Le général, élégant, semblant très sûr de lui et portant une moustache impeccablement entretenue, semblait être en très bonne forme pour un quinquagénaire, contrairement à beaucoup de ses homologues. Ses yeux noirs perçants étaient rivés sur Tess.
« Commandant, vous semblez avoir besoin d'un bain et de vêtements propres, et peut-être quelque chose à manger. Non ? » Le général semblait afficher une sollicitude sincère.
« Monsieur, je voudrais qu'on porte d'abord assistance à mes hommes. Et trois d'entre eux sont blessés et ont besoin de soins médicaux. » L'Irakien leva les sourcils.
« Vos hommes, vous avez dit. Vous écoutent-ils ? Reçoivent-ils leurs ordres dâune femme ? »
Tess se força à rester calme. « Général, vous semblez avoir reçu une instruction occidentale. Vous devriez savoir que les forces de la Coalition acceptent les femmes comme soldats et officiers.
â Ah oui ! Je pensais qu'ils utilisaient les femmes en tant que secrétaires et cuisinières, pas comme pilotes d'hélicoptère ou commandants. Peu importe. En fait, je voudrais en savoir plus sur les femmes guerrières. C'est un concept fascinant. Nous allons aborder la question dâune manière civilisée. Veuillez vous joindre à moi pour le dîner après vous être rafraîchie, comme ils disent. » Tess voyait les problèmes se profiler.
« Général, en tout respect, je tiens à prendre soin de mes hommes en premier. »
Pour la première fois, le Général al-Saadi montra de l'agacement. « On prendra soin de vos hommes après leur interrogatoire. » Au même moment, l'un des hommes de main apparut et chuchota quelque chose à l'oreille du général. L'officier se dirigea vers le bureau, saisit une petite cloche et l'agita brièvement. Immédiatement, une femme attirante apparut, vêtue à l'occidentale d'une longue robe de couleur sombre. « Veillez à ce que le commandant ait accès à un bain et des vêtements. Dites au cuisinier que je veux un dîner pour deux. » Le général retourna à ses papiers sur le bureau, signifiant avec dédain d'un geste de la main qu'il en avait fini avec tout le monde autour de lui.
La femme guida doucement Tess vers une porte latérale de l'immense salle. « Suivez-moi, s'il vous plaît. » Tess poussa un souffle qu'elle n'avait pas eu conscience d'avoir retenu. Elle n'avait pas entendu ce que le laquais avait dit au général pour que celui-ci souhaitât être seul, mais elle espérait trouver un moyen de gagner un peu de temps. La femme l'emmena à une luxueuse chambre à coucher. « Je vous ai préparé un bain, » lui faisant signe vers un endroit devant et sur la gauche. Tess, ressentant maintenant les effets de l'épreuve, courut vers les toilettes et se sentit mal.
'Tess, réfléchis' se dit-elle à elle-même. Toutes ces années d'entraînement et de préparation devaient bien enfin servir à quelque chose.
La femme réapparut avec plusieurs serviettes de bain dans ses bras. Au dehors de la fenêtre, Tess pouvait entendre des quolibets grivois des membres de la garde.
« Chut, je suis Kejal Malek. Nous ne devons pas faire de bruit. » Son anglais n'était que légèrement teinté d'accent.
« Vous parlez anglais ? Où est-ce que je me trouve ? Qui êtes-vous ? Je suis le Commandant Tess...
â Je sais qui vous êtes, Commandant. Je ne suis pas votre ennemie ; je veux vous aider. » Kejal commença à retirer l'uniforme sale de Tess. Tess était si fatiguée quâelle ne résista pas. Une fois déshabillée, elle se dirigea vers une grande baignoire encastrée, carrelée de dessins géométriques, puis se laissa lentement glisser dans l'eau brûlante. Le plaisir de ce bain était presque inconcevable. Elle s'efforça de ne pas se laisser aller, de penser à ses hommes qui étaient loin de vivre un tel luxe. Encore méfiante de cette femme qui s'occupait d'elle, elle essaya de se renseigner le mieux possible sur l'endroit où elle se trouvait.
« Comment avez-vous appris l'anglais ? J'aurais pu vous prendre pour un interrogateur mais il est rare que ces porcs donnent un rôle si important à une femme.
â Vous avez raison ; ce sont des porcs. Je suis Kurde. Le général m'a amenée ici il y a cinq ans après que ses soldats aient tué mon mari et mes enfants à l'arme chimique. Ne pensez pas un seul instant quâils soient autre chose que des assassins. Ils abuseront de vous et si vous avez de la chance, ils vous tueront. Si vous êtes moins chanceuse, ils vous laisseront vivre. » Ce que Tess lut dans son regard lui indiqua que rester en vie n'avait pas été une aubaine pour cette femme.
Kejal quitta la salle de bain, laissant à Tess un peu d'intimité. Sur les bords de la baignoire, divers articles de toilette coûteux avaient été disposés pour elle. Elle s'en servit immédiatement, surtout du shampoing et du gel douche. 'C'est si étrange. Le monde est en flammes, je suis prisonnière et me voilà en train de profiter d'un bain chaud.â Elle voulait tant s'attarder et se prélasser dans l'eau chaude mais se hâta de finir, prise d'un sentiment d'effroi et de culpabilité.
Elle se leva, et la femme apparut presque instantanément, l'enveloppant d'une grande serviette moelleuse. Au moins, observa Tess, ce n'est pas tout le monde qui est pauvre et grossier dans ce pays. Quelqu'un dans cette maison affectionne les produits de qualité.
« Vous devez vous reposer », suggéra sa gardienne. « J'ai apporté quelques robes, choisissez-en une. Vous trouverez d'excellents produits cosmétiques sur le haut de la commode. Appelez-moi quand vous serez prête. »
Tess inspecta rapidement la luxueuse chambre à coucher qui apparemment appartenait à une riche dame. 'Je me demande qui et où elle est,' murmura-t-elle pour elle-même. Probablement la femme du général.
Elle choisit des sous-vêtements de l'une des commodes, enfila un doux et moelleux peignoir de coton, et poursuivit son inspection. En dépit du luxe, câétait un endroit hautement sécurisé. Il n'y avait qu'une seule sortie, gardée par au moins deux soldats. Toutes les fenêtres avaient des barreaux ornementaux. 'Désolée de le dire mais je suis coincée,' conclut-elle.
Trois robes du soir de haute couture, vraisemblablement française, étaient suspendues. Elles semblaient conçues pour mettre en valeur le corps de celle qui les porterait. Elles étaient à la fois splendides et effrayantes. Une guerre fait rage à l'extérieur et je dois porter une robe de soirée. Mon Dieu, quelle est cette folie ?
Son énergie déclinait rapidement ; elle mordit avidement dans une pomme qu'elle prit dans un panier de fruits. Elle se sentit un peu mieux après quelques minutes ; rien de tel que du fructose pour vous requinquer. Ne voyant aucun moyen de sortir, elle prit le conseil de Kejal et s'allongea sur l'un des somptueux canapés. Elle ferma les yeux et aurait bien aimé dormir un peu, mais elle n'osa pas. Malgré tout et contre son gré, l'épuisement l'emporta et elle s'assoupit.
Kejal la réveilla doucement. Tess sauta sur ses pieds, se mettant par réflexe en position de défense.
« Tout va bien ! C'est moi. » La femme avait levé les bras pour se protéger de possibles coups. Tess se rendit compte qu'elle s'était endormie.
« Je suis désolée, Kejal, j'étais dans un sommeil profond. »