JULIETTE BENZONI
LES « LARMES »
DE MARIE-ANTOINETTE
Roman
PLON
À Evelyne et Patrick Rebeyrol,
mes chers Versaillais
PROLOGUE
La nuit de juillet était chaude mais pas trop obscure.
Tapi derrière un mur de refend dans le vieux château fort aux trois quarts démantelé de Stenay, le petit homme ne quittait pas des yeux la porte que lofficier avait franchie tout à lheure, la cassette sous le bras. Quand il avait vu séclairer la fenêtre voisine, il sétait approché avec précaution pour voir à lintérieur. Il y avait là une chambre sommairement meublée, éclairée par une bougie posée près du lit sur lequel lofficier, assis, commençait à se déshabiller en bâillant. Quant à la cassette, celui-ci navait pas songé un seul instant à la dissimuler : elle était bien en évidence sur une table auprès dun encrier, dune plume et de quelques paperasses. Tout juste comme si cétait une chose sans importance. Lindignation du petit homme monta encore dun cran.
Tout à lheure déjà, quand la lui voyant sous le bras, le marquis de Bouillé lui avait demandé ce quil portait et quil la lui eut offerte en murmurant que cétaient les bijoux favoris de la Reine, Bouillé sen était emparé en disant quil verrait plus tard ce quil convenait den faire et, au lieu de lentourer de soins respectueux, sétait contenté de la donner à un jeune aide de camp pour quil veille dessus. Le petit homme aurait voulu protester contre un traitement si désinvolte et reprendre le précieux dépôt seulement il navait pas osé. À présent il cherchait fébrilement le moyen de le récupérer. Lui au moins saurait quen faire !
Il venait de quitter une fois de plus labri de son mur pour se rapprocher de la chambre quand il vit soudain un militaire arriver à pas de loup en rasant le bâtiment. Celui-là était de haute taille, tête nue, mais il portait un masque. Dans son poing serré le reflet de la lumière fit luire la lame dun couteau. Le cœur arrêté, lobservateur se tassa contre la muraille
Brusquement le soldat se rua à lintérieur, faisant claquer la porte que, par habitude de la consigne, lofficier navait pas fermée à clef. Aussitôt le bruit dune lutte rejoignit le petit homme quun coup dœil à la fenêtre renseigna. Emmêlés sur le lit de camp écroulé assaillant et assailli sempoignaient avec ardeur sans porter la moindre attention à ce qui se passait derrière eux. Le petit homme y vit sa chance : la cassette était à sa portée à trois pas de lui ! Cette vue lemplit dun courage inattendu : sélancer à lintérieur, saisir lobjet et senfuir ne lui prit quun instant et personne navait paru le remarquer.
Il traversa la cour à toute vitesse, franchit un mur à demi écroulé et courut vers son cabriolet quil avait dissimulé, cheval attaché, sous un bouquet darbres, prêt à partir. Deux minutes plus tard, ayant rejeté son manteau noir et même son tricorne, il lançait la légère voiture sur la route de la frontière tournant le dos à Stenay mais aussi à Varennes où, la nuit précédente, le roi Louis XVI et sa famille, en fuite vers Montmédy cependant si proche, avaient été reconnus, arrêtés et retenus dans la maison Sauce
Mais à tout cela le petit homme ne voulait plus penser. Il était jusque-là le serviteur quotidien et un peu le confident de Marie-Antoinette. Tellement indispensable quelle avait voulu quil allât lattendre à Montmédy.
Pour satisfaire cette exigence, il avait été « enlevé » cétait le juste terme ! par M. de Choiseul sans avoir pu rentrer chez lui prendre le nécessaire ni trouver le temps de prévenir Mme de Laage une fidèle pourtant ! qui lattendait peut-être encore.
Lémotion passée et, à y réfléchir, les choses ne sarrangeaient pas si mal, après tout ! Paris devenait angoissant avec ses imprévisibles bouffées de fureur. Au moins, lui était libre à présent, libre et riche dun vrai trésor ! Laube dune vie nouvelle était devant lui et, sans un regret, sans une pensée pour celle qui lavait fait célèbre et quil abandonnait à lenfer, le petit homme respira largement lair tiède de la nuit et poursuivit son chemin.
Cétait le 22 juin 1791.
Le petit homme sappelait Léonard Autié.
Depuis vingt-quatre heures il nétait plus le coiffeur de la Reine.
PREMIÈRE PARTIE
LES CADAVRES DE VERSAILLES
CHAPITRE I
« MAGIE DUNE REINE »
Cela promettait dêtre une réussite !
À voir limportance de la foule qui assiégeait le bel escalier intérieur du Petit Trianon en agitant ses cartes dinvitation, on pouvait légitimement se demander
si lesdits cartons navaient pas fait des petits par la grâce de cette alchimie sournoise quavaient appris à redouter tous les organisateurs de grandes manifestations artistico-mondaines.
Combien, au juste, avons-nous envoyé dinvitations ? demanda plaintivement Mme de La Begassière qui assurait la présidence de lexposition « Magie dune reine » avec, sous ses ordres quelques demoiselles bien nées dont lâge garantissait le sérieux et préservait de toute tentation frivole. Parmi elles brillait Marie-Angéline du Plan-Crépin, obligeamment prêtée pour la circonstance par la marquise de Sommières auprès de qui elle assumait dhabitude les fonctions de lectrice, demoiselle de compagnie aux talents multiples, âme damnée, cousine et inépuisable source de renseignements glanés, en général, à la messe de six heures à léglise Saint-Augustin. Ce fut elle qui répondit :