Cela se passait? demanda Lupin.
Cela se passait le vingt-six germinal, an II, cest-à-dire le»
M. Valandier sinterrompit, les yeux tournés vers le calendrier qui pendait au mur, et il sécria:
«Mais cest justement aujourdhui. Nous sommes le 15 avril, jour anniversaire de larrestation du fermier général.
Coïncidence bizarre, dit Lupin. Et cette arrestation eut, sans doute[128], étant donné lépoque, des suites graves?
Oh! fort graves, dit le notaire en riant. Trois mois après, au début de Thermidor, le fermier général montait sur léchafaud. On oublia son fils Charles en prison, et leurs biens furent confisqués.
Des biens immenses, nest-ce pas? fit Lupin.
Eh voilà! voilà précisément où les choses se compliquent. Ces biens qui, en effet, étaient immenses, demeurèrent introuvables.
Il restait tout au moins, dit Lupin, la maison de Passy.
La maison de Passy fut achetée à vil prix[129] par le délégué même de la Commune qui avait arrêté dErnemont, le citoyen Broquet. Le citoyen Broquet sy enferma, barricada les portes, et lorsque Charles dErnemont, enfin libéré, se présenta, il le reçut à coups de fusil[130]. Le 12 février 1803, le citoyen Broquet vida les lieux[131], mais était fou!
Bigre! murmura Lupin. Et que devint-il?
Sa mère, et sa sœur Pauline étant mortes toutes deux, la vieille servante prit soin de lui[132]. Avant de mourir cette servante déclara que, au début de la Révolution, le fermier général avait transporté dans sa maison de Passy des sacs remplis dor et dargent, et que ces sacs avaient disparu quelques jours avant larrestation. Les trésors se trouvaient cachés dans le jardin. Comme preuve la servante montra trois tableaux, ou plutôt, car ils nétaient pas encadrés, trois toiles que le fermier général avait peintes durant sa captivité et quil avait réussi à lui faire passer avec lordre de les remettre à sa femme, à son fils et à sa fille.
Et ils y sont encore, ricana Lupin.
Et ils y seront toujours, sécria Me Valandier
Mais Charles?
Charles vivait dans la retraite la plus absolue[133]. Il ne quittait pas sa chambre.
Jamais?
Une fois lan, Charles dErnemont descendait, suivait exactement le chemin que son père avait suivi, traversait le jardin, et sasseyait tantôt sur les marches de la rotonde, dont vous voyez ici le dessin, tantôt sur la margelle de ce puits. Ce jour-là, cétait le 15 avril, jour de lanniversaire de larrestation.»
M. Valandier ne souriait plus.
Après un instant de réflexion, Lupin demanda:
«Et depuis la mort de Charles?
Depuis cette époque, reprit le notaire avec une certaine solennité, depuis bientôt cent ans, les héritiers de Charles et de Pauline dErnemont continuent le pèlerinage le quinze avril. Ils attendent. Ils attendent le quinze avril, et lorsque le quinze avril est arrivé, ils attendent quun miracle se produise.»
Un nouveau silence, et Lupin reprit:
«Votre opinion, Maître Valandier?
Mon opinion est quil ny a rien.
Cependant les tableaux?
Oui, évidemment. Mais tout de même[134], est-ce une preuve suffisante?
Vous avez parlé de trois tableaux? Et chacun deux portait la même date?
Oui, inscrite par Charles dErnemont La même date,
15-4-2, cest-à-dire le 15 avril, an II, selon le calendrier révolutionnaire, puisque larrestation eut lieu en avril 1794.
Ah! bien, parfait dit Lupin le chiffre 2 signifie»
Il demeura pensif durant quelques instants et reprit:
«Encore une question, voulez-vous? Personne ne sest jamais offert pour résoudre ce problème?»
Me Valendier leva les bras.
«Que dites-vous là sécria-t-il. Toute personne étrangère qui voulait opérer des recherches devait, au préalable, déposer une certaine somme.
Quelle somme?
Cinq mille francs. En cas de réussite, le tiers des trésors revient à lindividu. En cas dinsuccès, le dépôt reste acquis aux héritiers. Comme ça, je suis tranquille.
Voici les cinq mille francs.»
Le notaire sursauta.
«Hein! que dites-vous?
