Marco Lupis - Entretiens Du Siècle Court стр 13.

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Une exaltée, comme la décrivent ses ennemis, ou une femme qui veut faire quelque chose pour son pays, comme elle le dit elle-même ? À Bogota, les cercles politiques snobent sa candidature. Mais, à bien y regarder, ils la craignent. Omar, le chef de ses gardes du corps, dit : « Dans ce pays, quand on est honnête, on risque de le payer de sa vie. » Et elle, en retour : « Je n’ai pas peur de mourir. La peur me rend plus lucide ».

La priorité de sa campagne électorale est la lutte contre la corruption. La guerre civile vient juste après : « L’État doit négocier sans appréhensions avec les guérilleros de gauche -conclut-elle- en prenant ses distances avec les AUC, les paramilitaires de droite, qui sont responsables de la majeure partie des homicides dans ce pays ».

Mais comment fait-on pour vivre tous les jours avec les menaces et la peur ?

« Peut-être que ça devient simplement une habitude. Une habitude horrible. L’autre jour -conclut-elle tranquillement- en ouvrant mon courrier, j’ai trouvé la photo d’un enfant démembré. Il y avait marqué dessous : “Madame la Sénatrice, les tueurs qui s’occuperont de vous ont déjà été payés. Pour votre fils, on se réserve un traitement particulier…” ».

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Aung San Suu Kyi

Prix Nobel de la paix 1991

Se libérer de la peur

Le six mai 2002, suite à de fortes pressions de l’ onu , Aung San Suu Kyi fut libérée. La nouvelle fit le tour du monde, mais sa liberté fut de courte durée. Le trente mai 2003, alors qu’elle se trouvait à bord d’un convoi, entourée d’une foule de ses partisans, un groupe de militaires ouvrit le feu en massacrant un nombre important de personnes, et Aung San Suu Kyi ne dut la vie qu’à la qualité des réflexes de son chauffeur Ko Kyaw Soe Lin ; mais elle fut de nouveau assignée à résidence.

En mai 2002, le lendemain de sa libération, par le biais de contacts que j’avais avec la dissidence birmane, je pus lui faire parvenir par mail une série de questions pour une interview “à distance”.

*****

Hier, à dix heures du matin, sans un bruit, les gardes qui stationnaient devant la résidence d’Aung San Suu Kyi, leader de la contestation démocratique birmane, sont rentrés dans leur caserne. C’est ainsi, par une manœuvre inattendue, que la junte militaire de Rangoun a annulé les restrictions de liberté de mouvement de la leader pacifiste, “la Dame” comme on l’appelle simplement en Birmanie, prix Nobel de la paix en 1991, assignée à résidence depuis ce lointain vingt juillet 1989.

Depuis hier, dix heures du matin, après presque treize ans, Aung San Suu Kyi est donc libre de sortir de la Maison du lac, de communiquer sans restrictions, de faire de la politique, de voir ses enfants.

Mais le terrible isolement de la “pasionaria birmane” est-il vraiment terminé ? L'opposition en exil ne croit pas encore aux déclarations grandiloquentes de la junte militaire qui a affirmé la libérer sans conditions.

Incrédules, les exilés birmans attendent. Et prient. Depuis hier, la diaspora birmane a en effet organisé des prières collectives dans tous les temples bouddhistes de Thaïlande et de l’Asie orientale.

Elle, la Dame , n’a pas perdu de temps. Elle avait à peine retrouvé sa liberté qu’elle a rejoint le quartier général de son parti, cette Ligue nationale pour la démocratie ( lnd ), qui avait obtenu une victoire écrasante (quatre-vingt pour cent des voix), aux élections de 1990, quand le Parti de l’unité, au pouvoir, ne s’était adjugé que 10 sièges sur 485. Le gouvernement militaire avait annulé le résultat des élections, interdit les activités de l’opposition, réprimé violemment les manifestations, et emprisonné ou contraint à l’exil les leaders de l’opposition. Le parlement ne fut jamais convoqué.

L’édition italienne de votre autobiographie a pour titre “Libera dalla paura [9] ”. Vous vous en sentez libérée, aujourd’hui ?

Aujourd’hui, pour la première fois depuis plus de dix ans, je me sens libre. Libre physiquement. Libre, surtout, d’agir et de penser. Comme je l’explique dans mon livre, cela fait maintenant des années que je me sentais “libérée de la peur”. Depuis que j’avais compris que les exactions de la dictature de mon pays pouvaient nous blesser, nous humilier, nous tuer. Mais qu’elles ne pouvaient pas nous faire peur.

Aujourd’hui, à votre libération, vous avez déclaré qu’elle est sans conditions, et que la junte militaire au pouvoir vous a même autorisée à vous rendre à l’étranger. Vous y croyez vraiment ?

Un porte-parole de la junte, dans un communiqué écrit diffusé hier soir, a annoncé l’ouverture “d’une nouvelle page pour le peuple du Myanmar et pour la communauté internationale”. Des centaines de prisonniers politiques ont été libérés au cours des derniers mois, et les militaires m’ont assurée qu’ils continueraient à libérer ceux qui -je les cite- « ne représentent pas un danger pour la communauté ». Ici, tout le monde veut croire, veut espérer que c’est vraiment le signe du changement. La reprise du chemin vers la démocratie, brusquement interrompu par la violence du coup d’État de 1990. Mais que l’âme du peuple birman n’a jamais oubliée.

Maintenant que vous avez été libérée, vous ne craignez plus d’être expulsée, éloignée de vos partisans ?

Une chose doit être bien claire : je ne partirai pas. Je suis Birmane, j’ai renoncé à la nationalité britannique précisément pour ne pas offrir un prétexte au régime. Je n’ai pas peur. Et cela me donne de la force. Mais le peuple a faim, c’est pour ça qu’il a peur et qu’il devient si faible.

Vous avez dénoncé plusieurs fois, et avec force, les intimidations des militaires à l’égard des sympathisants de la Ligue pour la démocratie. Tout cela continue-t-il encore aujourd’hui ?

D’après les informations en notre possession, au cours de la seule année 2001, l’armée a arrêté plus de mille militants de l’opposition sur ordre des généraux du slorc . Beaucoup d’autres ont été obligés de quitter la Ligue après avoir subi des intimidations, des menaces, des pressions illégales pour lesquelles il n’existe aucune justification. Leur stratégie est toujours la même, une action capillaire : des unités de fonctionnaires d’État lâchées sur tout le territoire national font le tour des maisons, et dans ce “porte-à-porte”, demandent aux citoyens de quitter la Ligue . Les familles qui refusent font l’objet d’un chantage, avec le spectre de la perte de leur emploi et souvent des menaces explicites. De nombreuses sections du parti ont été fermées et chaque jour, les militaires vérifient les chiffres des abandons. Cela montre à quel point ils ont peur de la Ligue. Pour nous tous, en ce moment, l’espoir est que tout ça soit vraiment fini.

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