— Qui ne t’intéressaient pas ?
— Non, j’ai acheté ce que je voulais, pour des clients bien précis d’ailleurs. Quant à Cornélius, en attendant de dépenser la lune pour la Chimère, il s’est porté acquéreur de deux bracelets ayant appartenu à Lucrèce Borgia pour la modeste somme de deux cent mille francs…
— Mais c’est Crésus, cet homme-là !
— Ou une assez bonne copie en tout cas. En mariant des vaches avec du pétrole, on doit obtenir des veaux en or massif !
Petit silence qu’Adalbert employa à tasser convenablement son tabac puis à allumer sa pipe dont il tira deux ou trois bouffées vigoureuses, tandis qu’Aldo promenait son verre sous son nez d’un air inspiré… Soudain Adalbert demanda :
— Il est venu tout seul, Belmont ?
— Non. Avec Pauline… et la femme de chambre témoin.
— Ah !
Cette simple syllabe suffit à déclencher la colère d’Aldo.
— Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi ?
— Moi aussi ? Ça veut dire quoi ?
— Que tu devrais chanter en duo avec Plan-Crépin ! Tout à l’heure pendant le dîner, il a fallu que Tante Amélie la tienne serrée pour l’empêcher de se lancer dans une philippique contre Pauline ! La savoir à Paris l’a mise en fureur ! Vous imaginez quoi, tous les deux ? Que je vais foncer au Ritz pour y prendre Pauline d’assaut toutes affaires cessantes ? Alors veux-tu me dire ce que je fais ici ?
— Ah ? Plan-Crépin a…
— Tout comme toi, mon vieux ! Tout comme toi !
Adalbert se mit à rire et lui tendit la bouteille d’armagnac pour qu’il se resserve.
— Tu n’es tout de même pas retourné à l’état sauvage ! Mais que sa présence inattendue te perturbe un brin, je le croirais volontiers.
— À quoi vois-tu ça ?
— Oh, c’est élémentaire : dans ton état normal, tu n’aurais jamais eu l’idée de t’adresser à un journaliste, si affûté soit-il, pour savoir qui est l’exécuteur testamentaire de Van Tilden. Tu filerais tout bêtement voir ton vieux copain Maître Lair-Dubreuil, commissaire-priseur illustre de son état : lui le sait forcément !
— Mais c’est que tu as raison ! marmotta Aldo, accablé par la logique de son ami. Si c’est ça, j’expédie tout demain, on embraye sur le boulevard Haussmann, on boit avec Berthier le verre promis, on dîne ou déjeune avec les Belmont… et j’attrape le premier train pour Venise !
Il débordait soudain de bonne volonté. Seulement, c’était plus facile à dire qu’à faire !…