— Du calme, Fadime. Tess joue fougueusement parce le morceau l'exige. Les gens ne viennent pas à ses concerts pour de la musique douce et subtile. Ils viennent pour la passion et elle en donne.
— La dernière fois que je l'ai vue, ça m'a laissé un très mauvais souvenir. Elle est violente et vengeresse. Elle m'a jeté à travers la pièce et m'a cassé le bras.
— Ce que tu oublies de mentionner, c'est qu'Amir avait kidnappé son enfant et que tu avais tenté de diffuser une sex tape de Tess et d'Amir sur internet. Tu pensais vraiment qu'elle allait laisser passer ?
— Peu importe, dit Fadime avec dédain. Alors, pourquoi sommes-nous venus ? Ne me dis pas que c'est juste par désir.
— J'ai toujours désiré de belles femmes, ma chère. Mais en ce qui la concerne, j'ai une vieille affaire à régler, tout comme toi. Elle m'a presque ruiné et il faut qu'elle paie.
— Tu ferais mieux de te consacrer à moi et oublier ton envie de la faire tomber. Elle peut être monstrueuse et tu le sais.
— Fadime, nous avons là notre chance de traiter à nouveau avec Tess, mais cette fois à nos conditions. Tout à fait par inadvertance, ton frère a créé les conditions qui vont nous permettre de lui porter un coup de maître. Tout ce que tu as à faire, c'est d'être celle sur qui cette histoire d'héritage retombera. Moi, je travaillerai en coulisse pour organiser sa chute.
— Partons, mon amour. J'ai besoin de réfléchir à tout ça. »
Ils se rendirent dans le hall d'entrée de la salle de spectacle puis prirent un taxi pour leur appartement.
8. Guerrières au Cœur Tendre
Tess quitta la salle de concert et se rendit dans le Salon Vert signer des autographes pour ses admirateurs. Susan Blake, une critique musicale impitoyable, fut la dernière personne qu'elle rencontra. Ses articles dénigraient systématiquement les choix de répertoire de Tess, si ce n'était la qualité de sa performance.
« Je suppose que vous êtes là pour exprimer votre mépris, Madame Blake, dit Tess. Et que vous n'avez rien de positif à déclarer.
— Madame Turner, je fais de mon mieux pour être une critique juste. Peut-être pourriez-vous m'accorder une brève interview ?
— Puisque votre article est probablement déjà rédigé, je ne vois pas l'utilité de gaspiller ni mon temps, ni le vôtre, répondit Tess sur un loin d'être cordial.
— Mais peut-être qu'en discutant un peu, nous pourrions en apprendre plus l'une sur l'autre, » dit Susan avec un sourire.
Jake entra dans le salon.
« Désolé, Tess. Je te croyais seule.
— Jake, je t'en prie, assieds-toi. Je prenais congé de Madame Blake. »
Jake tendit la main.
« Heureux de vous rencontrer, Madame Blake. Je suis surpris de vous voir ici. Que pouvons-nous faire pour vous ? »
Susan posa son regard sur ce très bel homme vêtu d'un smoking parfaitement taillé, lui serra la main et sourit.
« J'espérais faire une interview de votre femme, Monsieur Vickers. Mais elle ne semble pas intéressée.
— Madame Blake, implacablement vous passez votre temps à critiquer le jeu de Tess. Je me demande un peu à quoi vous vous attendiez. »
Tess regarda Jake d'un air désapprobateur.
« Je peux prendre mes propres décisions, Jake. »
Puis, elle se tourna vers Susan et s'adossa dans le canapé.
« J'accepte de vous parler mais j'aimerais savoir ce que vous cherchez. Quelque ragot ?
— J'aime penser que je suis ouverte d'esprit, Madame Turner.
— Si nous devons discuter, alors appelez-moi Tess.
— Bien, Tess. Appelez-moi Susan. Pouvez-vous m'accorder une demi-heure de votre temps ? On peut s'arrêter à tout moment si vous vous sentez mal à l'aise.»
Tess regarda Jake.
