Soit cette fille est la sainte-nitouche la plus ennuyante de tous les temps, soit elle fait exprès de laisser ces liens pour donner l’image qu’elle veut à ses parents.
L’instinct de Keri lui dit que la seconde option était la bonne.
Elle s’assit au pied du lit d’Ashley et ferma les yeux, tentant de se mettre dans la peau d’une adolescente de quinze ans. Elle en avait été une. Elle espérait toujours qu’elle en serait un jour la mère. Après deux minutes, elle ouvrit les yeux et essaya de poser un regard neuf sur la pièce. Elle parcourut des yeux les étagères, cherchant quoi que ce soit d’inhabituel.
Elle allait laisser tomber quand elle remarqua le livre de mathématiques au bout de l’étagère : Algèbre niveau 3ème. Mia n’avait-elle pas dit qu’Ashley était en seconde ? Son amie Thelma l’avait vue en cours de mathématiques.
Alors pourquoi garde-t-elle un vieux manuel ? Au cas où elle aurait besoin de revoir les bases ?
Keri s’empara du manuel et commença à le feuilleter. Aux deux-tiers du livre, deux pages étaient scotchées ensemble. Elles enfermaient quelque chose de dur. Keri trancha le scotch et quelque chose tomba au sol. Elle le ramassa. C’était un faux permis de conduire extrêmement bien réalisé, affichant la photo d’Ashley.
Le nom mentionné était Ashlynn Penner, et la date de naissance lui donnait vingt-deux ans.
Sa découverte avait rassuré Keri, qui se sentait sur la bonne voie. Elle se dépêcha de fouiller le reste de la pièce, ne sachant pas combien de temps il lui restait avant que les Penn ne deviennent soupçonneux. Au bout de cinq minutes, elle trouva autre chose : coincé dans une chaussure de sport au fond du placard se trouvait un étui pour pistolet 9mm, vide.
Elle sortit un sachet pour y mettre les preuves – l’étui et le faux permis de conduire – puis quitta la chambre. Mia Penn se dirigeait vers elle dans le couloir, alors qu’elle refermait la porte. Keri se douta tout de suite qu’il était arrivé quelque chose.
« Je viens de recevoir un appel de Thelma, la copine d’Ashley. Elle a parlé à plusieurs personnes de la disparition d’Ashley. Elle dit qu’une autre amie à elles nommée Miranda Sanchez a vu Ashley monter dans une fourgonnette noire sur Main Street, à côté du parc pour chiens non loin de l’école. Elle a dit qu’elle ne savait pas si Ashley était montée volontairement ou si on l’avait tirée à l’intérieur. Ça ne lui avait pas semblé bizarre jusqu’à ce qu’elle entende qu’Ashley avait disparu. »
Malgré les battements précipités de son cœur, Keri s’efforça de garder une expression neutre.
« Connaissez-vous quelqu’un qui possède une fourgonnette noire ?
– Non, personne. »
Keri s’élança vers l’escalier pour sortir, Mia sur ses talons.
« Mia, vous devez appeler le service, la même ligne que vous avez appelée pour m’avoir. Dites à la personne qui va décrocher – ça sera sans doute un homme nommé Suarez – que je vous ai ordonné d’appeler. Donnez-lui la description physique d’Ashley et de la tenue qu’elle portait. Donnez-lui aussi les noms et coordonnées de toutes les personnes dont vous m’avez parlé : Thelma, Miranda, le petit ami Denton Rivers, tout le monde. Ensuite, dites-lui de m’appeler.
– Pourquoi est-ce que vous avez besoin de toutes ces informations ?
– Nous allons les interroger, tous.
– Vous me faites peur. La situation est grave, n’est-ce pas ? demanda Mia.
– Peut-être pas. Mais mieux vaut prévenir que guérir.
– Qu’est ce que je peux faire d’autre ?
– Vous devez rester ici, au cas où Ashley revienne ou si elle appelle. »
Elles arrivèrent en bas. Keri cherchait des yeux Stafford.
« Où est votre mari ?
– Il a du retourner au bureau. »
Keri se retint de faire une remarque, et se hâta vers la porte. Mia cria derrière elle : « Où allez-vous ? ». Sans se retourner, Keri lui répondit :
« Je vais retrouver votre fille. »
CHAPITRE 3
Lundi, en début de soirée
À l’extérieur, le bitume réverbérait la chaleur, et Keri se précipita vers sa voiture en essayant de l’ignorer. Des perles de sueur se formaient déjà sur son front. En composant le numéro de Ray, elle jura intérieurement.
