Il tendit la main, prit la carte et lut l'intitulé, haussant un sourcil.
«Vous êtes avocate, donc.
Oui, pénaliste.
Legrand glissa la carte dans sa poche de chemise.
Si je viens à New York, je tiendrai compte de votre offre.» Il prit l'enveloppe blanche placée à côté au dossier des urgences et en sortit une feuille.
«Miss Lehmann, venons-en au point: les hCG sont dans les limites normales, même si elles sont un peu élevées. Vu que votre grossesse n'en est qu'au tout début, vous n'avez pas besoin de courir tout de suite chez le médecin, surtout maintenant que nous avons fait les analyses et qu'elles sont régulières; dans un mois, quand les contrôles de routine commenceront, apportez ceci avec vous. Il lui donna la feuille.
Loreley la rangea de nouveau dans l'enveloppe, qu'elle mit dans son sac.
À vrai dire, j'ai déjà pris un rendez-vous, pour la semaine prochaine. Un peu tôt, je sais, mais je voudrais des réponses à certaines de mes questions.
Si je peux vous aider
Bien sûr que vous pourriez, mais je crains de voler trop de temps à vos patients.
Faisons ceci, lui répondit-il en jetant un coup d'oeil à l'horloge sur le mur. J'ai environ une heure de pause pour le repas. Il redressa son dos et se pencha vers elle. Si vous voulez, nous pouvons parler en mangeant quelque chose: qu'en pensez-vous?
Loreley fit un rapide calcul: il restait environ trois heures avant le départ de l'avion, elle arriverait donc à le prendre si elle ne s'étendait pas trop sur le sujet.
C'est une excellente idée. Si cela vous convient, à moi aussi. Je vous promets d'être concise.»
***Assise dans le siège de l'avion, un verre de thé à la main, Loreley réfléchissait à ce que le docteur Legrand lui avait dit. Le fait qu'elle était tombée enceinte malgré la prise régulière de la pilule pouvait être dû à diverses raisons. Elle avait été malade durant quelques jours le mois précédent et avait vomi plusieurs fois. Le médecin lui avait donc prescrit des anti-infectieux intestinaux: sans parler des analgésiques qu'elle prenait pour le mal de tête. Tout cela pouvait avoir causé une mauvaise absorption des hormones contenues dans la pilule, avec pour conséquence une activité contraceptive insuffisante.
La situation avait un sens maintenant. Mais le faire comprendre à Johnny ne serait pas simple du tout. Méritait-il une explication après son comportement à Paris? À tort ou à raison, il n'aurait pas dû réagir aussi mal et la laisser seule.
Comment faire confiance à un homme qui fuyait au lieu d'affronter la situation?
Elle porta le verre de thé à ses lèvres, mais elle eut un sursaut lors d'une légère secousse de l'avion et un filet de thé se renversa sur son pull.
Bon sang, elle était plus maladroite que d'habitude! Elle s'essuya avec la serviette en papier que l'hôtesse lui avait apportée avec la boisson et ses pensées reprirent où elles s'étaient interrompues.
Ces derniers temps, elle aussi avait eu un comportement similaire: ne s'était-elle pas enfuie, par deux fois, face à Sonny? Et est-ce qu'elle avait eu le courage d'avouer à Johnny ce qu'il s'était passé entre cet homme et elle?
Elle appuya la tête sur le dossier du siège et soupira. Elle devait prendre des décisions importantes: par rapport à sa grossesse, à sa relation avec John et à la question en suspens avec Sonny. Elle ne pouvait pas espérer poursuivre sur cette voie et pointer les autres du doigt. Elle avait souvent entendu dire que les mensonges en attiraient d'autres, jusqu'au moment où on ne sait plus comment les gérer. Et on finit KO!
Loreley tourna le visage vers le hublot, regarda en bas, mais n'arriva pas à apercevoir la terre sous elle.
Il restait encore pas mal de temps avant l'arrivée à l'aéroport JFK, où Davide l'attendrait: il tenait toujours ses promesses. Sur cette pensée et un sourire aux lèvres, elle sombra dans un long et profond sommeil.
