Elle ne pouvait pas permettre que Sebastian la retrouve mais il n'allait pas abandonner sa recherche seulement parce quelle le lui demandait. Cela signifiait qu'il allait falloir qu'elle agisse vite si elle voulait se sortir de cette situation.
“Dégagez !” cria-t-elle avant de faire accélérer son cheval d'un coup d'éperons à une vitesse qui promettait une chute terrible à tous ceux qui auraient la bêtise de lui bloquer la route. Elle sortit de la ville et devina quelle route le chariot avait dû prendre. Elle coupa à travers champs et sauta des haies de si près qu'elle sentit les branches lui frôler les bottes. Ce qui comptait, c'était rejoindre et dépasser Sebastian avant qu'il n'aille trop loin.
Finalement, elle vit un carrefour devant elle. Au carrefour, un homme était appuyé contre le panneau de signalisation, un flacon de cidre en main, avec l'air de quelqu'un qui n'avait aucune intention de bouger.
“Toi”, dit Angelica. “Tu viens ici tous les jours ? As-tu vu un chariot avec trois filles passer par ici vers le nord il y a quelques jours ?”
L'homme hésita et regarda sa boisson. “Je —”
“Pas de problème”, dit Angelica. Elle soupesa une bourse, qui fit entendre le tintement inimitable des Royaux qu'elle contenait. “Tu y étais à l'instant. Un jeune homme du nom de Sebastian va te poser la même question et, si tu veux ces pièces, tu lui diras que tu as vu les filles. Trois jeunes femmes, une aux cheveux roux, une habillée comme une domestique du palais.”
“Trois jeunes femmes ?” dit l'homme.
“Dont une rousse”, répéta Angelica avec ce qu'elle espérait être une patience suffisante. “Elles t'ont demandé la route de Barriston.”
C'était la mauvaise route, bien sûr. Pire encore, c'était une destination qui occuperait Sebastian pendant longtemps et qui refroidirait son désir stupide de retrouver Sophia quand il échouerait. Cela lui donnerait l'occasion de se souvenir de son devoir.
“Elles ont fait tout ça ?” demanda l'homme.
“Elles l'ont fait si tu veux les pièces”, répliqua sèchement Angelica. “La moitié maintenant, la moitié quand ce sera fait. Répète-le moi pour que je sache si tu n'es pas trop ivre pour le dire au moment qu'il faudra.”
Il réussit et Angelica s'en contenta. Il le fallait bien. Angelica lui donna ses pièces et poursuivit sa route en se demandant combien de temps il lui faudrait pour comprendre qu'elle ne reviendrait jamais avec l'autre moitié du paiement. Angelica espérait qu'il ne le comprendrait que longtemps après le passage de Sebastian.
Quant à elle, il faudrait qu'elle soit partie depuis longtemps à ce stade. Elle ne pouvait pas se permettre que Sebastian la voie, ou il comprendrait ce qu'elle avait fait. De plus, il fallait qu'elle ait autant d'avance sur lui que possible. La route jusqu'à Monthys était longue et il fallait qu'Angelica finisse tout qu'elle avait besoin de faire longtemps avant que Sebastian ne comprenne son erreur et n'aille la retrouver.
“Il y aura assez de temps”, se dit Angelica pour se rassurer en allant vers le nord. “Je ferai le nécessaire puis je reviendrai à Ashton avant que Sebastian n'ait compris qu'il y a un problème.”
Faire le nécessaire. Quelle façon délicate de le dire ! On aurait cru qu'elle était encore à la cour, en train de faire semblant d'être choquée tout en confiant les indiscrétions d'une fille de petite noblesse à la rumeur pour qu'elle les digère. Pourquoi ne disait-elle pas ce qu'elle pensait ? Quand elle trouverait Sophia, elle ne pourrait faire qu'une chose qui garantisse qu'elle ne se mêle plus jamais de sa vie ou de celle de Sebastian, qu'une chose qui montre clairement que Sebastian était à elle et qui convainque la Douairière qu'Angelica voulait faire tout le nécessaire pour conserver sa position, qu'une chose qui permette à Angelica de se sentir en sécurité.
