Альбер Камю - Le minotaure. La peste / Минотавр. Чума. Книга для чтения на французском языке стр 6.

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Il faut aller plus loin (singulièrement près, cependant, de ce lieu où deux cent mille hommes tournent en rond) pour découvrir un paysage toujours vierge: de longues dunes désertes où le passage des hommes na laissé dautres traces quune cabane vermoulue. De loin en loin, un berger arabe fait avancer sur le sommet des dunes les taches noires et beiges de son troupeau de chèvres. Sur ces plages dOranie, tous les matins dété ont lair dêtre les premiers du monde. Tous les crépuscules semblent être les derniers, agonies solennelles annoncées au coucher du soleil par une dernière lumière qui fonce toutes les teintes. La mer est outremer, la route couleur de sang caillé, la plage jaune. Tout disparaît avec le soleil vert; une heure plus tard, les dunes ruissellent de lune. Ce sont alors des nuits sans mesure sous une pluie détoiles. Des orages les traversent parfois, et les éclairs coulent le long des dunes, pâlissent le ciel, mettent sur le sable et dans les yeux des lueurs orangées.

Mais ceci ne peut se partager. Il faut lavoir vécu. Tant de solitude et de grandeur donne à ces lieux un visage inoubliable. Dans la petite aube tiède, passé les premières vagues encore noires et amères, cest un être neuf qui fend leau, si lourde à porter, de la nuit. Le souvenir de ces joies ne me les fait pas regretter et je reconnais ainsi quelles étaient bonnes. Après tant dannées, elles durent encore, quelque part dans ce cœur aux fidélités pourtant difficiles. Et je sais quaujourdhui, sur la dune déserte, si je veux my rendre, le même ciel déversera encore sa cargaison de souffles et détoiles. Ce sont ici les terres de linnocence.

Mais linnocence a besoin du sable et des pierres. Et lhomme a désappris dy vivre. Il faut le croire du moins, puisquil sest retranché dans cette ville singulière où dort lennui. Cependant, cest cette confrontation qui fait le prix dOran. Capitale de lennui, assiégée par linnocence et la beauté, larmée qui lenserre a autant de soldats que de pierres. Dans la ville, et à certaines heures, pourtant, quelle tentation de passer à lennemi! quelle tentation de sidentifier à ces pierres, de se confondre avec cet univers brûlant et impassible qui défie lhistoire et ses agitations! Cela est vain sans doute. Mais il y a dans chaque homme un instinct profond qui nest ni celui de la destruction ni celui de la création. Il sagit seulement de ne ressembler à rien. À lombre des murs chauds dOran, sur son asphalte poussiéreux, on entend parfois cette invitation. Il semble que, pour un temps, les esprits qui y cèdent ne soient jamais frustrés. Ce sont les ténèbres dEurydice et le sommeil dIsis. Voici les déserts où la pensée va se reprendre, la main fraîche du soir sur un cœur agité. Sur cette Montagne des Oliviers, la veille est inutile; lesprit rejoint et approuve les Apôtres endormis. Avaient-ils vraiment tort? Ils ont eu tout de même leur révélation.

Pensons à Çakya-Mouni[30] au désert. Il y demeura de longues années, accroupi, immobile et les yeux au ciel. Les dieux eux-mêmes lui enviaient cette sagesse et ce destin de pierre. Dans ses mains tendues et raidies, les hirondelles avaient fait leur nid. Mais, un jour, elles senvolèrent à lappel de terres lointaines. Et celui qui avait tué en lui désir et volonté, gloire et douleur, se mit à pleurer. Il arrive ainsi que des fleurs poussent sur le rocher. Oui, consentons à la pierre quand il le faut. Ce secret et ce transport que nous demandons aux visages, elle peut aussi nous les donner. Sans doute, cela ne saurait durer. Mais quest-ce donc qui peut durer? Le secret des visages sévanouit et nous voilà relancés dans la chaîne des désirs. Et si la pierre ne peut pas plus pour nous que le cœur humain, elle peut du moins juste autant.

«Nêtre rien!» Pendant des millénaires, ce grand cri a soulevé des millions dhommes en révolte contre le désir et la douleur. Ses échos sont venus mourir jusquici, à travers les siècles et les océans, sur la mer la plus vieille du monde. Ils rebondissent encore sourdement contre les falaises compactes dOran. Tout le monde, dans ce pays, suit, sans le savoir, ce conseil. Bien entendu, cest à peu près en vain. Le néant ne satteint pas plus que labsolu. Mais puisque nous recevons, comme autant de grâces, les signes éternels que nous apportent les roses ou la souffrance humaine, ne rejetons pas non plus les rares invitations au sommeil que nous dispense la terre. Les unes ont autant de vérité que les autres.

Voilà, peut-être, le fil dAriane de cette ville somnambule et frénétique. On y apprend les vertus, toutes provisoires, dun certain ennui. Pour être épargné, il faut dire «oui» au Minotaure. Cest une vieille et féconde sagesse. Audessus de la mer, silencieuse au pied des falaises rouges, il suffit de se tenir dans un juste équilibre, à mi-distance des deux caps massifs qui, à droite et à gauche, baignent dans leau claire. Dans le halètement dun garde-côte, qui rampe sur leau du large, baigné de lumière radieuse, on entend distinctement alors lappel étouffé de forces inhumaines et étincelantes: cest ladieu du Minotaure.

Il est midi, le jour lui-même est en balance[31]. Son rite accompli, le voyageur reçoit le prix de sa délivrance: la petite pierre, sèche et douce comme un asphodèle, quil ramasse sur la falaise. Pour linitié, le monde nest pas plus lourd à porter que cette pierre. La tâche dAtlas est facile, il suffit de choisir son heure. On comprend alors que pour une heure, un mois, un an, ces rivages peuvent se prêter à la liberté. Ils accueillent pêle-mêle, et sans les regarder, le moine, le fonctionnaire ou le conquérant. Il y a des jours où jattendais de rencontrer, dans les rues dOran, Descartes ou César Borgia. Cela nest pas arrivé. Mais un autre sera peut-être plus heureux. Une grande action, une grande œuvre, la méditation virile demandaient autrefois la solitude des sables ou du couvent. On y menait les veillées darmes de lesprit. Où les célébrerait-on mieux maintenant que dans le vide dune grande ville installée pour longtemps dans la beauté sans esprit?

Voici la petite pierre, douce comme un asphodèle. Elle est au commencement de tout. Les fleurs, les larmes (si on y tient), les départs et les luttes sont pour demain. Au milieu de la journée, quand le ciel ouvre ses fontaines de lumière dans lespace immense et sonore, tous les caps de la côte ont lair dune flottille en partance. Ces lourds galions de roc et de lumière tremblent sur leurs quilles, comme sils se préparaient à cingler vers des îles de soleil. O matins dOranie! Du haut des plateaux, les hirondelles plongent dans dimmenses cuves où lair bouillonne. La côte entière est prête au départ, un frémissement daventure la parcourt. Demain, peut-être, nous partirons ensemble.

(1939)

La Peste

extraits

Il est aussi raisonnable de représenter une espèce demprisonnement par une autre que de représenter nimporte quelle chose qui existe réellement par quelque chose qui nexiste pas.

Daniel de Foe

I

Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., à Oran. De lavis général, ils ny étaient pas à leur place, sortant un peu de lordinaire. À première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus quune préfecture française de la côte algérienne.

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