On est mi-septembre, à quelques lieues de l’océan pacifique, merde ! Quand est-ce que cette chaleur va diminuer ?
Au bout d’une demi douzaine de sonneries, Ray décrocha le téléphone.
« Quoi ? dit-il d’un ton essoufflé et irrité.
– Viens me retrouver sur Main Street, en face du lycée West Venice.
– Quand ?
– Maintenant, Raymond.
– Une seconde. »
Elle l’entendait s’agiter et grommeler dans sa barbe. Il semblait avoir de la compagnie. Lorsqu’il reprit le téléphone, il avait manifestement changé de pièce.
« J’étais, comment dire, plutôt pris, Keri.
– Eh bien, libère-toi, Monsieur l’agent. Nous avons une enquête à mener.
– Ne me dis pas qu’il s’agit de la femme à Venice ? fit-il, exaspéré.
– C’est bien ça. Et s’il te plaît, change de ton. À moins que tu n’estimes que l’enlèvement de la fille d’un sénateur, disparue dans une fourgonnette noire, ne mérite pas qu’on s’en occupe ?
– Mon Dieu. Pourquoi n’a-t-elle pas dit tout de suite que son mari est sénateur ?
– Parce qu’il lui a demandé de ne pas le faire. Il était aussi détaché que toi, peut-être même plus. Attends une seconde. »
Elle avait atteint sa voiture. Elle mit le haut-parleur, jeta son téléphone sur le siège passager, et s’assit au volant. En prenant la route, elle lui expliqua le reste : le faux permis de conduire, l’étui de pistolet, la copine qui avait vu Ashley monter dans le fourgon – peut-être contrainte –, et son projet d’interroger toutes les personnes concernées. Alors qu’elle achevait son exposé, un double appel s’afficha.
« Suarez est en train de m’appeler. Je vais lui donner toutes les informations. C’est bon ? Tu t’es libéré ?
– Je suis en train de monter en voiture, dit-il sans mordre à l’hameçon. J’arrive dans un quart d’heure.
– J’espère que tu as fait tes plus plates excuses à ta partenaire, qui qu’elle soit, ajouta Keri d’un ton moqueur.
– Ce n’est pas le genre de nana avec qui je dois m’excuser, répondit-il.
– Sans surprise. »
Elle raccrocha sans plus de cérémonie.
*
Un quart d’heure plus tard, Keri et Ray descendaient Main Street, au niveau où Ashley Penn était montée dans le fourgon – que ce soit de gré ou de force. Il n’y avait rien d’inhabituel à signaler. Du parc pour chiens bordant la route s’élevaient les jappements ravis des chiens et les cris de leurs maîtres, qui les appelaient de noms comme Théodore, Pavlov ou Deborah.
Ah, Venice et ses riches bobos propriétaires de chiens.
Keri s’appliqua à bannir ses pensées parasites et à se concentrer. Il n’y avait rien d’anormal dans la rue. Ray semblait du même avis.
« Je me demande si elle peut avoir décidé de partir, ou de fuguer, fit-il.
– Je n’exclus pas la possibilité. En tout cas, elle n’est certainement pas la petite princesse innocente que sa mère s’imagine.
– Elles ne le sont jamais…
– Quoi qu’il lui soit arrivé, c’est possible qu’elle l’ait voulu. Plus nous réussirons à nous immiscer dans sa vie, plus nous en saurons. Il nous faut parler à des gens qui ne nous serviront pas le discours officiel, comme le faisait ce sénateur. Je ne sais pas ce qu’il a, mais il était plutôt mal à l’aise à l’idée que je me renseigne à leur sujet.
– Pourquoi, à ton avis ?
– Aucune idée. J’ai juste le sentiment qu’il cache quelque chose. Je n’ai jamais vu un parent aussi indifférent à la disparition de son enfant. Il m’a servi une histoire sur les bêtises qu’il faisait à quinze ans – comme quoi il se serait complètement soûlé pour son anniversaire… Il en faisait trop. »
Ray grimaça.
« Tu as bien fait de ne pas insister, fit-il. C’est bien la dernière chose dont on ait besoin : un adversaire qui porte le titre de sénateur.
– Je m’en fous, de son titre.
– Tu ne devrais pas. Il lui suffirait de deux mots à Beecher ou à Hillman, et tu serais hors jeu.
– Je l’étais il y a cinq ans.