Il allait falloir qu'elle assassine Sophia.
CHAPITRE QUATRE
Alors qu'il chevauchait, Sebastian était certain qu'il aurait à subir plus tard les conséquences de ce qu'il faisait maintenant. S'en aller comme ça, contre les ordres de sa mère, en fuyant le mariage qu'elle avait prévu pour lui ? Pour un noble d'une autre famille, cela aurait été suffisant pour qu'il soit déshérité. Pour le fils de la Douairière, cela équivalait à de la trahison.
“On n'en arrivera jamais là”, disait Sebastian alors que son cheval avançait à toute vitesse. “Et même si cela se produit, Sophia en vaut la peine.”
Il savait tout ce à quoi il renonçait en agissant de la sorte. Quand il la retrouverait, quand il l'épouserait, ils ne pourraient pas revenir à Ashton triomphants, s'installer dans le palais et faire comme si tout le monde était satisfait. S'ils pouvaient revenir au palais, ce serait accablés par la disgrâce.
“Je m'en moque”, disait Sebastian à son cheval. La peur de la disgrâce et de perdre son honneur, c'était ce qui l'avait mis dans une telle situation. Il avait rejeté Sophia à cause de ce qu'il avait supposé que les gens penseraient d'elles. Il ne les avait même pas poussés à élever la voix par désapprobation; il avait seulement agi car il avait su ce qu'ils diraient.
Cela avait été une réaction faible et lâche et, maintenant, il allait y remédier si possible.
Sophia valait une dizaine des nobles qu'il avait fréquentés pendant son enfance. Elle en valait cent. Peu importe si elle avait la marque de la Déesse Masquée tatouée au mollet. Elle était la seule femme que Sebastian pouvait même ne serait-ce que rêver d'épouser.
Certainement pas Milady d’Angelica. Elle était tout ce que la cour représentait : vaniteuse, superficielle, manipulatrice, ne s'intéressant qu'à sa richesse et sa réussite personnelles. Peu importait qu'elle soit belle ou qu'elle appartienne à la bonne famille, qu'elle soit intelligente ou permette de sceller une alliance au sein de la nation. Elle n'était pas la femme que Sebastian voulait.
“Tout de même, quand je l'ai quittée, j'ai été dur avec elle”, dit Sebastian. Il se demanda ce que les gens penseraient de lui s'ils le voyaient parler à son cheval comme ça. Pourtant, pour être franc, il ne se souciait plus de ce que les gens pensaient et, de beaucoup de façons, le cheval était un meilleur confident que la plupart des gens qu'il avait fréquentés au palais.
Il savait comment les choses fonctionnaient là-bas. Angelica n'avait pas essayé de le tromper. Elle avait simplement essayé de lui communiquer de la meilleure façon possible une chose qu'elle savait qu'il trouverait désagréable. Si on l'envisageait du point de vue d'un monde où ni l'un ni l'autre ne pouvait choisir qui il épouserait, cela pouvait même passer pour de la délicatesse.
C'était juste que Sebastian ne voulait plus penser comme ça.
“Je ne veux pas être coincé dans un endroit où mon seul devoir est de continuer à vivre au cas où Rupert mourrait”, dit-il à son cheval. “Je ne veux pas être là où je n'ai de valeur que celle d'un reproducteur ou de quelqu'un que l'on vend pour promouvoir les bonnes relations.”
De ce point de vue, le cheval comprenait probablement son malheur aussi bien que ne le pouvait un noble quelconque. Ne vendait-on pas les meilleurs chevaux pour leur potentiel de reproduction ? Ces nobles qui aimaient foncer sur les routes de campagne ou aller à la chasse à cheval ne suivaient-ils pas l'évolution de chaque lignée, de chaque poulain ? Chacun d'entre eux ne préférerait-il pas tuer ses étalons les plus précieux que permettre à une seule goutte d'un mauvais sang de s'insinuer dans les lignées ?
“Je la retrouverai et je trouverai un prêtre pour nous marier”, dit Sebastian. “Même si Mère veut nous faire accuser de trahison pour cela, il faudra encore qu'elle persuade l'Assemblée des Nobles.”