Tom ne ralentit même pas le rythme auquel il hachait, qui était exceptionnellement rapide.
– Coupable. Pour leur avoir accidentellement dit alors que tu n’étais manifestement pas prête.
Lacey prit une autre gorgée de vin. Elle n’y croyait pas vraiment, et pas seulement parce que Tom ne lui accordait manifestement que 50% de son attention. Il pouvait maintenir jusqu’à la fin des temps que ça ne l’ennuyait pas, Lacey aurait toujours un léger doute.
– Tu l’as tout de suite dit à Heidi ? demanda-t-elle.
Lacey n’avait rencontré la mère avocate de Tom qu’à quelques reprises, et la première fois alors qu’elle se trouvait au poste de police de Wilfordshire, après avoir été arrêtée et injustement accusée de meurtre. Depuis lors, Lacey avait l’impression de rattraper son retard pour que sa future belle-mère l’apprécie.
– Je lui ai dit le lendemain, dit Tom. Et puis j’ai appelé Norah et je lui ai dit plus tard dans la soirée.
Lacey fronça les sourcils. Qui était Norah ? Elle n’avait jamais entendu ce nom auparavant et hésitait à le demander.
– Qui est Norah ? dit-elle finalement.
– Ma sœur, dit Tom, simplement.
Lacey recracha presque son vin.
– Tu as une SŒUR ?
Son exclamation suffit pour finalement arracher l’attention de Tom à sa tâche. Il la regarda, surpris.
– Oui… dit-il en faisant traîner le mot comme si c’était une question. Ma grande sœur. Norah. Tu sais que j’ai une sœur, n’est-ce pas ?
– Non ! s’écria Lacey.
Elle était complètement abasourdie. Lui avait-il dit et avait-elle oublié ? Sûrement pas ! Elle n’aurait sûrement pas oublié quelque chose d’aussi important qu’une sœur ? D’autant plus qu’elle était toujours confrontée aux histoires de sa propre sœur. Si elle avait su quelque chose à ce sujet, ils auraient pu se rapprocher grâce à cela.
– Eh bien, nous ne sommes pas vraiment proches, dit Tom avec désinvolture, comme si cela pouvait être une explication un tant soit peu adéquate pour le manque flagrant de connaissances de Lacey. Je veux dire, techniquement, elle n’est pas du tout ma sœur en fait. Nous ne partageons même pas de gènes.
– Comment ça, vous ne partagez pas de jeans ? demanda Lacey. Quel est le rapport avec tout ça ? Ce serait super bizarre si vous en partagiez, pour être honnête. Les jeans des femmes sont coupés de façon complètement différente et…
Tom l’interrompit avec un aboiement de rire.
– GÈNES ! s’écria-t-il. G-È-N-E-S.
– Oh.
Lacey se sentait stupide. Ses joues devinrent brûlantes. Mais quand elle réalisa ce que Tom était en fait en train de dire, sa gêne fit place à une confusion totale.
– Attends une seconde, dit-elle, en quête d’éclaircissements. Vous ne partagez pas de gènes ? Donc vous n’êtes pas vraiment parents ?
Elle n’arrivait pas à gérer le va-et-vient, de haut en bas, de bas en haut, de ce méli-mélo. Elle aurait beaucoup aimé descendre de cet ascenseur émotionnel dans lequel la révélation choquante de Tom l’avait forcée à monter.
Tom avait l’air de vouloir résoudre un problème mathématique très délicat.
– Elle est ma demi-sœur, dit-il avec considération, comme si c’était la première fois qu’il essayait de donner un sens à tout cela. En quelque sorte. Elle est issue du précédent mariage de mon père, c’est la fille de sa première femme, sa belle-fille. Ce qui ferait techniquement d’elle ma demi-sœur, seulement mon père et sa mère ont divorcé avant ma naissance. Elle est donc un peu comme mon ex-demi-sœur. OU… elle n’a jamais été ma demi-sœur ?
Lacey cligna des yeux. L’histoire de la famille de Tom était pour le moins déroutante. Mais le vrai problème était le fait que Lacey en sache si peu.
– Tu connais un autre terme pour une demi-sœur qui n’a jamais existé ? dit-elle.
– Non ? Quoi ? répondit Tom.
– Rien, dit Lacey en haussant les épaules. Tu l’appelles juste Norah, et je n’ai pas de crise cardiaque.
Tom rit, même si Lacey ne plaisantait qu’à moitié.