Je dis, répéta Lupin en sortant cinq billets de sa poche, je dis que voici le dépôt de cinq mille francs.
Cest sérieux? articula Me Valandier.
Absolument sérieux.
Pourtant je ne vous ai pas caché mon opinion. Toutes ces histoires invraisemblables ne reposent sur aucune preuve.
Je ne suis pas de votre avis[135], déclara Lupin.»
Le notaire le regarda comme on regarde un monsieur dont la raison nest pas très saine.
«Si vous changez davis, ajouta-t-il, je vous prie de men avertir huit jours davance.»
On se quitta. Aussitôt dans la rue, je mécriai:
«Vous savez donc quelque chose?
Moi? répondit Lupin, rien du tout. Et cest là, précisément, ce qui mamuse.
Mais il y a cent ans que lon cherche!
Il sagit moins de chercher que de réfléchir. Or jai trois cent soixante-cinq jours pour réfléchir.»
Puis il y eut toute une période durant laquelle je neus pas loccasion de le voir[136].
De fait, le matin du 15 avril arriva, et javais fini de déjeuner que Lupin nétait pas encore là. À midi un quart, je men allai et me fis conduire à Passy.
Tout de suite, dans la ruelle, javisai les quatre gamins de louvrier qui stationnaient devant la porte. Averti par eux, Me Valandier accourut à ma rencontre.
«Eh bien, le capitaine Janniot? sécria-t-il.
Il nest pas ici?
Non.»
Les groupes se pressaient autour du notaire.
«Ils espèrent, me dit Me Valandier, et cest ma faute.»
Il minterrogea, et je lui donnai, sur le capitaine, des indications quelque peu fantaisistes que les héritiers écoutaient en hochant la tête[137].
Louise dErnemont murmura:
«Et sil ne vient pas?
Nous aurons toujours les cinq mille francs à nous partager,» dit le mendiant.
À une heure et demie, les deux sœurs maigres sassirent, prises de défaillance. Puis le gros monsieur à la jaquette malpropre eut une révolte subite contre le notaire.
«Parfaitement, Maître Valandier, vous êtes responsable»
Il me regarda dun œil mauvais[138].
Mais laîné des gamins surgit à la porte en criant:
«Voilà quelquun!.. Une motocyclette!..»
Le bruit dun moteur grondait par-delà le mur[139].
«Mais ce nest pas le capitaine Janniot, clama le notaire qui hésitait à le reconnaître.
Si, affirma Lupin en nous tendant la main, cest le capitaine Janniot, seulement jai fait couper ma moustache Maître Valandier, voici le reçu que vous avez signé.»
Il saisit un des gamins par le bras et lui dit:
«Cours à la station de voitures et ramène une automobile jusquà la rue Raynouard.»
Il y eut des gestes de protestation. Le capitaine Janniot prononça:
«Vous mexcuserez. Le rapide de Marseille a déraillé entre Dijon et Laroche. Il y a une douzaine de morts, et des blessés que jai dû secourir. Alors, dans le fourgon des bagages, jai trouvé cette motocyclette»
Il consulta sa montre.[140]
«Eh! Eh! pas de temps à perdre.»
Je le regardais avec une curiosité ardente. Lentement le capitaine Janniot se dirigea vers la gauche et sapprocha du cadran solaire. Il demanda:
«Un couteau, sil vous plaît?»
Deux heures sonnèrent quelque part.[141] À cet instant précis[142], sur le cadran illuminé de soleil, lombre de la flèche se profilait suivant une cassure du marbre qui coupait le disque à peu près par le milieu[143].
Le capitaine saisit le couteau quon lui tendait. Il louvrit et il commença à gratter le mélange de terre, de mousse et de lichen qui remplissait létroite cassure.
Tout de suite, à dix centimètres du bord, il sarrêta, comme si son couteau eût rencontré un obstacle.
«Tenez, Maître Valandier, voici toujours quelque chose.»
Cétait un diamant énorme.
Le capitaine se remit à la besogne. Presque aussitôt, nouvelle halte. Un second diamant apparut. Puis il en vint un troisième, et un quatrième. Le capitaine avait retiré dix-huit diamants de la même grosseur.
Le gros monsieur murmura:
«Crénom de crénom»