— Il se cachait … aux yeux de tous, dit lentement Barrett.
— C’est comme ça qu’on le dit, monsieur. Oui.
Barrett ne répondit rien. Il se contenta de fixer le général du regard et Stark sembla finalement se rendre compte que ses explications étaient largement insatisfaisantes.
— Monsieur, une fois de plus avec tout le respect que je vous dois, je n’ai été en rien impliqué dans la planification ou dans l’exécution de cette mission. Je n’ai appris son existence que ce matin. Je ne fais pas partie du Commandement Conjoint des Opérations Spéciales et je ne suis pas non plus employé par la CIA. Toutefois, j’ai une confiance totale en le jugement des hommes et des femmes qui y travaillent …
Barrett agita les mains au-dessus de la tête, comme pour dire STOP.
— Que pouvons-nous faire, Général ?
— Monsieur, nous ne pouvons faire qu’une chose. Nous devons sauver ces hommes aussi vite que nous le pouvons, si possible avant le début des interrogatoires. Nous devons aussi saborder ce submersible et c’est crucial. Mais cet individu … il faut soit le sauver soit l’éliminer. Tant qu’il sera en vie et entre les mains des Russes, nous aurons à craindre l’imminence d’une catastrophe.
David Barrett attendit longtemps avant de reprendre la parole. Le général voulait sauver les hommes, ce qui suggérait qu’il faudrait lancer une mission secrète. Cependant, s’ils avaient été capturés, c’était à cause d’une violation de sécurité. Suite à une violation de sécurité, fallait-il lancer une autre mission secrète ? On tournait en rond de la pire des façons. Cependant, Barrett ne ressentait pas le besoin de le signaler. Il espérait que même la personne la plus stupide de la salle aurait compris ça.
Alors, il eut une idée. Il allait y avoir une nouvelle mission et il n’allait pas l’attribuer à la CIA ou au Pentagone. C’était eux qui avaient créé ce problème et il ne leur faisait pas confiance pour le résoudre. Il allait confier la mission à quelqu’un d’autre et ça allait déplaire à certains, mais il était clair qu’ils étaient responsables de leur malheur.
Il sourit intérieurement. Cette situation était désagréable, mais elle lui fournissait quand même une opportunité. Elle allait lui permettre de récupérer une partie de son pouvoir. Il était temps de mettre hors jeu la CIA et le Pentagone, la NSA, la DIA, toutes ces agences d’espionnage bien établies.
Savoir ce qu’il allait faire redonna à David Barrett la sensation d’être le chef pour la première fois depuis longtemps.
— Je suis d’accord, dit-il. Il faut sauver ces hommes aussi rapidement que possible et je sais exactement comment nous allons procéder.
CHAPITRE TROIS
10 h 55, Heure de l’Est
Cimetière National d’Arlington
Arlington, Virginie
Dans la tranchée, Luke Stone regardait Robby Martinez. Martinez criait.
— Ils arrivent de tous les côtés !
Martinez avait les yeux écarquillés. Il n’avait plus d’armes. Il avait pris un AK-47 à un Taliban et il transperçait de sa baïonnette tous ceux qui franchissaient le mur. Luke le regardait avec horreur. Martinez était une île, un petit bateau qui affrontait une vague de combattants talibans.
Et il se faisait submerger. Soudain, il disparut sous le tas.
C’était la nuit. Ils essayaient juste de survivre jusqu’à l’aube, mais le soleil refusait de se lever. Ils n’avaient plus de munitions. Il faisait froid et Luke n’avait plus son tee-shirt. Il l’avait arraché dans la chaleur du combat.
Des combattants talibans barbus et enturbannés arrivaient en masse par-dessus les murs de sacs de sable du poste avancé. Ils glissaient, ils tombaient, ils sautaient en bas. Des hommes criaient tout autour de lui.
Un homme franchit le mur avec une hachette en métal.
Luke l’abattit au visage. L’homme tomba mort contre les sacs de sable. Un trou béant avait remplacé son visage. L’homme n’avait plus de visage mais, maintenant, Luke avait la hachette.