– Mais ce ne serait pas juste non plus, expliqua-t-il. Norah a vécu avec mon père et sa première femme pendant la plus grande partie de son enfance. Il était en fait un second père pour elle, et ils sont restés proches même après le divorce. Je me souviens qu’elle m’appelait son frère quand j’étais plus jeune, mais je suppose qu’après la mort de mon père, nous nous sommes éloignés l’un de l’autre. Il y a une grande différence d’âge entre nous, donc ça devait forcément arriver. Il baissa la voix et chuchota en aparté comme s’il révélait quelque chose de scandaleux. Elle n’a que deux ans de moins que ma mère.
Et sur ce, il se remit allègrement à couper ses courgettes.
Lacey se tenait là, complètement hébétée. Elle n’était au courant de précisément rien de tout cela. Tom n’était pas vraiment réservé au sujet de sa famille (bien qu’il ait du mal à parler de son père, qui était décédé quand il était jeune), et pourtant Lacey ignorait tout du fait qu’Heidi était la deuxième femme du père de Tom, et elle ne savait certainement rien de Norah, sa demi-sœur en-quelque-sorte-mais-pas-vraiment ! Aussi distante que soit la relation entre Tom et Norah, elle aurait certainement été abordée au moins une fois au cours de leur relation.
– Tu ne m’as jamais rien dit de tout ça avant, murmura Lacey. Elle se sentait inquiète.
Tom haussa juste les épaules.
– Oh, eh bien maintenant tu sais.
Il était typiquement désinvolte.
– Pas ‘oh, eh bien’, répliqua Lacey. Pourquoi est-ce que tu n’as jamais parlé de Norah avant ? Ou du premier mariage de ton père ? Pourquoi est-ce que je ne l’apprends que maintenant ?
Tom s’interrompit en plein geste. Il se tourna vers elle, ses sourcils marrons froncés dans un air interrogateur.
– Tu es stressée, n’est-ce pas ? dit-il en saisissant enfin son état émotionnel. Pourquoi cela t’inquiète-t-il autant ?
Lacey secoua la tête. Elle ne le comprenait pas complètement elle-même. Mais elle avait une vague idée…
– J’ai écrit une lettre à mon père, dit-elle.
Plusieurs secondes de silence passèrent.
Finalement, Tom écarquilla les yeux. Il posa maladroitement son couteau.
– Vraiment ? s’exclama-t-il. Tu as trouvé une adresse ?
Lacey acquiesça. Son cœur battait comme un marteau-piqueur.
– J’ai rencontré quelqu’un à la maison de vente aux enchères Sawyer & Sons qui le connaissait. Il avait une adresse. Il vit à Rye, dans le Sussex.
Alors que tout se mettait à sortir, Lacey sentit qu’un poids énorme lui était ôté des épaules. Elle n’avait pas réalisé à quel point son secret pesait sur elle. Elle se sentait idiote de l’avoir caché au départ.
– Lacey, c’est incroyable ! s’exclama Tom. On devrait y aller. Ensemble.
– Quoi ? dit Lacey, stupéfaite. Non. On ne peut pas faire ça.
– Pourquoi pas ? insista Tom. Tu sais enfin où vit ton père ! Après toutes ces recherches. Tu ne veux pas aller le voir ?
Lacey rechignait.
– Bien sûr, marmonna-t-elle. Son regard se posa sur le pied de son verre de vin qu’elle avait commencé à faire tourner nerveusement entre ses doigts. Mais il n’a pas répondu à ma lettre. Alors je ne sais pas s’il… tu sais… Sa voix tomba encore plus bas. … s’il veut me voir.
– Ah, dit Tom en devenant immédiatement sérieux.
Il la prit dans ses bras. Lacey accepta ce réconfort.
– Voilà une idée, dit-il. Pourquoi n’irions-nous pas ensemble ? Si on en faisait un week-end ?
– Pas question, dit Lacey en secouant la tête contre son torse. Ça m’a pris des semaines rien que pour lui écrire une lettre. Je ne suis pas vraiment prête à frapper à sa porte.
Tom la libéra de son étreinte.
– Et si on regardait sa maison de loin ?
– Non, dit plus fermement Lacey. Je suis désolée, Tom, mais je ne suis pas prête.
– Visiter la ville ? suggéra Tom. Le comté ?
Il s’éloignait de plus en plus et Lacey ne pouvait s’empêcher d’être touchée par ses efforts pour l’encourager, même s’il était un peu insistant à ce sujet.
– Je visiterai le comté, dit Lacey en cédant enfin. Je me sens assez à l’aise pour me rapprocher jusque-là. Pour l’instant.