Ses doigts glissèrent.
Sapristi.
Margaret dégringola.
Elle agita les mains en lair, essayant de se raccrocher à quelque chose, nimporte quoi.
Ses boucles furent balayées hors de ses yeux, mais tout ce quelle vit fut de la grisaille.
Elle battit des bras vers le haut, comme sil pouvait y avoir quelque chose à agripper, mais il ny avait rien : cétait la fin.
Margaret sécrasa.
Elle rebondit.
Rebondir nétait pas le résultat auquel elle sétait attendue. Elle roula, puis tomba encore, atterrissant cette fois sur les pavés.
Elle était vivante. Cétait un état quelle avait pris pour acquis, mais quà présent, elle appréciait beaucoup.
De gouttes de pluie froides continuaient à atterrir sur elle, son corps était douloureux, et sa robe était maintenant à la fois déchirée et boueuse, mais cela navait pas dimportance.
Je suis vivante.
Elle soupira.
Avec délice.
Mademoiselle ?
Le majordome a lair sévère de tout à lheure descendit prestement dune calèche, suivit par le cocher bavard qui était sur le trottoir.
Margaret se releva péniblement des pavés. Son turban à plumes avait atterri dans une flaque de boue, et une plume avait été délogée de son perchoir. Bien que Margaret ait souhaité avoir une excuse pour ne pas le porter, la vision de son turban abimé manquait de la satisfaction quelle avait imaginée.
Le majordome lexamina avec la vigueur dun homme habitué à chercher la moindre tâche en polissant largenterie.
Vous allez bien ?
Oui.
Elle allait bien. Elle était debout, et ses mains fonctionnaient.
Margaret observa la calèche. De toute évidence, elle avait atterri sur le toit de la calèche et cela lui avait sauvé la vie.
Vous lavez déplacée pour moi ?
Le majordome hocha la tête.
Après que cet homme mait alerté, jai envisagé de rentrer et de vous atteindre par le balcon, mais jai pensé que ceci serait plus rapide.
Merci, dit-elle.
Vous auriez pu détruire cette calèche, aboya le cocher. Bien content que ce ne soit pas la mienne.
Il dirigea un regard sévère vers le majordome avant de reprendre.
Les calèches coûtent cher.
J-Je navait pas lintention de tomber, bégaya Margaret.
Le cocher fronça ses épais sourcils et lui lança un regard noir.
Il se tourna vers le majordome.
Dois-je aller chercher un vigile ? Elle était peut-être en train de cambrioler ! Une robe terriblement élégante, pour une vagabonde. Très suspect.
Le majordome lui adressa un sourire aimable.
Je pense que cest une invitée, Monsieur.
Une invitée ? dit le cocher dont les yeux sécarquillèrent. Vous en êtes certain ?
Il est difficile doublier une robe de cette nuance de jaune. Il en va de même pour ce turban.
Le majordome dirigea son regard avec gravité vers la flaque et son contenu détruit.
Les hommes continuèrent à parler, mais Margaret ne pouvait plus écouter. Elle devait partir.
Même les plus excentriques nétaient pas supposées escalader lextérieur des balcons ducaux. Margaret navait pas survécu pour être réprimandée davantage. Son statut dans le beau monde était déjà suffisamment bas. Elle navait certainement pas besoin de rumeurs disant quelle était une cambrioleuse. Elle ne pouvait pas rester là, mais elle ne pouvait pas retourner au bal avec une robe déchirée et boueuse non plus.
Des cochers lui jetèrent des regards curieux depuis leurs calèches, certains passant la tête sous la petite pluie fine.
Si seulement son propre cocher attendait là. Malheureusement, il ne passerait les prendre quà minuit. Le ciel était peut-être sombre, mais elle doutait quil soit déjà proche de cette heure, et Margaret navait aucun désir de lattendre.
Voulez-vous entrer à lintérieur ? demanda le majordome.
Margaret hésita.
