Bon Iver. Lalbum For Emma, forever ago lui avait été conseillé par Ronald, lun de ses nouveaux amis de la faculté, un garçon de San José vraiment intéressant, avec lequel sétait créée une véritable complicité, dès le départ.

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