Il se dirigea vers son bureau en grommelant tout seul. Les autres membres de l’équipe récupérèrent leurs dossiers et Hernandez se laissa tomber sur une chaise en face de Jessie.
— Tu n’as rien à signaler au chef ? demanda-t-elle.
— Je n’ai pas encore d’affaires personnelles. Pour l’instant, j’assiste ces gens-là sur tout. Maintenant que tu es revenue, nous allons peut-être pouvoir demander à l’arbitre Decker de nous envoyer sur le terrain. À nous deux, on fait presque une personne entièrement saine.
— Je suis contente que tu sois de si bonne humeur, dit Jessie en essayant désespérément de se retenir d’en dire plus mais sans succès. J’aurais aimé que tu me dises que tu te portais bien plus tôt que ça. Si je ne t’ai pas rappelé, c’est parce que j’ai supposé que tu avais des problèmes.
Le sourire d’Hernandez disparut quand il comprit ce qu’elle disait. Il sembla prendre le temps de préparer sa réponse. En l’attendant et malgré son mécontentement, Jessie ne put s’empêcher d’admettre que ce gars s’était très bien remis d’une blessure grave et d’un divorce.
Il avait l’air de bien se porter. Pas un seul de ses cheveux noirs courts n’était à la mauvaise place. Ses yeux marron étaient clairs et attentifs et, d’une façon ou d’une autre, malgré ses blessures, il avait réussi à rester en forme. Même s’il avait peut-être perdu deux kilos sur ses quatre-vingt-dix kilos habituels, il mesurait encore un mètre quatre-vingt-deux et sa perte de poids devait être due à quelques difficultés pour manger suite à l’ouverture de son estomac par le couteau de son agresseur. Cependant, à trente-et-un ans, il avait encore l’apparence tonifiée d’un homme qui faisait souvent de la musculation.
— Ouais, ce n’est pas faux, commença-t-il à dire en revenant brusquement au moment présent. J’aurais voulu t’appeler, mais il y a eu des problèmes et je ne savais pas comment en parler.
— Quelle sorte de problèmes ? demanda-t-elle nerveusement.
Elle n’aimait pas la tournure que prenait la conversation.
Hernandez baissa les yeux comme pour chercher comment aborder un sujet visiblement sensible. Au bout de cinq secondes complètes de réflexion, il releva les yeux vers Jessie. Juste au moment où il ouvrait la bouche, Decker jaillit de son bureau.
— On a une fusillade par un gang à Westlake North, cria-t-il. La scène est encore active. On a déjà quatre morts et un nombre inconnu de blessés. J’ai besoin que le SWAT, la SSH et les spécialistes anti-gang se mettent en route maintenant. Tout le monde sur le pont !
CHAPITRE TROIS
Immédiatement, tout le monde commença à s’agiter dans la grande salle. Beaucoup d’agents se dirigèrent vers le centre tactique des équipements, où ils prirent des armes plus lourdes et des gilets pare-balles. Jessie et Hernandez se regardèrent l’un l’autre, ne sachant que faire. Hernandez commença à se lever de son siège, mais Decker le lui interdit.
— N’y pensez même pas, Hernandez. Vous n’approcherez pas de ce carnage.
Hernandez se laissa retomber sur sa chaise. Jessie et lui contemplèrent ce qui se passait dans le poste avec un intérêt jaloux. Au bout de quelques minutes, les choses se calmèrent et le personnel restant repartit au travail. Seulement quelques moments auparavant, la grande salle, remplie d’une bonne cinquantaine personnes, avait fourmillé d’activité, alors que maintenant, c’était une ville fantôme. En comptant Jessie et Hernandez, il restait moins de dix personnes.
Soudain, Jessie entendit un bruit sourd mais fort. Quand elle se retourna, elle vit que le capitaine Decker venait de poser une demi-douzaine de dossiers épais sur son bureau.
— Voici les affaires que je veux que vous examiniez, dit-il. J’avais espéré que je pourrais les étudier avec vous mais, visiblement, je vais être occupé pendant les quelques heures qui vont suivre.
— Pas de nouvelles sur la fusillade ? lui demanda-t-elle.