Ne pas rester sous la pluie était tentant. Elle ne devrait pas rester ici et continuer à converser avec des cochers déconcertés. Un invité pourrait sortir de la résidence à tout moment. La présence de Margaret serait impossible à ne pas remarquer, et la réputation de Margaret deviendrait encore plus discutable.
Margaret navait peut-être pas été découverte au lit avec le duc, mais se retrouver seule, dans la rue, dans une robe déchirée et chiffonnée, nétait pas une franche amélioration.
Et pourtant
Même si elle ne pouvait absolument pas sattarder au dehors, elle ne pouvait pas saventurer à lintérieur. Il était évident quelle rencontrait plus de membres de la haute société à lintérieur.
Elle ferma très fort les yeux.
Sa mère avait réussi à ruiner sa réputation après tout, et tout ce que Margaret avait accompli, cétait de sassurer que le duc de Jevington ne soit impliqué dans aucun scandale.
Elle fronça les sourcils.
Elle était à Grosvenor Square.
Daisy vivait à proximité.
Margaret pouvait lui rendre visite, puisque Daisy ne serait pas au bal.
Vous devriez vraiment rentrer à lintérieur, dit gentiment le majordome.
Je devrais lembarquer pour voir si cest pas une criminelle, dit le cocher. Cest pas bon signe quand une femme cambriole une maison dans un beau quartier comme ça.
Je nallais pas cambrioler, protesta Margaret.
Alors quest-ce que vous alliez faire ? demanda le cocher. Ça ma tout lair dêtre ce que vous alliez faire, même si vous aviez une invitation.
Margaret le fixa du regard.
Le majordome et le cocher la dévisagèrent en retour.
Daccord.
Margaret remua les jambes.
Ça doit être une professionnelle, en plus, songea le cocher. Parce que je ne lai même pas remarquée en train de grimper.
Ce nétait plus le moment de réfléchir davantage, peu importe combien le processus de la réflexion était précieux en temps normal. Margaret partit en courant.
Elle souleva ses jupes pour éviter de marcher sur leur ourlet et se précipita dans la rue. Elle évita de regarder les calèches, comme si ne pas croiser les yeux des cochers signifiait quils ne remarqueraient pas une bourrasque jaune canari avec des boucles brunes.
Elle senfuit de Grosvenore Square, puis tourna dans une rue adjacente, puis une autre. Trop tard, elle prit conscience quelle navait même pas un réticule et navait dargent pour un fiacre.
Elle serra les dents.
Elle ne cherchait pas un fiacre pas encore.
Elle cherchait Daisy.
Enfin, elle arriva à la résidence de son amie.
Elle envisagea descalader jusquà la fenêtre de son amie. Mais contrairement aux héroïnes des romans de Loretta Van Lochen, elle ne sentait pas en mesure descalader limmeuble. Même le balcon du duc sétait révélé dangereux.
En outre, Daisy était sensée et naurait probablement pas laissé sa fenêtre ouverte. Cette partie de Mayfair était peut-être agréable, mais cela restait Londres, et de nombreuses personnes en manque dargent était au courant de la richesse de ce quartier.
Margaret lissa sa robe, consciente que de la boue formait des croûtes en divers endroits. Lisser sa robe nétait en rien comparable à laver sa robe, la sécher et la repasser, mais cela devrait suffire.
Elle saisit le heurtoir, le frappa et après un certain temps, le majordome ouvrit la porte.
Sil était indigné davoir été interrompu dans ses projets de repos nocturne, il ne lexprima pas à haute voix. Par contre, il ouvrit grand les yeux et fit la moue.
Je suis vraiment désolée, dit vivement Margaret. Mais je désirais parler à Miss Holloway.
Le majordome se renfrogna, et elle frissonna sous son regard dur.
Est-elle chez elle ? demanda Margaret dune voix tremblante.
Miss Holloway nest pas encline à batifoler en ville à des heures indues de la nuit.
La voix du majordome retentit dun ton autoritaire. Il excellait sans aucun doute à diriger les valets, apparaissant peut-être même dans leurs rêves après un incident particulièrement maladroit dans leur service.