Marco Lupis - Entretiens Du Siècle Court стр 14.

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Le tournant d’aujourd’hui, le coup de théâtre de votre libération ont-ils été une surprise, ou s’agit-il de quelque chose qui a été préparé avec attention, et imaginé par les militaires pour des questions “d’image” internationale ?

Depuis 1995, l’isolement de la Birmanie a petit à petit diminué, l’université de Rangoun a été rouverte, et le niveau de vie s’est peut-être légèrement amélioré ; mais l’histoire de la Birmanie continue à se dérouler dans un quotidien fait de violences, d’actions illégales, d’abus de pouvoir, tant à l’encontre des dissidents, des minorités ethniques (Shan, We, Kajn) qui demandent leur autonomie, que de la majeure partie de la population, de manière générale. Les militaires sont de plus en plus en difficulté, tant à l’intérieur que sur le plan international. Entre-temps, ils poursuivent le trafic de drogue, à moins qu’ils ne parviennent à remplacer cette rente lucrative par une autre, tout aussi rentable. Mais laquelle ? Notre nation est quasiment transformée en gigantesque coffre-fort dont seule l’armée connaît la combinaison. Et ce ne sera pas facile de convaincre les généraux qu’ils doivent partager cette richesse avec les cinquante millions d’autres Birmans.

Dans cette situation, quelles sont vos conditions pour entamer un dialogue ?

Nous n’accepterons aucune initiative –y compris des élections organisées par les généraux- avant que ne soit réuni le Parlement élu en 1990. Mon pays reste dominé par la peur. Il n’y aura pas de paix véritable tant qu’il n’y aura pas un engagement véritable qui rende honneur à tous ceux qui se sont battus pour une Birmanie libre et indépendante ; même si la conscience reste aiguë qu’on ne pourra pas atteindre la paix et la réconciliation une fois pour toutes et qu’il faut donc une vigilance encore davantage accrue, encore plus de courage, et la capacité à développer en nous-mêmes une véritable résistance active et non-violente.

Que peut faire l’Union Européenne pour aider le peuple birman ?

Continuer à faire pression, parce que les généraux doivent savoir que le monde entier les regarde et qu’ils ne peuvent plus commettre impunément de nouvelles infamies.

*****

Le 13 novembre 2010, Aung San Suu Kyi a enfin été définitivement libérée. Elle a obtenu en 2012 un siège au Parlement birman, et le 16 juin de la même année, elle a pu retirer son prix Nobel. Comme le gouvernement lui a enfin accordé l’autorisation de se rendre à l’étranger, elle s’est rendue en Angleterre auprès de son fils qu’elle ne voyait plus depuis des années.

Le six avril 2016, elle est devenue Conseiller d’État (Premier ministre) du Myanmar.

La Birmanie, aujourd’hui le Myanmar, n’est pas encore un pays totalement libre, et son passé dictatorial pèse sur l’histoire comme sur le devenir de la nation. Mais quelque chose de plus qu’un espoir de liberté et de démocratie a fleuri au pays des Mille Pagodes.

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Lucia Pinochet

“ Asasinar, torturar y hacer desaparecir ”

Santiago du Chili, mars 1999 .

« Pinochet ? Pour les Chiliens, c’est comme un cancer. Un mal obscur... douloureux. On sait qu’on l’a, mais on a même peur d’en parler, de prononcer son nom. Et on finit par faire semblant qu’il n’existe pas. En espérant peut-être qu’en l’ignorant, ce mal s’en aille tout seul, sans qu’on n’ait à l’affronter... ». Elle doit avoir à peine plus de vingt ans, la jeune fille qui sert aux tables du Cafè El Biografo , lieu de rencontre des poètes et des étudiants dans le barrio pittoresque de Bellavista à Santiago, le quartier des artistes et des vieux restaurants, avec ses maisons colorées. Elle n’était peut-être même pas née quand le général Pinochet Ugarte, le “Senador vitalicio”, comme on l’appelle ici, ordonnait de “asasinar, torturar y hacer desaparecir” ses opposants -comme le crient les familles de plus de trois mille desaparecidos - ou quand il œuvrait d’une main de fer “à libérer le Chili de la menace du bolchévisme international”, comme l’assurent ses admirateurs. Mais c’est elle qui a voulu me parler de Pinochet, et elle a les idées claires : « Tout est Pinochet, ici. Pour ou contre, mais il est là, le général, dans tous les aspects de la vie du Chili. Il est dans la politique, bien sûr. Il est dans la mémoire de tous, dans les souvenirs de mes parents, dans les explications des professeurs à l’école. Et il est dans les romans, dans les livres... dans le cinéma. Oui, même le cinéma, au Chili, on le fait pour ou contre Pinochet. Et nous, on continue à faire semblant qu’il n’existe pas... ».

Oui, c’est ce vieux monsieur têtu, qui affronte la justice britannique “avec une dignité de soldat” («...pauvre vieux !» m’a murmuré à l’oreille le portier du “Circulo de la Prensa”, situé juste derrière le palais de la Moneda où mourut Salvador Allende, traqué par le coup d’État du général, et où les plus fidèles du Senador vitalicio , dans les années sombres de la dictature, venaient “prélever” les journalistes gênants), ce “pauvre vieux” qui, dans le Chili du III ème millénaire, devient un colosse encombrant dont la masse occupe chaque quartier, chaque coin, chaque rue de cette ville, Santiago, qui semble comme hésitante, repliée sur elle-même.

Et puis c’est lui la mémoire vivante de ce pays, une mémoire immense, envahissante, gênante pour ses partisans et insupportable pour ses détracteurs. Une mémoire qui s’étend, poisseuse comme un blob, sur les vies, les espoirs et les douleurs, sur le passé et sur l’avenir des Chiliens.

En octobre 1998, Pinochet, devenu sénateur quelques mois après l’abandon de ses fonctions de chef des Armées, fut arrêté et assigné à résidence alors qu’il se trouvait à Londres pour des traitements médicaux. Dans la clinique où il avait subi une intervention chirurgicale au dos, puis dans une résidence de location.

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