Une petite-fille, pensait souvent Kate. Comment Melissa en est-elle arrivée là ? Et du reste, comment y suis-je arrivée moi, à cet âge ?
Et quand elle pensait à Melissa et à la future Michelle, Kate finissait toujours par repenser à son défunt mari. Il avait été assassiné six ans plus tôt, tué d’une balle dans la nuque alors qu’il promenait leur chien le soir. Son portefeuille et son téléphone avaient été volés et on l’avait appelée pour qu’elle vienne l’identifier, moins de deux heures après qu’il soit sorti de chez eux pour promener le chien.
C’était une blessure qui était encore douloureuse mais elle parvenait bien à le dissimuler. Quand elle avait pris sa retraite du FBI, elle l’avait fait avec huit mois d’avance par rapport à l’âge officiel de la retraite. Mais elle avait été incapable de dédier tout son temps, toute son attention et toute sa concentration à son travail, après avoir finalement éparpillé les cendres de Michael sur un vieux terrain de baseball abandonné, près de chez lui à Falls Church.
C’était peut-être la raison pour laquelle elle avait été aussi triste d’avoir quitté son boulot. Elle était partie des mois avant de devoir le faire légalement. Qu’est-ce que ces mois supplémentaires auraient pu lui offrir ? Qu’aurait-elle pu accomplir d’autre dans sa carrière ?
Elle s’était toujours posé ces questions mais sans jamais regretter sa décision. Michael avait mérité toute son attention pendant au moins quelques mois. En fait, il méritait bien plus que ça mais elle savait que, même dans l’au-delà, Michael n’aurait jamais voulu qu’elle abandonne son boulot pendant trop longtemps. Pour surmonter ce deuil, il aurait su qu’elle avait vraiment besoin de continuer à travailler au FBI aussi longtemps qu’elle en était émotionnellement capable après sa mort.
Alors qu’elle se rapprochait de Washington, elle fut soulagée de se rendre compte qu’elle n’avait pas l’impression de trahir Michael. Personnellement, elle pensait que la mort n’était pas une fin. Elle ne savait pas si cela signifiait que le paradis existait ou si la réincarnation était possible, et franchement, cela ne la dérangeait absolument pas de ne pas savoir. Mais elle savait que, peu importe où se trouve Michael, il serait content de savoir qu’elle retournait à Washington – même si c’était pour y être sévèrement réprimandée.
Au contraire, il était probablement occupé à rire à ses dépens.
Cela fit sourire Kate malgré elle. Elle éteignit le podcast et se concentra sur la route et sur ses pensées. Et sur le fait que, même si elle avait gaffé, finalement la vie était toujours cyclique de par nature.
***
Elle ne se sentit pas spécialement envahie d’émotions au moment où elle passa les portes et pénétra dans le grand hall d’entrée du FBI. Au contraire, elle fut très consciente du fait qu’elle n’y avait plus sa place – un peu comme si elle revenait dans son ancien lycée et se rendait compte que les couloirs la rendaient triste plutôt que nostalgique.
Il n’empêche que cette sensation de se retrouver dans un milieu familier était tout de même agréable. En dépit du fait qu’elle se sente légèrement décalée, elle avait tout de même l’impression de ne pas avoir été absente pendant si longtemps, après tout. Elle traversa le hall d’entrée, se présenta à la réception et se dirigea vers les ascenseurs comme si sa dernière visite remontait à la semaine dernière. Même l’espace confiné de l’ascenseur était réconfortant, au moment où elle monta vers le bureau du directeur adjoint Duran.
Quand elle sortit de l’ascenseur et entra dans la salle d’attente de Duran, elle vit la même réceptionniste qui se trouvait déjà au même poste un an plus tôt. Elles n’avaient jamais été spécialement proches mais la réceptionniste se leva de sa chaise et se précipita pour venir la saluer.
« Kate ! Je suis vraiment contente de te voir ! »
Heureusement, le nom de la réceptionniste lui revint en mémoire juste au bon moment. « Ça me fait plaisir aussi, Dana, » dit Kate.
« J’ai toujours pensé que la retraite, ce ne serait pas ton truc, » plaisanta Dana.
