Edmond About - Le nez dun notaire стр 14.

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Toutefois, il navait jamais rompu avec le corps de ballet; la sévère leçon quil avait reçue ne lui inspira aucune horreur pour cette hydre à cent jolies têtes. Une de ses premières visites fut pour le foyer où brillait mademoiselle Victorine Tompain. Cest là quon lui fit une belle rentrée! Avec quelle curiosité amicale on courut à lui! Comme on lappela très cher et bien bon!


Quelles poignées de main cordiales! Quels jolis petits becs se tendirent vers lui pour recevoir un baiser dami, sans conséquence! Il rayonnait. Tous ses amis des jours pairs, tous les dignitaires de la franc-maçonnerie du plaisir, lui firent compliment de sa guérison miraculeuse. Il régna durant tout un entracte dans cet agréable royaume. On écouta le récit de son affaire; on lui fit raconter le traitement du docteur Bernier; on admira la finesse des points de suture qui ne se voyaient presque plus!


 Figurez-vous, disait-il, que cet excellent Mr Bernier ma complété avec la peau dun Auvergnat. Et de quel Auvergnat, bon Dieu! Le plus stupide, le plus épais, le plus sale de lAuvergne! On ne sen douterait pas à voir le lambeau quil ma vendu. Ah! lanimal ma fait passer bien des quarts dheure désagréables! Les commissionnaires du coin des rues sont des dandies auprès de lui. Mais jen suis quitte, grâce au ciel! Le jour où je lai payé et jeté à la porte, je me suis soulagé dun grand poids. Il sappelait Romagné, un joli nom! Ne le prononcez jamais devant moi. Quon ne me parle pas de Romagné, si lon veut que je vive! Romagné!


Mademoiselle Victorine Tompain ne fut pas la dernière à complimenter le héros. Ayvaz-Bey lavait indignement abandonnée en lui laissant quatre fois plus dargent quelle ne valait. Le beau notaire se montra doux et clément envers elle.


 Je ne vous en veux pas, lui dit-il; je nai pas même de rancune contre ce brave Turc. Je nai quun ennemi au monde, cest un Auvergnat du nom de Romagné.


Il disait Romagné avec une intonation comique qui fit fortune. Et je crois que, même aujourdhui, la plupart de ces demoiselles disent: «Mon Romagné,» en parlant de leur porteur deau.


Trois mois se passèrent; trois mois dété. La saison fut belle; il resta peu de monde à Paris. LOpéra fut envahi par les étrangers et les gens de province; Mr LAmbert y parut moins souvent.


Presque tous les jours, à six heures, il dépouillait la gravité du notaire et senfuyait à Maisons-Laffitte, où il avait loué un chalet. Ses amis ly venaient voir, et même ses petites amies. On jouait, dans le jardin, à toute sorte de jeux champêtres, et je vous prie de croire que la balançoire ne chômait pas.


Un des hôtes les plus assidus et les plus gais était Mr Steimbourg, agent de change. Laffaire de Parthenay lavait lié plus étroitement avec Mr LAmbert. Mr Steimbourg appartenait à une bonne famille disraélites convertis; sa charge valait deux millions, et il en possédait un quart à lui tout seul: on pouvait donc contracter amitié avec lui. Les maîtresses des deux amis saccordaient assez bien ensemble, cest-à-dire quelles se querellaient au plus une fois par semaine. Que cest beau, quatre cœurs qui battent à lunisson! Les hommes montaient à cheval, lisaient le Figaro, ou racontaient les cancans de la ville; les dames se tiraient les cartes à tour de rôle avec infiniment desprit: lâge dor en miniature!


Mr Steimbourg se fit un devoir de présenter son ami dans sa famille. Il le conduisit à Biéville, où le père Steimbourg sétait fait construire un château. Mr LAmbert y fut reçu cordialement par un vieillard très vert, une dame de cinquante-deux ans qui navait pas encore abdiqué, et deux jeunes filles tout à fait coquettes. Il reconnut au premier coup dœil quil nentrait pas chez des fossiles. Non; cétait bien la famille moderne et perfectionnée. Le père et le fils étaient deux camarades qui se plaisantaient réciproquement sur leurs fredaines. Les jeunes filles avaient vu tout ce qui se joue sur le théâtre et lu tout ce qui sécrit. Peu de gens connaissaient mieux quelles la chronique élégante de Paris; on leur avait montré, au spectacle et au bois de Boulogne, les beautés les plus célèbres de tous les mondes; on les avait conduites aux ventes des riches mobiliers, et elles dissertaient fort agréablement sur les émeraudes de mademoiselle X et les perles de mademoiselle Z Laînée, mademoiselle Irma Steimbourg, copiait avec passion les toilettes de mademoiselle Fargueil; la cadette avait envoyé un de ses amis chez mademoiselle Figeac pour demander ladresse de sa modiste. Lune et lautre étaient riches et bien dotées. Irma plut à Mr LAmbert. Le beau notaire se disait de temps en temps quun demi-million de dot et une femme qui sait porter la toilette ne sont pas choses à dédaigner. On se vit assez souvent, presque une fois par semaine, jusquaux premières gelées de novembre.


Après un automne doux et brillant, lhiver tomba comme une tuile. Cest un fait assez commun dans nos climats; mais le nez de Mr LAmbert fit preuve en cette occasion dune sensibilité peu commune. Il rougit un peu, puis beaucoup; il senfla par degrés, au point de devenir presque difforme. Après une partie de chasse égayée par le vent du nord, le notaire éprouva des démangeaisons intolérables. Il se regarda dans un miroir dauberge et la couleur de son nez lui déplut. Vous auriez dit une engelure mal placée.


Il se consolait en pensant quun bon feu de fagots lui rendrait sa figure naturelle, et, de fait, la chaleur le soulagea et le déteignit en peu dinstants. Mais la démangeaison se réveilla le lendemain, et les tissus se gonflèrent de plus belle, et la couleur rouge reparut avec une légère addition de violet. Huit jours passés au logis, devant la cheminée, effacèrent la teinte fatale. Elle reparut à la première sortie, en dépit des fourrures de renard bleu.


Pour le coup, Mr LAmbert prit peur; il manda Mr Bernier en toute hâte. Le docteur accourut, constata une légère inflammation et prescrivit des compresses deau glacée. On rafraîchit le nez, mais on ne le guérit point. Mr Bernier fut étonné de la persistance du mal.


 Après tout, dit-il, Dieffenbach a peut-être raison. Il prétend que le lambeau peut mourir par excès de sang et quon y doit appliquer des sangsues. Essayons!


Le notaire se suspendit une sangsue au bout du nez. Lorsquelle tomba, gorgée de sang, on la remplaça par une autre et ainsi de suite, durant deux jours et deux nuits. Lenflure et la coloration disparurent pour un temps; mais ce mieux ne fut pas de longue durée. Il fallut chercher autre chose. Mr Bernier demanda vingt-quatre heures de réflexion, et en prit quarante-huit.


Lorsquil revint à lhôtel de la rue de Verneuil, il était soucieux et même timide. Il dut faire un effort sur lui-même avant de dire à Mr LAmbert:


 La médecine ne rend pas compte de tous les phénomènes naturels, et je viens vous soumettre une théorie qui na aucun caractère scientifique. Mes confrères se moqueraient peut-être de moi si je leur disais quun lambeau détaché du corps dun homme peut rester sous linfluence de son ancien possesseur. Cest votre sang, lancé par votre cœur, sous laction de votre cerveau, qui afflue si malheureusement à votre nez. Et pourtant je suis tenté de croire que cet imbécile dAuvergnat nest pas étranger à lévénement.

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