La table proconsulaire occupait, sous la tribune dorée, une estrade en planches de sycomore. Des tapis de Babylone l'enfermaient dans une espèce de pavillon.
Trois lits d'ivoire, un en face et deux sur les flancs, contenaient Vitellius, son fils et Antipas; le Proconsul étant près de la porte, à gauche, Aulus à droite, le Tétrarque au milieu.
Il avait un lourd manteau noir, dont la trame disparaissait sous des applications de couleur, du fard aux pommettes, la barbe en éventail, et de la poudre d'azur dans ses cheveux, serrés par un diadème de pierreries. Vitellius gardait son baudrier de pourpre, qui descendait en diagonale sur une toge de lin. Aulus s'était fait nouer dans le dos les manches de sa robe en soie violette, lamée d'argent. Les boudins de sa chevelure formaient des étages, et un collier de saphirs étincelait à sa poitrine, grasse et blanche comme celle d'une femme. Près de lui, sur une natte et jambes croisées, se tenait un enfant très-beau, qui souriait toujours. Il l'avait vu dans les cuisines, ne pouvait plus s'en passer, et, ayant peine à retenir son nom chaldéen, l'appelait simplement: «l'Asiatique.» De temps à autre, il s'étalait sur le triclinium. Alors, ses pieds nus dominaient l'assemblée.
De ce côté-là, il y avait les prêtres et les officiers d'Antipas, des habitants de Jérusalem, les principaux des villes grecques; et, sous le Proconsul: Marcellus avec les publicains, des amis du Tétrarque, les personnages de Kana, Ptolémaïde, Jéricho; puis, pêle-mêle, des montagnards du Liban, et les vieux soldats d'Hérode: douze Thraces, un Gaulois, deux Germains, des chasseurs de gazelles, des pâtres de l'Idumée, le sultan de Palmyre, des marins d'Éziongaber. Chacun avait devant soi une galette de pâte molle, pour s'essuyer les doigts; et les bras, s'allongeant comme des cous de vautour, prenaient des olives, des pistaches, des amandes. Toutes les figures étaient joyeuses, sous des couronnes de fleurs.
Les Pharisiens les avaient repoussées comme indécence romaine. Ils frissonnèrent quand on les aspergea de galbanum et d'encens, composition réservée aux usages du Temple.
Aulus en frotta son aisselle; et Antipas lui en promit tout un chargement, avec trois couffes de ce véritable baume, qui avait fait convoiter la Palestine à Cléopâtre.
Un capitaine de sa garnison de Tibériade, survenu tout à l'heure, s'était placé derrière lui, pour l'entretenir d'événements extraordinaires. Mais son attention était partagée entre le Proconsul et ce qu'on disait aux tables voisines.
On y causait de Iaokanann et des gens de son espèce; Simon de Gittoï lavait les péchés avec du feu. Un certain Jésus
«Le pire de tous,» s'écria Éléazar. «Quel infâme bateleur!»
Derrière le Tétrarque, un homme se leva, pâle comme la bordure de sa chlamyde. Il descendit l'estrade, et, interpellant les Pharisiens:
«Mensonge! Jésus fait des miracles!»
Antipas désirait en voir.
«Tu aurais dû l'amener! Renseigne-nous!»
Alors il conta que lui, Jacob, ayant une fille malade, s'était rendu à Capharnaüm, pour supplier le Maître de vouloir la guérir. Le Maître avait répondu: «Retourne chez toi, elle est guérie!» Et il l'avait trouvée sur le seuil, étant sortie de sa couche quand le gnomon du palais marquait la troisième heure, l'instant même où il abordait Jésus.
Certainement, objectèrent les Pharisiens, il existait des pratiques, des herbes puissantes! Ici même, à Machaerous, quelquefois on trouvait le baaras qui rend invulnérable; mais guérir sans voir ni toucher était une chose impossible, à moins que Jésus n'employât les démons.
Certainement, objectèrent les Pharisiens, il existait des pratiques, des herbes puissantes! Ici même, à Machaerous, quelquefois on trouvait le baaras qui rend invulnérable; mais guérir sans voir ni toucher était une chose impossible, à moins que Jésus n'employât les démons.
Et les amis d'Antipas, les principaux de la Galilée, reprirent, en hochant la tête:
«Les démons, évidemment.»
Jacob, debout entre leur table et celle des prêtres, se taisait d'une manière hautaine et douce.
Ils le sommaient de parler «Justifie son pouvoir!»
Il courba les épaules, et à voix basse, lentement, comme effrayé de lui-même:
«Vous ne savez donc pas que c'est le Messie?»
Tous les prêtres se regardèrent; et Vitellius demanda l'explication du mot. Son interprète fut une minute avant de répondre.
Ils appelaient ainsi un libérateur qui leur apporterait la jouissance de tous les biens et la domination de tous les peuples. Quelques-uns même soutenaient qu'il fallait compter sur deux. Le premier serait vaincu par Gog et Magog, des démons du Nord; mais l'autre exterminerait le Prince du Mal; et, depuis des siècles, ils l'attendaient à chaque minute.
Les prêtres s'étant concertés, Éléazar prit la parole.
D'abord le Messie serait enfant de David, et non d'un charpentier; il confirmerait la Loi. Ce Nazaréen l'attaquait; et, argument plus fort, il devait être précédé de la venue d'Élie.
Jacob répliqua:
«Mais il est venu, Élie!
«Élie! Élie!» répéta la foule, jusqu'à l'autre bout de la salle.