« De fait, c’est d’un ennui mortel. »
« Vas-y, entre, » dit Dana. « Il t’attend. »
Kate frappa à la porte du bureau, en se rendant compte que même la réponse un peu bourrue qu’elle entendit de l’autre côté de la porte la mettait à l’aise.
« C’est ouvert, » dit la voix du directeur adjoint Vince Duran.
Kate ouvrit la porte et entra. Elle était prête à voir Duran, elle s’était préparée psychologiquement à cette réunion. Mais en revanche, ce à quoi elle ne s’attendait pas, c’était de voir son ancien partenaire. Logan Nash lui sourit dès qu’il la vit et se leva de l’une des chaises qui se trouvaient devant le bureau de Duran.
Duran regarda un moment ailleurs, le temps des retrouvailles. Kate et Logan Nash s’embrassèrent en une étreinte amicale. Elle avait travaillé avec Logan pendant les huit dernières années de sa carrière. Il avait dix ans de moins qu’elle mais il était déjà bien parti pour avoir une carrière brillante au moment où elle était partie à la retraite.
« Ça me fait vraiment plaisir de te revoir, Kate, » lui dit-il tout bas à l’oreille, au moment où ils s’embrassèrent.
« À moi aussi, » dit-elle. Elle fut comblée de joie en se rendant tout doucement compte que, peu importe ce qu’elle en disait, cette partie de sa vie lui avait profondément manqué au cours de l’année qui s’était écoulée.
Une fois qu’ils eurent terminé de s’embrasser, ils s’assirent en face de Duran avec un air un peu gêné. Lorsqu’ils travaillaient ensemble, ils s’étaient retrouvés assis exactement au même endroit à de nombreuses reprises. Mais ça n’avait jamais été pour une question de discipline.
Vince Duran prit une profonde inspiration, puis soupira. Kate ne parvenait pas encore à dire à quel point il était fâché.
« Bon, ne tournons pas autour du pot, » dit Duran. « Kate, vous savez pourquoi vous êtes là. J’ai promis au commissaire Budd que je gérerais efficacement cette situation. Il avait l’air OK avec ça et je suis presque certain que toute cette histoire d’avoir jeté un suspect en bas de son porche finira aux oubliettes. Mais ce que je voudrais savoir, en revanche, c’est comment vous avez atterri sur le porche de ce pauvre type. »
Elle sut tout de suite que la conversation désagréable à laquelle elle s’attendait n’aurait pas lieu. Duran était un type vraiment imposant, il devait peser plus de cent kilos et ce n’était que du muscle. Il avait passé du temps en Afghanistan quand il avait une vingtaine d’années et bien qu’elle ne sache pas en détails ce qu’il y avait fait, il y avait de nombreuses rumeurs à ce sujet. Il avait vu et fait des choses plutôt dures et ça se reflétait souvent sur les traits de son visage. Mais aujourd’hui, il avait l’air de bonne humeur. Elle se demanda si ce n’était pas lié au fait qu’il ne s’adressait plus à elle comme à quelqu’un qui travaillait pour lui. Elle avait presque l’impression de discuter avec un vieil ami.
Par conséquent, il lui fut facile de lui parler du meurtre de Julie Hicks – la fille de son amie, Deb Meade. Elle lui raconta sa visite à la maison des Meade et combien les parents avaient l’air certain concernant l’ex petit ami. Puis elle expliqua en détails la scène sur le porche de Neilbolt, comment elle avait commencé d’abord par se défendre, puis comment elle avait peut-être poussé le bouchon un peu trop loin.
Elle entendit à plusieurs reprise Logan glousser en silence. Pendant ce temps, Duran resta surtout impassible. Quand elle eut terminé, elle attendit sa réaction et elle fut surprise de voir qu’il se contenta de hausser les épaules.
« Écoutez… pour ma part, » dit-il, « je ne vois pas où est le problème. Bien que vous ayez peut-être été mettre votre nez dans une affaire qui ne vous concernait pas, ce type n’aurait pas dû lever la main sur vous – surtout après que vous lui ayez dit que vous étiez un ancien agent du FBI. C’était idiot de sa part. Le seul truc que je pourrais vous reprocher, c’est de l’avoir menotté. »