CHAPITRE QUATRE
La maison dans laquelle la première victime avait été tuée était un peu plus grande que celle sur Hammermill Street. Elle était située à une dizaine de kilomètres de la maison où Tamara Bateman avait été assassinée. Le voisin le plus proche était à environ trois cents mètres et les maisons étaient séparées par un petit bois et des herbes sauvages, typiques des terrains sablonneux. La construction ressemblait à une maison de plage, mais elle présentait également certains éléments de style fermette.
En gravissant les marches jusqu’à l’énorme porche, DeMarco tendit à Kate un dossier qu’elle avait pris sur le siège arrière de la voiture. « Pour te faire une idée de la scène de crime, il faut que tu jettes un coup d’œil aux photos. Mais je te conseille d’attendre avant de le faire. »
DeMarco ouvrit la porte d’entrée à l’aide de la clé qu’on lui avait donnée et laissa passer Kate. La porte s’ouvrait sur un énorme vestibule – tellement spacieux qu’un siège y était installé contre le mur de droite et qu’un tapis de la taille de la chambre à coucher de Kate recouvrait le sol. Le tapis était de couleur blanche et turquoise, et des taches de sang y étaient bien visibles.
Au fond du vestibule, sur la droite, se trouvait l’escalier qui menait au premier étage. En levant la tête, Kate remarqua un magnifique lustre accroché au plafond. Il semblait fabriqué en acier et il était décoré d’un entrelacs de torsades. On aurait dit qu’il était pendu légèrement de travers.
« Le lustre, » dit DeMarco. « Magnifique, n’est-ce pas ? »
« Vraiment superbe. »
« OK, maintenant, jette un coup d’œil aux photos dans le dossier. »
Kate obtempéra. Elle passa les notes et les rapports de police pour aller directement aux photos de la scène de crime. La première d’entre elles montrait le lustre, mais il était beaucoup moins joli. En fait, on aurait dit qu’il était tout droit sorti d’un film d’horreur.
Le corps d’une femme y était pendu. Une corde lui entourait le cou mais la photo donnait l’impression que c’étaient ses bras, accrochés aux branches du lustre, qui la maintenaient en l’air. Sur la photo, Kate ne pouvait pas voir le bout de la corde, qui était probablement accrochée quelque part derrière le lustre, peut-être aux attaches qui le raccrochaient au plafond.
Le visage de la femme était recouvert de sang et elle semblait avoir les yeux baissés vers le tapis sur lequel elle saignait. C’était une femme assez menue. Sous son poids léger, le lustre ne s’était pas décroché du plafond.
« Mon dieu, » dit Kate. « Comment est-ce que l’assassin a fait pour l’accrocher là-haut ? »
« La victime s’appelle Béa Faraday. Elle a vingt-huit ans et elle ne pèse pas plus de cinquante-cinq kilos. La police pense que l’assassin l’a traînée jusqu’en haut des escaliers et qu’il l’a jetée par-dessus la balustrade, pour essayer de la pendre de la même manière que Tamara, mais le lustre était sur le chemin. »
« Tu penses que c’est possible ? » demanda Kate.
« Oui. Il y a du sang sur la balustrade qui corrobore cette version. Je pense que c’est là qu’il a d’abord attaché la corde. Mais quand il s’est rendu compte qu’elle était pendue au lustre, il a coupé la corde et a laissé la scène parler d’elle-même. Il l’a apparemment d’abord frappée avec un objet contondant, puis il a pris son temps pour la traîner à l’étage et la jeter par-dessus la balustrade. »
Kate vit l’endroit depuis lequel Faraday avait apparemment été pendue. Le lustre se trouvait à moins de deux mètres de la balustrade. Il était facile d’imaginer qu’un homme costaud puisse lancer une femme menue aussi loin.
« Qui a découvert le corps ? » demanda Kate.
« L’agence immobilière a envoyé une femme de ménage faire un rapide nettoyage deux heures avant une visite. C’est elle qui l’a trouvée et qui a appelé la police. »
« Tu l’as interrogée ? »
« Non. Mais le shérif Armstrong l’a fait. »
Kate hocha la tête et baissa les yeux vers le tapis taché de sang. Elle pensa au plaid et à la bouteille d’eau qu’elles avaient trouvés à la maison sur Hammermill Street et elle se demanda s’il y avait des endroits dans cette maison où un squatteur pourrait facilement se cacher.
