Vraiment?! Et qu'est-ce qui te fait penser ça?
Le fait que j'essaie de m'améliorer, alors que tu ne fais qu'empirer.
Bah, c'est facile de s'améliorer quand on part d'en bas» Il s'interrompit. Merde!
La phrase lui avait échappé. Il avait touché son point faible cette fois: l'estime de soi.
Il entendit son amie retenir sa respiration.
«Pardonne-moi, Lucy, je ne voulais pas être si blessant, vraiment» s'empressa-t-il de dire en posant une main sur son bras.
Elle baissa les yeux sur la coupe qu'elle tenait entre ses doigts, comme si elle contemplait les bulles qui remontaient du fond vers la surface, puis le regarda à nouveau en face, les yeux brillants. «Jusqu'il y a peu, tu ne m'aurais jamais dit une méchanceté de ce genre. Moi peut-être, mais pas toi. Ça ne t'évoque rien?
Sonny soupira.
Ça m'évoque que c'est peut-être mieux d'interrompre cette conversation et de se revoir à un meilleur moment. Je ne suis pas d'humeur aujourd'hui à ce qu'il semble et je m'en tire avec des phrases malheureuses, c'est pour ça que j'aurais préféré que tu m'appelles avant de me faire une surprise. Même si ça me fait plaisir de te voir, il y a des moments où c'est mieux de rester seul. Ça ne veut pas dire que je ne t'aime pas. Il lui sourit.
Lucy lui prit le verre et la bouteille des mains.
Bien! Dans ce cas, la prochaine fois qu'on se reverra, fais en sorte que ce soit toi qui apportes le champagne: je n'arrive pas du tout à imaginer quelle raison tu auras de célébrer quelque chose pour l'instant, mais quoi que ce soit, je serai très contente de la partager avec toi.» Elle tourna les talons et le planta là dans le jardin, près de la fontaine.
Lucy posa la bouteille et les verres sur le bar du salon puis, d'un sourire forcé, salua Louise qui la précéda pour lui ouvrir la porte de la maison. Son sourire s'évanouit quand elle monta en voiture pour laisser à ses yeux la liberté d'exprimer ses émotions par des larmes.
Elle ne savait plus que faire. Ses tentatives pour secouer Sonny de cette forme d'apathie cachée derrière un comportement inadéquat et incohérent avec ce qu'il avait toujours été se révélaient chaque fois inutiles. Il n'était plus lui-même depuis longtemps.
Tout avait commencé quand il avait découvert que sa fiancée, Leen, devenue par après sa femme, l'avait trompé avec Hans. Par la suite, ce déclin s'était poursuivi en assistant à la chute de sa femme dans l'alcoolisme et les jeux de hasard, et avait culminé le jour où sa petite fille avait perdu la vie dans un accident de la route à cause de cette même femme qui, au lieu de la protéger comme aurait dû le faire une mère, l'avait entraînée avec elle dans sa perte.
L'arrivée d'Ester dans la vie de Sonny avait empiré la situation.
Lucy n'était pas capable de faire plus que ce qu'elle faisait pour cet homme. Elle s'était rapprochée de lui parce que, partageant la même peine, ils s'étaient retrouvés à sortir souvent ensemble pour s'aider l'un l'autre à surmonter leur propre crise. Mais Sonny ne voulait ou n'arrivait pas à oublier. Elle n'avait pas oublié qu'elle était amoureuse du frère d'Ester, bien au contraire; mais elle tentait d'y penser le moins possible et d'avancer, sans que le passé la prenne au piège comme un poisson dans un filet.
Jack ne lui avait même pas dit au revoir avant de disparaître de sa vie: il était clair qu'elle ne comptait pas assez pour lui. Pas du tout même!
«Jack, où que tu sois, dit-elle à voix haute. Va te faire foutre!» cria-t-elle en écrasant l'accélérateur du pied.
