Marco Lupis - Entretiens Du Siècle Court стр 3.

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Pour moi, l’interview est aussi beaucoup plus ; c’est une confrontation psychologique, une séance de psychanalyse. Interviewé et intervieweur y sont tous deux impliqués.

Comme me le dit plus tard le marquis de Vilallonga, dans l’un des entretiens de cet ouvrage, « le secret est tout entier dans cet état de grâce qui se crée quand le journaliste cesse de l’être et devient un ami à qui on raconte tout. Même ce qu’on ne raconte pas à un journaliste ».

L’interview est la mise en pratique de l’art socratique de la maïeutique, la capacité du journaliste à tirer de l’interviewé ses pensées les plus sincères, à le pousser à baisser sa garde, à le surprendre pendant qu’il raconte et se raconte sans fard.

Cette alchimie particulière ne se crée pas toujours. Mais quand cela arrive, c’est une belle interview. Quelque chose de plus qu’un échange stérile d’attaques et de parades, rien à voir avec la vanité inutile du journaliste qui ne vise qu’à obtenir un scoop .

En plus de trente ans d’activité journalistique, j’ai rencontré des célébrités, des chefs d’État, des Premiers ministres, des leaders religieux et politiques. Mais je dois reconnaître que je n’ai pas ressenti une véritable forme d’empathie avec eux.

En vertu de ma formation culturelle et de mes origines familiales, j’aurais dû me sentir de leur côté, du côté de celles et ceux qui exercent le pouvoir, qui ont le pouvoir de décider du destin de millions de personnes, de leur vie et souvent de leur mort. Parfois du devenir de peuples entiers.

Mais cela ne s’est jamais passé comme ça. Je n’ai éprouvé d’empathie, de courant de sympathie, de frisson et d’excitation qu’en rencontrant les rebelles, les lutteurs, ceux qui étaient prêts –et qui en donnaient la preuve- à sacrifier leur existence, souvent tranquille et aisée, pour leurs idéaux.

Qu’il s’agisse d’un chef révolutionnaire en passe-montagne, rencontré dans une cabane de la jungle mexicaine, ou d’une des ces mères courageuses qui, digne et opiniâtre, essayait de connaître la vérité sur la fin horrible de ses enfants, desaparecidos dans le Chili de Pinochet.

Ce sont eux qui m’ont semblé être les véritables grands de ce monde. Eux qui m’ont semblé avoir le pouvoir véritable.

Grotteria, août 2017

*****

Les entretiens rassemblés dans ce livre ont été publiés entre 1993 et 2006 dans des titres de presse pour lesquels j’ai travaillé au fil du temps, comme envoyé ou correspondant, principalement en Amérique latine et en Extrême-Orient : les hebdomadaires Panorama et L’Espresso , les quotidiens Il Tempo , Il Corriere della Sera et La Repubblica ; certains ont été faits pour la rai .

J’ai volontairement conservé la forme initiale dans laquelle ils ont été rédigés à l’origine, parfois selon l’alternance classique de questions/réponses, et d’autres fois dans la structure plus informelle de l’entretien au fil de l’eau .

J’ai choisi de faire précéder chaque entretien d’une introduction qui permette d’aider le lecteur à s’orienter dans l’espace et dans l’époque à laquelle ils ont été réalisés.

1

Sous-commandant Marcos

Venceremos ! (tôt ou tard)

Chiapas, Mexique, San Cristobal de Las Casas, Hôtel Flamboyant . Le message a été glissé sous la porte de ma chambre :

Départ aujourd’hui pour la Selva.

Rendez-vous à la réception à 19h00.

Prendre des chaussures de marche, une couverture,

un sac à dos et des boîtes de conserve.

Je n’ai qu’une heure et demie pour réunir le tout. Ma destination se trouve au cœur de la jungle. À la frontière du Mexique et du Guatemala, où commence la Selva Lacandona, l’un des rares endroits encore inexplorés au monde. Actuellement, il n’y a qu’un “tour-operator”, très particulier, qui puisse me faire arriver jusque là-bas. Il se fait appeler sous-commandant Marcos et la Selva Lacandona est son dernier refuge.

*****

De toute ma carrière, ce dont je reste aujourd’hui encore le plus fier est sans aucun doute cette rencontre d’avril 1995 avec le sous-commandant Marcos dans la jungle Lacandona du Chiapas, pour le supplément hebdomadaire Sette du Corriere della Sera. Première interview par un journaliste italien. Je ne suis pas sûr, en fait, que le sympathique et omniprésent Gianni Minà [5] n’y soit pas allé avant moi ; mais à coup sûr bien avant que le mythique sous-commandant, dans son éternel passe-montagne noir, n’ait mis sur pied dans les années suivantes une espèce d’authentique “service de presse guérillero” qui escortait vers son refuge de la jungle des journalistes du monde entier.

Cela faisait presque deux semaines que, dans les derniers jours de mars 1995, l’avion en provenance de Ciudad de Mexico avait atterri sur le petit aéroport militaire de Tuxla Gutierrez, la capitale du Chiapas. Sur la piste roulaient des avions frappés de l’emblème de l’armée mexicaine et des véhicules militaires stationnaient, menaçants, en bord de piste. Trois millions d’habitants vivaient sur ce territoire grand comme un tiers de l’Italie. La plupart d’entre eux ont du sang indien dans les veines : deux cent cinquante mille descendent directement des Mayas.

Je me trouvais dans l’une des zones les plus pauvres du monde : quatre-vingt-dix pour cent des Indiens n’ont pas accès à l’eau potable. Soixante-trois pour cent sont analphabètes.

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