« C’est une maison construite récemment ? » demanda Kate.
« Je n’en suis pas sûre. Mais ça fait un bon mois qu’elle est sur le marché. Ils l’ont fait visiter dix-huit fois et il y a eu six personnes intéressées. Seul l’une d’entre elles était du coin. »
Kate et DeMarco traversèrent silencieusement la maison. Le bruit de leurs pas résonnait à travers les pièces désertes. Ça avait un côté un peu mystérieux d’être dans une maison qui renfermait les souvenirs de personnes qu’elles ne rencontreraient jamais. Kate avait toujours été intéressée par tout ce qui touchait aux esprits et elle pensait qu’il était tout à fait possible que chaque maison soit hantée par le souvenir de familles qui y avaient vécu.
Elles jetèrent un coup d’œil dans le vaste espace qui servait de salon, puis dans la cuisine. Vu que la maison était vide, il était assez facile de voir que rien n’avait été volé. Elles montèrent ensuite à l’étage. Kate regarda s’il y avait un accès à une sorte de grenier ou de combles. Mais elle ne vit rien de tel. La maison n’avait apparemment pas de grenier. Elle devait donc sûrement avoir une sorte de cave. Dans ce genre de communautés, les maisons avaient toujours un espace de rangement.
Elles retournèrent au rez-de-chaussée et se dirigèrent vers la première porte dans le couloir principal. Elle s’ouvrait sur une cave aménagée qui était tout aussi vide que le reste de la maison. Au fond, il y avait une double porte qui semblait mener à l’extérieur. Kate s’en approcha, l’ouvrit et se retrouva face à un magnifique jardin. Elle sortit, suivie par DeMarco, dans une cour en forme de demi-lune. Sur leur droite, il y avait une petite construction en briques qui contenait un parterre de fleurs. Sur leur gauche, il y avait un petit espace en-dessous de l’escalier en bois qui menait à la terrasse arrière. L’espace était sûrement destiné à abriter un appentis avec une tondeuse et quelques outils.
Elle s’en approcha et regarda de plus près. Elle s’agenouilla et jeta un coup d’œil au sol tassé, sans vraiment savoir ce qu’elle cherchait. Elle allait se relever quand elle vit quelque chose dans le coin, tout au fond.
En grimaçant de douleur, elle essaya de s’approcher pour y voir de plus près. Ça ressemblait à de vieux chiffons. Ils étaient empilés l’un sur l’autre. À environ un mètre des chiffons, elle vit des marques au sol.
« Tu as trouvé quelque chose ? » demanda DeMarco.
« Peut-être. Viens jeter un coup d’œil et dis-moi ce que tu en penses… juste pour m’assurer que je ne saute pas trop vite aux conclusions. »
Elles changèrent de place et Kate regarda DeMarco se plier en deux pour s’introduire dans l’espace confiné. Elle regarda autour d’elle avant de se mettre à parler.
« Des chiffons, » dit-elle. « Ça paraît plutôt bizarre à cet endroit, non ? Et… aussi quelques marques au sol. On dirait qu’il y avait quelque chose de lourd posé ici. »
DeMarco ressortit de l’espace. « Les chiffons, » dit-elle. « Tu penses que quelqu’un les a utilisés comme coussin ? »
« Oui, je pense. »
« Un autre squatteur ? Ce serait vraiment une coïncidence. Mais c’est vrai que ces légères marques au sol pourraient avoir été faites par un genou ou par un pied, j’imagine. » Elle regarda à nouveau l’espace et ajouta : « Et récemment. »
« Il se pourrait que ce soit une conclusion hâtive, » dit Kate. « Surtout que ce tas de vieux chiffons peut très bien avoir été laissé là par des ouvriers. »
« Je pense qu’il faut qu’on parle à la femme de ménage, » dit DeMarco.
« C’est une bonne idée. »
« J’appelle l’agence immobilière pour avoir son adresse. Sinon, le shérif Armstrong pourra certainement nous aider. »