9
Derrière le bureau, stylo à la main, Loreley appela le médecin et fixa un rendez-vous pour la dernière semaine du mois. Comme le lui avait dit Legrand, il était inutile de se presser, mais elle s'était au moins débarrassée de cette pensée. Elle dessina un gros x" sur le calendrier, pour toujours avoir le jour de la visite sous les yeux, et nota également la date dans l'agenda de son téléphone. Elle ouvrit ensuite son courrier électronique: beaucoup d'emails commerciaux, de publicités, quelques-uns du travail, deux de la banque et le dernier du docteur Jacques Legrand!
Elle cliqua deux fois sur l'en-tête.
Bonjour Mademoiselle Lehmann,
Je me permets de vous écrire pour savoir comment se passe votre convalescence. La blessure à la tête? Et le genou? Gardez le soutien jusqu'à ce qu'il soit complètement dégonflé et que vous ne ressentez plus aucune douleur quand vous pesez de votre poids sur votre jambe.
Je réfléchis à la possibilité de prendre quelques jours de vacances à l'étranger. Qui sait! J'espère que votre offre tient toujours. Jacques Legrand.
Elle sourit. Tout pouvait arriver.
«De bonnes nouvelles?» lui demanda Sarah en entrant dans la pièce.
Loreley leva les yeux de l'ordinateur. La secrétaire l'observait depuis le seuil, un classeur qui semblait plus grand qu'elle, menue et frêle, serré contre la poitrine.
«Qu'est-ce que tu m'apportes?
Sarah baissa le regard sur les dossiers qu'elle tenait à la main.
Oh non. Ils sont pour le patron. J'ai vu que tu souriais et j'ai été curieuse; on te voit rarement le faire ces derniers temps.
Ce n'est pas une bonne période, avoua-t-elle.
Je l'avais compris. Ethan est inquiet pour toi.»
Loreley se sentit scrutée par ces yeux si sombres que l'on avait du mal à distinguer la pupille de l'iris. Quelques instants de silence suivirent.
«Si tu as besoin de moi, je suis, lui dit son amie en réajustant ses grandes lunettes de lecture sur son nez.
Merci, j'y penserai.»
Quand Sarah sortit, Loreley se laissa aller contre le dossier du fauteuil. Vu les propos de la secrétaire, elle soupçonna qu'Ethan était au courant de la situation entre John et elle. Peut-être qu'il savait aussi où il se trouvait. Elle lui extorquerait l'information à tout prix; mais elle devait le surprendre quand il était seul.
Elle eut l'occasion de se trouver en tête à tête avec lui le jour suivant. Il venait d'entrer pour lui montrer l'article dans le New York Times, qui parlait de l'affaire Wallace: l'opinion publique semblait l'avoir déjà condamné, lui infligeant la peine la plus lourde possible, avant même que le procès ne commence.
Loreley secoua la tête en lisant la nouvelle. Si elle le condamnait elle aussi au fond d'elle-même, comment espérer que le jury croie cet homme? C'était à elle de le défendre et elle ne le faisait pas de la bonne façon et dans le bon état d'esprit.
Elle décida qu'elle irait parler à la famille Wallace pour obtenir le plus d'informations possible sur le passé et la personne de Peter. Oui, elle devait creuser dans leur vie.
«Loreley, tu es là? lui demanda Ethan, debout face au bureau.
Elle ferma la page du journal et le lui rendit.
Désolée, j'ai été distraite en lisant l'article.
Je te disais que si tu veux que je t'aide avec cette affaire, je le ferai.
Tu es gentil, mais tu as déjà beaucoup à faire et je veux me débrouiller seule.»
Elle lut dans le regard de l'homme un insistant message d'indulgence, mélangée à de la compassion, qui la mit mal à l'aise. Elle se leva du fauteuil et l'affronta, s'appuyant sur le bord du bureau, les bras croisés.
«Au lieu de me regarder de cette façon, pourquoi tu ne me dis pas ce que tu penses vraiment?
Je ne comprends pas.
Allons, tu sais bien que John a quitté la maison Et tu en connais peut-être même la raison.» Elle lui forçait la main, mais elle n'avait pas le choix si elle voulait lui soutirer quelque chose.