Lorsquil mit pied dans la salle, il fut immédiatement envahi par un bruit incroyable, provoqué par ses collègues en fête qui chantaient ses louanges avec une admiration accrue, en entonnant des chants de stade.
Malgré cet accueil magnifique, sa réponse se traduisit uniquement par un sourire mesquin et forcé, sans émotion.
La vague daffection des autres employés lui donnait la sensation davoir trahi toutes les personnes qui lentouraient.
Cette impression se renforça, car il avait pris conscience davoir laissé ses amis et ses collègues à leur destin, en les abandonnant à légide future dun manager inconnu.
Tandis que ces pensées se bousculaient dans sa tête, il scrutait les visages joyeux de ses camarades, sourd à leurs paroles ; il songeait que, dans sa nouvelle aventure professionnelle, il allait devoir entrer en relation avec des personnes inconnues de lui, qui parlaient une autre langue, ne savaient même pas qui il était et probablement ne se seraient pas intéressés à son histoire personnelle, mais seulement au travail et à léconomie.
Mon Dieu, comme ils lui auraient manqué.
Mais la décision était prise, il ne pouvait plus revenir en arrière.
Ainsi, angoissé par la tâche ingrate de devoir éteindre lenthousiasme de ses collègues par son propre discours dadieux, il monta à la tribune, approcha le micros de sa bouche et, ayant attiré lattention de toutes les personnes présentes, il dit : « Mes amis, le moment est venu de vous prévenir que, comme je viens de lannoncer à Monsieur Russo dans une brève entrevue, jai pris la décision irrévocable daccepter une offre prestigieuse provenue des États-Unis, de la JW Corporation. »
Ces paroles furent suivies dun murmure de préoccupation, qui se répandit rapidement parmi les auditeurs.
« Il sagit pour moi dune occasion économique et professionnelle à laquelle je ne puis renoncer, poursuivit-il. Toutefois, je désire adresser mes remerciements à chacun dentre vous, parce que votre très précieux concours, votre disponibilité et votre entière collaboration, mont donné la possibilité de faire grandir cette société et de marquer un tournant dans ma vie de travail qui me permettra de mapprocher du rêve que jai de devenir un manager célèbre, connu même au-delà des frontières italiennes et européennes. Cependant, je vous suis surtout reconnaissant pour lamitié sincère que vous mavez toujours témoignée depuis le jour où jai été accueilli parmi vous dans lentreprise. À présent », conclut-il avec émotion, « il ne me reste quà vous saluer et à vous souhaiter dobtenir des résultats toujours meilleurs. »
Son discours dadieu toucha profondément ses collègues, qui exprimèrent par un silence assourdissant leur regret de devoir quitter le manager dont le talent avait réussi à coordonner leur travail.
Prenant part à leur déception, Marco déposa le micros et, la tête basse, il rejoignit les autres employés, encore bouleversés par le torrent démotion qui venait de les submerger.
Le seul qui eut la force de reprendre lusage de la parole fut son cher ami Massimo, un homme imposant, au caractère gai et prompt à la répartie. Mais il avait perdu sa bonne humeur contagieuse.
« Giovanni, dit-il, tout triste, en se tournant vers un collègue à sa droite, ne rallume pas la musique; à présent, nous navons plus de raison de fêter quoi que ce soit. Sans Marco, notre entreprise est finie et bientôt nous nous retrouverons au chômage ».
Son intervention fut entièrement approuvée par tous, y compris Luisa, la secrétaire, qui était accourue pour écouter les déclarations du manager et qui, les yeux éteints, fixait maintenant le mur récemment repeint.
La fête se termina tristement. Marco passa quelques interminables minutes à dire adieu à ses ex-collègues avant de sortir de létablissement, tandis que leurs commentaires choqués résonnaient à ses oreilles avec mélancolie.
Pas même le ronflement du moteur de sa voiture ne parvint à le tirer de ses réflexions, alors quil se dirigeait vers la maison.
Au moment où il aperçut lhabitation où il vivait avec Francesca, il se rappela soudain que la jeune fille pouvait accueillir la nouvelle du déménagement avec une colère bien compréhensible, étant donné quelle non plus navait pas été mise au courant de la proposition de Jason Walker.
«Jaurais dû lui en parler», songea Marco.
Mais maintenant il était trop tard.
Troublé par cette prise de conscience, il gara la voiture, sonna et attendit que sa fiancée lui ouvrît.
Chapitre II
Exode
Au bout de quelques secondes, Marco entendit la clé tourner dans la serrure et la porte souvrit, laissant apparaître une jeune fille élancée et fine. Son visage au teint clair était encadré dune cascade dabondants cheveux châtains et lisses, ce qui offrait un contraste chromatique irrésistible avec ses yeux bleu clair : cétait Francesca.
À la vue de son compagnon, sa bouche charnue souvrit instinctivement en un large sourire candide qui illumina son visage.
« Bonjour, trésor ! », sécria-t-elle joyeusement, tout en ouvrant le portail de la maison.
Marco répondit par un sourire forcé, bien insuffisant pour dissimuler la préoccupation évidente qui le tourmentait.
« Comment cela sest-il passé aujourdhui au travail ? Quelque chose est allée de travers ? demanda la jeune fille, dont les yeux perçants avaient surpris le malaise de son fiancé, dès quil avait franchi le seuil.
- Tout sest bien passé, journée tranquille », répondit le menteur, en évitant soigneusement le regard importun.
Francesca le scruta pendant quelques instants, mais ensuite elle haussa les épaules et servir le déjeuner.
Pendant le repas, Francesca essaya de lancer une conversation, mais Marco, distrait par la crainte de révéler à sa fiancée ce qui sétait passé ce matin-là, se limita à répondre par monosyllabes et à acquiescer en silence.
Cette attitude insolite ne put échapper aux yeux de Francesca, que la réponse reçue précédemment avait laissée perplexe.
« Quelque chose ne va pas ?
- N Non, balbutia Marco.
- Tu en es sûr ?», insista-t-elle.
Silence.
« Regarde-moi droit dans les yeux », ordonna-t-elle sur un ton vaguement menaçant.
Marco, réticent, leva les yeux, jusquà ce que son regard croisât les yeux bleus de Francesca.
« Les yeux sont le miroir de lâme », fit-elle avec un sourire amer.
Non, il ny avait pas de voie dissue. Un simple regard lui avait suffi pour comprendre que quelque chose nallait pas. Comme toujours.
Marco soupira profondément et rassembla toute sa force de caractère pour murmurer faiblement : « Jai accepté une mutation à la JW Corporation de New York.
- Quoi ? demanda Francesca, stupéfaite, se contenant avec peine.
-Oui, je pars pour New York pour le travail, confirma-t-il, se préparant à soutenir une réaction rageuse, qui, comme il était à prévoir, ne tarda pas à arriver.
- Et tu crois que cest le moment de me le dire ? », demanda-t-elle, furieuse, tandis que ses yeux flamboyaient.
De nouveau, silence.
« Étant donné que nous vivons sous le même toit, il ne test pas venu à lesprit quil serait bien dévaluer la proposition à deux, avant de donner ta parole ? Ne te souviens-tu pas quavant de commencer à vivre ensemble nous nous étions promis de prendre toute décision dun commun accord ? renchérit Francesca, sans paraître vouloir calmer son irritation.