Edmond About - Le nez dun notaire стр 6.

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Le choix des armes revenait de droit au bon Ayvaz; mais le notaire et ses témoins firent la grimace en apprenant quil choisissait le sabre.


 Cest larme des soldats, disait le marquis, ou larme des bourgeois qui ne veulent pas se battre. Cependant va pour le sabre, si vous y tenez!


Les témoins dAyvaz-Bey déclarèrent quils y tenaient beaucoup. On fit chercher deux lattes ou demi-espadons à la caserne du quai dOrsay, et lon prit rendez-vous pour dix heures au petit village de Parthenay, vieille route de Sceaux. Il était huit heures et demie.


Tous les parisiens connaissent ce joli groupe de deux cents maisons, dont les habitants sont plus riches, plus propres et plus instruits que le commun de nos villageois. Ils cultivent la terre en jardiniers et non en laboureurs, et le ban de leur commune ressemble, tous les printemps, à un petit paradis terrestre. Un champ de fraisiers fleuris sétend en nappe argentée entre un champ de groseilliers et un champ de framboisiers. Des arpents tout entiers exhalent le parfum âcre du cassis, agréable à lodorat des concierges. Paris achète en beaux louis dor la récolte de Parthenay, et les braves paysans que vous voyez cheminer à pas lents, un arrosoir dans chaque main, sont de petits capitalistes.


Ils mangent de la viande deux fois par jour, méprisent la poule au pot et préfèrent le poulet à la broche. Ils payent le traitement dun instituteur et dun médecin communal, construisent sans emprunt une mairie et une église et votent pour mon spirituel ami le docteur Véron aux élections du corps législatif. Leurs filles sont jolies, si jai bonne mémoire. Le savant archéologue Cubaudet, archiviste de la sous-préfecture de Sceaux, assure que Parthenay est une colonie grecque et quil tire son nom du mot Parthénos, vierge ou jeune fille (cest tout un chez les peuples polis). Mais cette discussion nous éloignerait du bon Ayvaz.


Il arriva le premier au rendez-vous, toujours colère. Comme il arpentait fièrement la place du village, en attendant lennemi! Il cachait sous son manteau deux yatagans formidables, excellentes lames de Damas. Que dis-je, de Damas? Deux lames japonaises, de celles qui coupent une barre de fer aussi facilement quune asperge, pourvu quelles soient emmanchées au bout dun bon bras. Ahmed-Bey et le fidèle drogman suivaient leur ami et lui donnaient les avis les plus sages: attaquer prudemment, se découvrir le moins possible, rompre en sautant, enfin tout ce quon peut dire à un novice qui va sur le terrain sans avoir rien appris.


 Merci de vos conseils, répondait lobstiné: il ne faut pas tant de façons pour couper le nez dun notaire!


Lobjet de sa vengeance lui apparut bientôt entre deux verres de lunettes, à la portière dune voiture de maître. Mais Mr LAmbert ne descendit point; il se contenta de saluer. Le marquis mit pied à terre et vint dire au grand Ahmed-Bey:


 Je connais un excellent terrain à vingt minutes dici; soyez assez bon pour remonter en voiture avec vos amis et me suivre.


Les belligérants prirent un chemin de traverse et descendirent à un kilomètre des habitations.


 Messieurs, dit le marquis, nous pouvons gagner à pied le petit bois que vous voyez là-bas. Les cochers nous attendront ici. Nous avons oublié de prendre un chirurgien avec nous, mais le valet de pied que jai laissé à Parthenay nous amènera le médecin du village.


Le cocher du Turc était un de ces maraudeurs parisiens qui circulent passé minuit, sous un numéro de contrebande. Ayvaz lavait pris à la porte de mademoiselle Tompain, et il lavait gardé jusquà Parthenay. Le vieux routier sourit finement lorsquil vit quon larrêtait en rase campagne et quil y avait des sabres sous les manteaux.


 Bonne chance, monsieur! dit-il au brave Ayvaz. Oh! vous ne risquez rien; je porte bonheur à mes bourgeois. Encore lan dernier, jen ai ramené un qui avait couché son homme. Il ma donné vingt-cinq francs de pourboire; vrai, comme je vous le dis.


 Tu en auras cinquante, dit Ayvaz, si Dieu permet que je me venge à mon idée.


Mr LAmbert était dune jolie force, mais trop connu dans les salles pour avoir jamais eu occasion de se battre. Au point de vue du terrain, il était aussi neuf quAyvaz-Bey: aussi, quoiquil eût vaincu dans des assauts les maîtres et les prévôts de plusieurs régiments de cavalerie, il éprouvait une sourde trépidation qui nétait point de la peur, mais qui produisait des effets analogues. Sa conversation dans la voiture avait été brillante; il avait montré à ses témoins une gaieté sincère et pourtant un peu fébrile. Il avait brûlé trois ou quatre cigares en route, sous prétexte de les fumer. Lorsque tout le monde mit pied à terre, il marcha dun pas ferme, trop ferme peut-être. Au fond de lâme, il était en proie à une certaine appréhension, toute virile et toute française: il se défiait de son système nerveux et craignait de ne point paraître assez brave.


Il semble que les facultés de lâme se doublent dans les moments critiques de la vie. Ainsi, Mr LAmbert était sans doute fort occupé du petit drame où il allait jouer un rôle, et cependant les objets les plus insignifiants du monde extérieur, ceux qui lauraient le moins frappé en temps ordinaire, attiraient et retenaient son attention par une puissance irrésistible. À ses yeux, la nature était éclairée dune lumière nouvelle, plus nette, plus tranchante, plus crue que la lumière banale du soleil. Sa préoccupation soulignait pour ainsi dire tout ce qui tombait sous ses regards. Au détour du sentier, il aperçut un chat qui cheminait à petits pas entre deux rangs de groseilliers. Cétait un chat comme on en voit beaucoup dans les villages: un long chat maigre, au poil blanc tacheté de roux, un de ces animaux demi-sauvages que le maître nourrit généreusement de toutes les souris quils savent prendre. Celui-là jugeait sans doute que la maison nétait pas assez giboyeuse et cherchait en plein champ un supplément de pitance. Les yeux de maître LAmbert, après avoir erré quelque temps à laventure, se sentirent attirés et comme fascinés par la grimace de ce chat. Il lobserva attentivement, admira la souplesse de ses muscles, le dessin vigoureux de ses mâchoires, et crut faire une découverte de naturaliste en remarquant que le chat est un tigre en miniature.


 Que diable regardez-vous là? demanda le marquis en lui frappant sur lépaule.


Il revint aussitôt à lui, et répondit du ton le plus dégagé:


 Cette sale bête ma donné une distraction. Vous ne sauriez croire, monsieur le marquis, le dégât que ces coquins nous font dans une chasse. Ils mangent plus de couvées que nous ne tirons de perdreaux. Si javais un fusil!


Et, joignant le geste à la parole, il coucha lanimal en joue en le désignant du doigt. Le chat saisit lintention, fit une chute en arrière et disparut.


On le revit deux cents pas plus loin. Il se faisait la barbe au milieu dune pièce de colza et semblait attendre les Parisiens.


 Est-ce que tu nous suis? demanda le notaire en répétant sa menace.


La bête prudentissime senfuit de nouveau; mais elle reparut à lentrée de la clairière où lon devait se battre. Mr LAmbert, superstitieux comme un joueur qui va entamer une grosse partie, voulut chasser ce fétiche malfaisant. Il lui lança un caillou sans latteindre. Le chat grimpa sur un arbre et sy tint coi.

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