Альбер Камю - Le minotaure. La peste / Минотавр. Чума. Книга для чтения на французском языке стр 2.

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2. Des boutiques de photographes où la technique na pas progressé depuis linvention du papier sensible. Elles exposent une faune singulière, impossible à rencontrer dans les rues, depuis le pseudo-marin qui sappuie du coude sur une console, jusquà la jeune fille à marier, taille fagotée, bras ballants devant un fond sylvestre. On peut supposer quil ne sagit pas de portraits daprès nature: ce sont des créations.

3. Une édifiante abondance de magasins funéraires. Ce nest pas quà Oran on meure plus quailleurs, mais jimagine seulement quon en fait plus dhistoires.

La sympathique naïveté de ce peuple marchand sétale jusque dans la publicité. Je lis, sur le prospectus dun cinéma oranais, lannonce dun film de troisième qualité. Jy relève les adjectifs «fastueux», «splendide», «extraordinaire», «prestigieux», «bouleversant» et «formidable». Pour finir, la direction informe le public des sacrifices considérables quelle sest imposés, afin de pouvoir lui présenter cette étonnante «réalisation». Cependant, le prix des places ne sera pas augmenté.

On aurait tort de croire que sexerce seulement ici le goût de l'exagération propre au Midi. Exactement, les auteurs de ce merveilleux prospectus donnent la preuve de leur sens psychologique. Il sagit de vaincre lindifférence et lapathie profonde quon ressent dans ce pays dès quil sagit de choisir entre deux spectacles, deux métiers et, souvent même, deux femmes. On ne se décide que forcé. Et la publicité le sait bien. Elle prendra des proportions américaines, ayant les mêmes raisons, ici et là-bas, de sexaspérer.

Les rues dOran nous renseignent enfin sur les deux plaisirs essentiels de la jeunesse locale: se faire cirer les souliers et promener ces mêmes souliers sur le boulevard. Pour avoir une idée juste de la première de ces voluptés, il faut confier ses chaussures, à dix heures, un dimanche matin, aux cireurs du boulevard Gallieni. Juché sur de hauts fauteuils, on pourra goûter alors cette

un boulomane любитель игры в шары
Diane chasseresse Диана-охотница
sur le dessus de nos cheminées на каминной полке
un petit noir чашечка чёрного кофе
le Midi Юг (Франции)

satisfaction particulière que donne, même à un profane, le spectacle dhommes amoureux de leur métier comme le sont visiblement les cireurs oranais. Tout est travaillé dans le détail. Plusieurs brosses, trois variétés de chiffons, le cirage combiné à lessence: on peut croire que lopération est terminée devant le parfait éclat qui naît sous la brosse douce. Mais la même main acharnée repasse du cirage sur la surface brillante, la frotte, la ternit, conduit la crème jusquau cœur des peaux et fait alors jaillir, sous la même brosse, un double et vraiment définitif éclat sorti des profondeurs du cuir.

Les merveilles ainsi obtenues sont ensuite exhibées devant les connaisseurs. Il convient, pour apprécier ces plaisirs tirés du boulevard, dassister aux bals masqués de la jeunesse qui ont lieu tous les soirs sur les grandes artères de la ville. Entre seize et vingt ans, en effet, les jeunes Oranais de la «Société» empruntent leurs modèles délégance au cinéma américain et se travestissent avant daller dîner. Chevelure ondulée et gominée, débordant dun feutre penché sur loreille gauche et cassé sur lœil droit, le cou serré dans un col assez considérable pour prendre le relais des cheveux, le nœud de cravate microscopique soutenu par une épingle rigoureuse, le veston à mi-cuisse et la taille tout près des hanches, le pantalon clair et court, les souliers éclatants sur leur triple semelle, cette jeunesse, tous les soirs, fait sonner sur les trottoirs son imperturbable aplomb et le bout ferré de ses chaussures. Elle sapplique en toutes choses à imiter lallure, la rondeur et la supériorité de M. Clark Gable. À ce titre, les esprits critiques de la ville surnomment communément ces jeunes gens, par la grâce dune insouciante prononciation, les «Clarque».

Dans tous les cas, les grands boulevards dOran sont envahis, à la fin des après-midi, par une armée de sympathiques adolescents qui se donnent le plus grand mal pour paraître de mauvais garçons. Comme les jeunes Oranaises se sentent promises de tout temps à ces gangsters au cœur tendre, elles affichent également le maquillage et lélégance des grandes actrices américaines. Les mêmes mauvais esprits les appellent en conséquence des «Marlène». Ainsi, lorsque sur les boulevards du soir un bruit doiseaux monte des palmiers vers le ciel, des dizaines de Clarque et de Marlène se rencontrent, se toisent et sévaluent, heureux de vivre et de paraître, livrés pour une heure au vertige des existences parfaites. On assiste alors, disent les jaloux, aux réunions de la commission américaine. Mais on sent à ces mots lamertume des plus de trente ans qui nont rien à faire dans ces jeux. Ils méconnaissent ces congrès quotidiens de la jeunesse et du romanesque. Ce sont, en vérité, les parlements doiseaux quon rencontre dans la littérature hindoue. Mais on nagite pas sur les boulevards dOran le problème de lêtre et lon ne sinquiète pas du chemin de la perfection. Il ne reste que des battements dailes, des roues empanachées, des grâces coquettes et victorieuses, tout léclat dun chant insouciant qui disparaît avec la nuit.

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