« J'aimerais que Jake reste. Il a une mémoire photographique et n'oublie absolument rien qui soit dit en sa présence. Il sera ma police d'assurance. Ça vous va ? »
Susan n'en fut pas intimidée. « C'est toujours avec plaisir d'être en présence d'un bel homme, dit-elle avec un sourire étincelant en direction de Jake. Comme je le disais, je fais de mon mieux pour être juste. On commence, si vous êtes prêts ?
— Allons-y.
— Je ne suis pas la seule critique qui écrive sur vos performances, Tess. Pour vous dire franchement, nous croyions tous que vous et votre Ensemble Valkyries n'étiez qu'un coup monté, un feu de paille. Mais après maintenant trois ans, vous êtes toujours là et vous gagnez même en réputation et en public. Ce qui m'a amenée à croire qu'il devait y avoir plus que ça là-dessous. Est-ce vrai que les bénéfices de vos concerts sont reversés à des organismes de charité ? »
Tess observa une pause ; elle voulait formuler une réponse appropriée.
« Jake, mon père et moi-même avons créé la Fondation Valkyries dont le but est de financer des organisations non gouvernementales luttant contre la traite des personnes. Tous les bénéfices de mes récitals et de la musique de chambre que nous jouons ensemble sont destinés à la fondation. Mon père, qui est PDG de NTC, une entreprise de fabrication d'équipement militaire, lève également des fonds auprès d'entreprises commerciales qui œuvrent également dans le domaine de la défense. Ils ont versé de grosses contributions, sans doute pour expier les péchés de leurs profits commerciaux.
— Je crois savoir que SRD, votre compagnie, est une organisation militaire, avec des mercenaires travaillant pour le gouvernement en livraison d'armes dans le monde entier. Comment conciliez-vous votre travail avec la musique ?
— Nous employons des gens hautement qualifiés pour livrer des appareils et des systèmes d'armement aux armées de pays étrangers que notre gouvernement appuie. Nous formons également des pilotes et parfois nous participons à des opérations militaires. Nous avons combattu Boko Haram au Nigeria ainsi que des trafiquants au Mexique. Nos activités musicales n'ont rien à voir avec nos activités régulières. En fait quand nous jouons de la musique, nous offrons notre temps et nos efforts pour contribuer à lutter contre le traite des êtres humains.
— Il me semble que vos activités militaires jouent sur le choix de musique que vous jouez. Il est évident que les listes que vous élaborez met le répertoire standard de côté et que vous privilégiez la musique spectaculaire, les œuvres sombres et profondes.
— Notre travail ne consiste pas à imiter ce que d'autres artistes font déjà très bien. Nous jouons de la musique qui exprime la douleur, la colère et parfois la violence qui caractérisent ce problème déchirant qu'est la traite des personnes. Nous voulons divertir les gens mais nous voulons aussi faire appel à leurs émotions et jouer pour eux la meilleure musique que nous sachions produire. Nous voulons que les gens prennent plus part à la lutte contre la traite des êtres humains ; les autorités ne font que parler du problème et préfèrent allouer leurs ressources à la guerre et à des projets stupides comme des murs à la frontière.
— On m'a dit que vous êtes plutôt franche et n'avez que faire de la correction politique, nota Susan. Quelque conflit inhérent ? D'une part, vous traitez en équipement militaire, si ce n'est en interventions parfois létales. Et d'autre part, vous jouez de la musique pour venir en aide aux opprimés. Vous ne trouvez pas cela plutôt ironique ?
— Non, nos projets militaires bénéficient à des nations qui sont en difficulté et qui ont besoin d'assistance. Nous n'avons jamais travaillé pour des dictateurs ni des tyrans. Notre musique contribue à financer nos efforts dans la lutte contre la traite.
— Et ? Ça marche ? » Susan avait l'air sceptique.
Tess fut franche.
« Pas aussi bien que nous le voudrions mais ce n'est pas une raison pour arrêter. Quoi qu'il en soit, voici notre motivation : si nous parvenons à épargner ne serait-ce qu'une personne de ce trafic, alors nos efforts auront valu cette peine. Ce qui ne veut pas dire que nous avons réglé l'ensemble du problème. Nous essayons de faire de notre mieux pour que la société, qui a condamné des milliers de gens à la misère, la dégradation et le désespoir pour les avoir laissées tomber, prenne conscience et agisse.