Il se plongea dans les combattants qui entouraient Martinez en envoyant des coups partout. Le sang gicla. Il découpait ses ennemis en tranches.
Martinez réapparut. D’une façon ou d’une autre, il était encore debout et il poignardait les ennemis avec la baïonnette.
Luke enfonça la hachette dans le crâne d’un homme. Elle s’y enfonça profondément et il ne put pas l’en ressortir. Même avec l’adrénaline qui faisait rage dans son corps, il n’avait plus de force. Il tira dessus, tira dessus … et renonça. Il regarda Martinez.
— Ça va ?
Martinez haussa les épaules. Son visage était rouge de sang. Son tee-shirt en était saturé. À qui appartenait ce sang ? À lui ? À eux ? Martinez haleta et désigna les corps qui les entouraient.
— Ça allait mieux avant, je peux te le dire.
Luke cligna des yeux et Martinez disparut.
À sa place, il y avait rangée après rangée de pierres tombales blanches. Par milliers, elles couvraient les collines basses verdoyantes jusqu’à l’horizon. C’était une journée lumineuse, ensoleillée et chaude.
Quelque part derrière lui, un joueur de cornemuse solitaire interprétait Amazing Grace.
Six jeunes Rangers de l’armée amenèrent le cercueil brillant drapé dans le drapeau américain dans le cimetière ouvert. Martinez avait été Ranger avant de rejoindre la Force Delta. Les hommes avaient l’air élégants avec leur uniforme de cérémonie vert et leur béret brun clair, mais ils avaient aussi l’air jeunes, très, très jeunes, presque comme des enfants qui jouaient à se déguiser.
Luke regarda fixement les hommes. Il arrivait à peine à penser à eux. Il inspira profondément. Il était épuisé. Il ne se souvenait pas avoir été aussi fatigué, ni à l’école des Rangers, ni pendant le processus de sélection des Deltas ni en zone de guerre.
Le bébé, Gunner, son nouveau-né … ne dormait pas. Pas la nuit et à peine le jour. Donc, lui et Becca, ils ne dormaient pas non plus. De plus, Becca semblait ne pas pouvoir s’arrêter de pleurer. Le docteur venait de lui diagnostiquer une dépression post-partum aggravée par l’épuisement.
Sa mère était venue au chalet vivre avec eux. Ça ne marchait pas. La mère de Becca … par où commencer ? Elle n’avait jamais travaillé de toute sa vie. Elle semblait déroutée que Luke s’en aille tous les matins pour faire son long trajet jusqu’à la banlieue de Washington, DC, située en Virginie. Elle semblait encore plus déroutée qu’il ne revienne que le soir.
Le chalet rustique, situé à un endroit pittoresque sur un petit promontoire au-dessus de la Baie de Chesapeake, était dans la famille de Becca depuis cent ans. Becca allait au chalet depuis sa petite enfance et, maintenant, elle faisait comme si elle en était propriétaire. En fait, elle en était effectivement propriétaire.
Elle insistait pour déménager avec le bébé dans sa maison d’Alexandria. Pour Luke, le plus dur, c’était que cette idée commençait à paraître raisonnable.
Il avait commencé à imaginer qu’il arrivait au chalet après une longue journée de travail et qu’il trouvait l’endroit silencieux comme une tombe. Il pouvait presque observer ce qu’il faisait. Il ouvrait le vieux réfrigérateur vrombissant, prenait une bière et allait sur le patio de derrière. Il était juste à l’heure pour assister au coucher du soleil. Il s’asseyait dans une chaise longue et …
CRAC !
Luke faillit sursauter.
Derrière lui, une équipe de sept fusiliers avait tiré une salve en l’air. Le son se diffusa entre les coteaux. Une autre salve arriva, puis une autre.
C’était un salut à vingt-et-une armes, sept à la fois. C’était un honneur que tout le monde ne méritait pas. Martinez était un ancien combattant très décoré qui avait servi sur deux théâtres d’opérations. À présent, il était mort, suicidé, mais ça n’aurait pas dû arriver.