Un homme entra à l’autre bout de la ruelle, venant dans sa direction. Callie se raidit un peu, le gardant à l’œil tout en faisant semblant de regarder le sol à sa gauche. Il avait une capuche remontée sur la tête, le visage dans l’ombre, les mains enfoncées dans ses poches, tout comme les siennes.
Elle ne put pas l’identifier. Cela pourrait être de mauvais augure, dans un endroit comme celui-ci. Cela pourrait signifier qu’il ne voulait pas être reconnu. Mauvais signe.
Les doigts de Callie s’enroulèrent et enveloppèrent le spray au poivre, les muscles de ses bras se tendant alors qu’elle pensait à l’utiliser. Elle le sortirait d’un geste rapide, le dirigerait vers son visage – elle utilisa le bout de son index pour trouver la buse afin qu’elle soit dans le bon sens – puis pulvériserait. Pulvériser et courir.
Elle accéléra le pas, pensant que plus vite elle le dépasserait, moins il aurait de chances de prendre le dessus. Elle regarda la distance qui les séparait, essayant de se rendre compte. Un coup d’œil vers le ciel. Était-elle déjà à mi-chemin ? Serait-il plus rapide de courir en avant ou vers l’arrière ? Javi l’attendait. Peut-être que si elle courait vers lui, il la laisserait entrer plus vite. Oui, elle allait courir en direction de Javi.
Elle retint son souffle lorsque l’homme s’approcha, essayant de continuer à avancer comme si de rien n’était, mais tout en serrant le spray au poivre plus fort que jamais. Elle était aux aguets, prête à se lancer—
Il passa à côté d’elle, sans incident.
Callie respira à nouveau, se réprimandant intérieurement d’avoir été si paranoïaque. C’était ce qui arrivait aux gens trop préparés. Qui craignaient trop de se faire attaquer dans les ruelles.
Javi en rirait. Elle le lui raconterait, même si c’était gênant. Il rirait de bon cœur et lui dirait qu’il la protégerait des grands hommes effrayants. Ce serait un moment de complicité entre eux.
Tout d’un coup, Callie fut déséquilibrée, juste au moment où elle reprenait son souffle. Quelque chose venant de derrière. Elle pris conscience que c’était forcément lui. Il l’agrippait par les épaules, un de ses bras la cintrant. Vers lui. Ses omoplates heurtèrent sa poitrine, et quelque chose se pressait sur sa gorge – quelque chose d’aiguisé – quelque chose—
Elle voulut crier au secours, appeler Javi, hurler, mais quand elle essaya, l’air ne fit que sortir en bulles de sa gorge, par la nouvelle ouverture qu’il avait faite. Il lui avait tranché la gorge. Quelque chose de chaud se répandait en cascade sur sa poitrine – elle savait ce que c’était – son propre sang.
Dans un moment de lucidité qu’elle n’avait jamais ressenti, Callie Everard sut qu’elle allait mourir.
Qu’elle mourait, même. Cela se passait, en ce moment, activement, et elle n’allait jamais revoir Javi pour se faire faire ce nouveau tatouage, et elle n’allait jamais réaliser son rêve de devenir son propre patron, et elle n’allait jamais posséder cette Mercedes sur laquelle elle avait posé les yeux quand elle avait lu qu’une célèbre rédactrice de mode en conduisait une. Les mains de Callie s’agrippèrent à sa gorge, glissant sur le sang, et elle ne put saisir que les bords de cette nouvelle ouverture, dont la cartographie n’avait aucun sens pour ses doigts tâtonnants.
Callie tomba, sans s’en rendre compte, jusqu’à ce qu’elle constate qu’elle regardait le ciel et devait donc être sur le dos. Elle s’efforça une dernière fois d’émettre un bruit, aspirant désespérément de l’air par sa bouche ouverte et essayant de l’expulser à nouveau en criant. Tout ce qu’elle entendit fut un nouveau jet de sang provenant de sa blessure, l’oxygène y bouillonnant, n’atteignant même pas ses poumons.
Ce ne fut qu’un instant plus tard que Callie cessa de voir quoi que ce soit, et arrêta de respirer, puis ce ne fut plus que son corps qui demeurait abandonné dans la ruelle. Une coquille. Son âme, ou sa conscience, ou quoi que ce soit qui avait été Callie, était bien loin.