— La fusillade s’est arrêtée. Quand nos voitures sont arrivées, ils se sont tous éparpillés. Nous en sommes à six morts, tous de gangs rivaux. Il y a une autre douzaine de blessés. Nous avons environ trente agents et une douzaine d’inspecteurs qui interrogent les gens du coin, sans même compter le SWAT.
— Et moi ? demanda Hernandez. Comment puis-je contribuer, capitaine ?
— Vous pouvez travailler sur les affaires de vos collègues jusqu’à leur retour. Je suis sûr qu’ils vous en remercieront chaleureusement. Bon, il faut que je retourne m’occuper de cette affaire de gang.
Il repartit en hâte dans son bureau, laissant Hernandez et Jessie seuls avec des piles de paperasse.
— Je crois qu’il fait exprès d’être vache, marmonna Hernandez.
— Voulais-tu finir ce que tu disais avant ? lui demanda Jessie en se demandant si elle insistait trop.
— Pas maintenant, répondit-il d’une voix qui avait perdu sa légèreté. Peut-être plus tard, quand nous serons hors du bureau et que tout ne sera pas aussi … intense.
Jessie signifia son accord d’un hochement de tête, malgré sa déception. Au lieu de bouder ou de rester à le confronter de façon déplaisante, elle tourna son attention vers les dossiers des affaires qui se trouvaient devant elle.
Si je me concentre sur les détails de quelques meurtres, cela m’éclaircira peut-être les idées.
Elle gloussa en silence de son propre humour noir et ouvrit le premier dossier.
Cela fonctionna. Elle se plongea si profondément dans les détails des affaires que presque une heure passa sans qu’elle remarque le passage du temps. Ce ne fut que quand Hernandez lui tapota l’épaule qu’elle leva les yeux et se rendit compte qu’on était au milieu de la matinée.
— Je crois que je nous ai peut-être trouvé une affaire, dit-il en tenant un morceau de papier d’un air provocateur.
— Je croyais que nous n’étions pas censés chercher de nouvelles affaires, répondit-elle.
— C’est vrai, admit-il, mais il n’y a personne d’autre ici pour s’en occuper et je crois que c’est la sorte de chose que Decker pourrait nous permettre d’étudier.
Il tendit le papier. Avec moins de réticence qu’elle aurait probablement dû en ressentir, Jessie le prit. Elle ne tarda pas à comprendre pourquoi ils allaient peut-être réussir à convaincre Decker de leur attribuer cette affaire.
Elle semblait assez simple. Une femme de trente ans avait été retrouvée morte dans son appartement de Hollywood. Le jeune homme qui avait signalé la découverte du corps avait d’abord été détenu comme suspect quand un voisin avait signalé l’avoir vu entrer dans l’appartement par une fenêtre. Cependant, le jeune homme avait affirmé être un collègue qui prenait des nouvelles de la défunte après deux jours sans nouvelles. Il n’y avait aucun signe évident de violence et la scène donnait d’entrée de jeu l’impression d’un suicide.
— On dirait qu’ils maîtrisent très bien la situation. Je ne vois pas ce que nous pourrions ajouter …
— J’ai cru entendre un « mais », dit Hernandez en souriant.
Alors que Jessie ne voulait pas lui donner cette satisfaction, elle se rendit compte qu’elle souriait légèrement, elle aussi.
— Mais … il y a une référence à des ecchymoses plus anciennes sur ses poignets et sur son cou, ce qui pourrait suggérer des maltraitances passées. Cela vaut probablement la peine de le vérifier. De plus, selon son collègue, elle était coach personnel dans un centre de culture physique haut de gamme, où elle se spécialisait dans les clients à profil élevé. Si certains trouvent que la Police de Los Angeles ne consacre pas assez de ressources à l’affaire, ils risquent de faire un scandale.
— Exactement, dit Hernandez, tout excité. C’est notre ticket d’entrée, Jessie. D’après ce que je sais de Decker, il ne courra pas le risque de se mettre la populace à dos s’il peut l’éviter. S’il assigne un inspecteur de la SSH et une profileuse criminelle célèbre à l’affaire, cela coupera court aux critiques. De plus, cela semble tout à fait idéal pour nous aider à retourner sur le terrain. Il n’y a aucun signe de violence. Si c’est un meurtre, il s’agit probablement d’un empoisonnement ou de quelque chose de ce style. On dirait qu’il n’y a pas de coups de couteau dans cette affaire.