Miriam Mastrovito - Reborn

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Miriam Mastrovito

Titre | Reborn

Auteur | Miriam Mastrovito

Traducteur : Pascale Leblon

Illustration : Giuseppe Cuscito

Page Facebook :

https://www.facebook.com/GCDigitalArt/

Première édition © 2014 Miriam Mastrovito

Seconde édition © 2021 Miriam Mastrovito

Tous droits réservés. La reproduction, même partielle, est interdite par la loi.

Ceci est un récit fictif. Les personnages, les noms et les situations sont le fruit de limagination de lauteure.

Toute référence à des faits ou des personnes existants est purement fortuite.

À mon grand-père

qui memmenait toujours au cimetière.

À Rea

qui memmène

à la frontière entre les mondes.

Chapitre 1

Les yeux des poupées te regardent.

Amour, haine, douleur, compassion; ils reflètent ce que tu as en toi ou templissent de nouvelles émotions.

Les yeux des poupées te regardent et, parfois, semblent sexcuser de ne pas être assez vivants.

Elga souleva délicatement la poupée. Elle laissa ses doigts remonter sur le corps minuscule jusquà lui caresser les cheveux. Brillants et noirs comme la nuit, ils retombaient en boucles fluides et lui effleuraient la taille, lisses comme du velours au toucher. Martina les aurait adorés. Elle aurait aimé les yeux saphir, le visage pâle légèrement saupoudré de taches de rousseur, les lèvres rouges qui esquissaient un sourire.

La femme lissa les plis de la petite robe de coton blanc. Elle avait décousu un vieux vêtement de la petite pour la confectionner. Elle lavait porté pour la dernière fois il y a bien longtemps, mais le tissu était encore imprégné de son odeur Un doux mélange de vanille et de barbe à papa. Elle lapprocha de son visage et inspira intensément. Le parfum lui emplit les narines et les larmes saccumulèrent au bout de ses cils.

Elga pleura tandis que les notes de Cascade de Siouxsie and the Banshees inondaient la pièce.

Ce neuf septembre, Martina aurait eu dix ans, mais elle nétait plus là. Sa chambre était restée telle quelle lavait laissée ce jour maudit où elle avait franchi le voile qui sépare les mondes, pleine dobjets qui parlaient delle, et pourtant vide à fendre lâme.

Lalbum de coloriage des Winx ouvert sur le bureau, la maison de poupées et ses persiennes ouvertes, Alice et Sonia assises dans le jardin pour prendre le thé, les petites chaussures vernies glissées sous le lit. Durant les deux années qui avaient suivi la tragédie, sa maman navait osé toucher à rien. Elle sétait contentée douvrir la fenêtre de temps en temps et de dépoussiérer les nombreuses poupées qui encombraient les étagères, attentive à ne pas les changer de place, comme si sa fille pouvait revenir dun moment à lautre et lui reprocher davoir déplacé ses affaires.

Elle avait même ajouté quelques exemplaires à sa collection, ne pouvant renoncer à lhabitude de lui offrir une poupée neuve à chaque fête.

Restaurer des poupées anciennes et en fabriquer de nouvelles était son métier, et Martina sétait toujours sentie privilégiée. Latelier dElga était comme le pays des merveilles, sa petite maman était une sorte de fée qui lui dédiait ses plus belles créations. Celle quelle avait réalisée pour son dixième anniversaire aurait certainement empli son cœur de joie. Elle aurait un instant retenu son souffle pour ensuite exploser.

«Elle a lair vraie! Elle a lair vraie!» se serait-elle écriée les yeux brillants et les joues en feu. Puis, elle lui aurait sauté au cou pour la couvrir de baisers. Andrea serait resté à lécart pour profiter de la scène, posté timidement sur le seuil; ce nest que plus tard quil se serait avancé avec une fausse moue boudeuse gravée sur le visage et un mystérieux paquet dans les mains. Le royaume des poupées délimitait un espace privé dont il était cordialement exclu, ce qui ne lempêchait pas de savoir lui aussi comment rendre heureuse la princesse de la maison, et gagner sa ration de câlins.

Sil avait été présent à ce moment-là, ils auraient pleuré et se seraient souvenu ensemble. Elga et Andrea se seraient accrochés lun à lautre pour remonter la pente, comme ils lavaient toujours fait dans les heures les plus sombres. Mais il lavait laissée seule. Pour une fois, cest lui qui avait eu le privilège de fuir avec Martina vers un territoire dont on lui avait refusé laccès.

Projetée à des mètres de distance pendant que son mari et sa fille rendaient leur dernier souffle, piégés par les tôles en feu.

«Arrête de te torturer avec les souvenirs. Ferme cette pièce une fois pour toutes et force-toi à aller de lavant.» Beaucoup continuaient à le lui répéter, mais ce nétaient que des mots destinés à glisser comme la pluie sur les fenêtres.

Tu peux te tourner vers lavenir après avoir perdu lhomme que tu aimes, peut-être, mais survivre à un enfant est contre nature.

Les souvenirs, les objets, les petits rituels étaient les seuls éléments auxquels Elga pouvait se raccrocher pour ne pas seffondrer. Confectionner une poupée que Martina aurait aimée, cuisiner un gâteau danniversaire, même si elle ne le mangerait pas, étaient des projets insensés mais suffisants pour sortir du lit et donner du sens à une journée qui, sans cela, nen aurait pas eu.

Au mur, lhorloge sonna neuf coups, masquant la mélodie d Obsession.

La femme sessuya le visage, installa la poupée dans une boîte garnie de velours, rangea son plan de travail et éteignit la stéréo.

Depuis le matin, elle avait gardé le rideau de fer à moitié descendu et affiché un panneau disant Je serai bientôt de retour, consciente quelle ne pourrait recevoir aucun client en cette date particulière. Non quelle en reçût énormément en temps normal; ils lavaient toujours regardée avec un soupçon de méfiance en ville. Aux yeux de la plupart des gens, lhabitude de shabiller en noir, bien avant dêtre en deuil, la musique gothique toujours en fond dans sa boutique et lextrême réalisme de ses créations la faisaient plus passer pour une sorcière que pour une inoffensive artisane. Après la tragédie, les ragots de ceux qui soutenaient quelle avait perdu la tête en avaient remis une couche. Toutefois, ceux qui appréciaient son art et étaient même fascinés ne manquaient pas. Dautre part, la spécificité des poupées reborn se trouvait justement là; le fait quelles ressemblent à de vraies fillettes les rendait à la fois inquiétantes et captivantes.

«Leurs yeux sont comme des miroirs, avait pour habitude de répéter Martina. Elles ne font peur quaux méchants.»

Depuis quelle était seule, elles représentaient pour Elga un point dappui désespéré auquel saccrocher pour ne pas succomber à la douleur. Un substitut inutile bien entendu, mais qui comblait les espaces vides avec un semblant de vie. Elle avait rempli sa maison de ces petites filles à la peau de vinyle et aux yeux de verre et, quoi quen pensent les autres, elles la réconfortaient. Peut-être parce quen prendre soin lui offrait lillusion dexpier en partie sa plus grande faute : celle de ne pas avoir pu sauver sa fille des griffes de la mort.

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