CHAPITRE DEUX
Zoe posa son verre sur la table, tentant de se retenir de calculer le volume de l’eau restant à l’intérieur. C’était un combat perdu d’avance, bien sûr. Elle allait toujours voir les chiffres, qu’elle le veuille ou non.
« Qu’en penses-tu ?
– Hum ? » Zoe leva le regard, coupable, et croisa les yeux bruns de John qui patientaient.
Elle s’attendit à ce qu’il perde patience, mais elle n’avait toujours pas réussi à le pousser aussi loin. Au lieu de cela, il lui fit un doux sourire, un de ses sourires asymétriques qui montait plus haut sur le côté droit de son visage que sur le gauche. Il semblait toujours lui offrir ces sourires, lui pardonner quelque chose ou autre. Zoe ne savait pas vraiment si elle le méritait.
« À quoi penses-tu ? » demanda John.
Zoe essaya de modeler son visage en quelque chose qui lui dirait de manière convaincante qu’elle allait bien. « Oh, rien, » dit-elle, puis, sentant que ce n’était peut-être pas la meilleure des réponses : « Juste des trucs de boulot.
– Tu peux m’en parler, tu sais, » dit John, en glissant sa main sur la sienne au-dessus de la table. Elle sentit son cœur battre lentement à travers son pouce, à l’endroit où il appuyait sur sa peau, plus lentement que le sien. Bien plus lentement.
Super. Zoe avait inventé une excuse rapide, et maintenant il demandait des détails. Que devait-elle faire ? « C’est une affaire en cours », dit-elle en haussant les épaules, espérant qu’il y croirait. « Je ne peux pas vraiment parler des détails avant le procès. »
John acquiesça, semblant se contenter de cela. Zoe poussa un soupir de soulagement intérieur. Elle devait se concentrer, ne pas compter les quatre fois où sa tête avait basculé vers l’avant à un angle de trente degrés et où l’éclat de ses cheveux bruns bien soignés était apparu dans la lumière, ou les six verres qui passaient sur le plateau tenu par la serveuse d’un mètre soixante-sept ou le—
Zoe cligna des yeux, essayant de recentrer son regard sur John, et ses oreilles sur ce qu’il racontait.
« Alors, j’ai dû lui dire : « Désolé, Mike, mais c’est vraiment dommage que je doive sortir avec quelqu’un ce soir, » rit-il.
Zoe fronça les sourcils. « Tu aurais pu reporter le rendez-vous si cela ne te convenait pas, dit-elle. Ça ne m’aurait pas dérangée.
– Quoi ? Non ! » dit John, en se penchant d’abord en arrière d’un air inquiet, puis en saisissant à nouveau sa main. « Mon Dieu, non, Zoe. J’avais hâte de te revoir. C’était juste – j’étais sarcastique. Ou ironique, ou autre. J’oublie toujours lequel est lequel. Honnêtement, je n’aurais pas annulé notre rendez-vous juste pour un truc professionnel. »
Les yeux de Zoe se posèrent sur son assiette, désormais vide des excellentes roulades de saumon au beurre blanc citronné qui avaient constitué son plat principal. C’était le lieu de rendez-vous le plus en vue à Washington, D.C. pour un repas, et elle se souvenait à peine de l’avoir mangé.
Elle n’était pas sûre de pouvoir affirmer qu’elle placerait toujours John en priorité. Après tout, elle était agent du FBI. On attendait d’elle qu’elle mette sa vie de côté pour poursuivre une affaire, et non l’inverse. Elle tendit délibérément la main pour remettre une mèche de ses cheveux bruns courts derrière son oreille, sentant qu’elle était plus longue d’un centimètre que ce qu’elle aimait. Les choses avaient été mouvementées ces derniers temps. Pas de temps pour les activités quotidiennes qui faisaient tourner la vie.
« Je veux dire, bien sûr, je comprends que tu devrais parfois annuler, » dit John, en sirotant son vin nonchalamment comme s’il n’avait pas réussi à lire dans ses pensées. « Tu dois empêcher les tueurs en série de perpétrer des folies meurtrières. Ton travail est important. Personne ne se fâchera si je ne reste pas au bureau toute la nuit à essayer de déterminer s’il existe une limite de propriété commune établie dans trois rapports différents datant des années 1800 et s’ils peuvent être appliqués au cas de mon client. Sauf peut-être mon client, et il bénéficiera de l’excellente humeur dans laquelle je me réveillerai demain, sachant que j’ai passé ma soirée avec toi.