Elle fut réveillée par la voix du steward qui informait de l'atterrissage imminent et invitait les passagers à attacher leur ceinture de sécurité. Elle avait vraiment beaucoup dormi! Malgré tout ce qu'elle avait vécu, elle se sentait étrangement sereine en ce moment.
Ses pieds touchèrent le sol américain avec beaucoup de soulagement. Elle supportait difficilement de rester enfermée dans une boîte en métal durant autant de temps: sur ce point, elle ressemblait à John.
Hors de l'aéroport, le choc thermique l'obligea à s'arrêter pour fermer le col de son manteau sur son écharpe et mettre son chapeau. Elle leva les yeux vers le vrombissement de moteur d'un avion: le ciel était bleu foncé, légèrement strié d'orange, preuve que le soleil venait juste de se coucher. Les lumières de l'avion disparurent dans un nuage sombre.
Quelques personnes marchaient rapidement pour s'accaparer les taxis en file le long de la marquise, tandis que d'autres regardaient autour d'eux à la recherche de quelque chose ou quelqu'un. Un peu comme elle qui cherchait son ami Davide, du reste.
Elle le vit sur le trottoir en face. Dès que leurs regards se croisèrent, il sourit et traversa la rue pour venir à sa rencontre, de ses longues jambes arquées qui la faisaient tellement sourire à chaque fois qu'elle s'arrêtait pour les regarder. Elle leva la main pour le saluer, heureuse de l'avoir pour ami. À vrai dire, à l'époque de l'université, quand ils s'amusaient ensemble, elle l'aurait choisi comme futur mari s'il n'y avait pas eu un petit détail: il avait finalement compris qu'il était plus attiré par les hommes.
***Rentrer dans une maison vide n'est jamais agréable, mais pour Loreley ce fut comme recevoir un coup de poing à l'estomac. Non seulement John n'était pas là, comme elle s'en doutait, mais il avait emporté la majeure partie de ses affaires.
Le dressing avait été à moitié vidé: il n'avait laissé que ses tenues d'été. Il n'y avait plus rien à lui dans le meuble de la salle de bain, à part un rasoir jetable usagé désormais inutilisable. Elle contrôla tout l'appartement de fond en comble, ouvrit les fenêtres pour aérer bien qu'il fasse un froid de canard à l'extérieur. Elle chercha d'autres indices qui pourraient suggérer les actes de John en son absence, mais il y avait bien peu à comprendre: il ne reviendrait que pour prendre le reste de ses affaires.
Elle vida son trolley, mit les vêtements sales à la lessive et prit une douche sans toucher ses cheveux, pour éviter de mouiller le pansement. Elle avait encore trois jours devant elle avant d'aller voir le médecin pour faire enlever les points. Elle jeta un oeil à son genou et constata que le gonflement avait diminué et que l'asymétrie entre le droit et le gauche était à peine visible. La douleur se faisait sentir si elle appuyait le doigt sur la rotule, sinon elle ne percevait qu'une sensation de chaleur et d'engourdissement de la peau.
Au lieu de se rhabiller, elle enfila une robe de chambre en épais satin rouge foncé et se jeta sur le canapé pour se reposer.
Tout semblait inchangé dans le séjour: la petite table ronde de bois blanc, avec dessus un plateau couvert de bougies parfumées de formes variées; la vitrine pleine de verres en cristal et d'assiettes d'époque victorienne; les étagères avec leurs livres et bibelots, achetés sur divers marchés d'antiquités; un miroir au contour en bois décoré par découpage; la cheminée en briques aux parois de verre et le meuble-bar avec ses hauts tabourets.
Chaque chose était parfaite et à sa place habituelle.
Mais elle commençait à ressentir un vague malaise, un sentiment de non-appartenance. Elle avait loué ce loft avec John et, sans lui pour le remplir de sa présence, elle ne le considérait plus comme le sien. Ils se partageaient la moitié des charges, mais elle devrait maintenant tout payer et elle n'était pas certaine de pouvoir se le permettre sans entamer le fonds fiduciaire que son père lui avait donné quand elle avait quitté la maison quelques années plus tôt.