Mai éplucha son orange, remit la peau dans sa boîte-déjeuner, toujours fastidieuse, sûrement dû aux gènes de sa mère.
- Je suis habituée aux hommes qui agissent comme des connards. Il ne voulait pas écouter.
- Il le fera. Il ta vu à la télé. On ta tous vu.
- Ce nest pas la même chose, non ? Dix secondes démotions une fois par mois. Le reste du temps, cest atteindre ses objectifs et réciter des lignes. Il navait pas aussi tort que ça.
Lucy simmobilisa, un sandwich à mi-chemin de sa bouche. Elle fronça les sourcils, puis se tourna vers Mai.
- Ne le laisse pas tentendre dire ça. Ne montre aucune faiblesse ou il lutilisera pour nous abattre.
- Que veux-tu dire ?
- Il tutilisera comme un exemple, se disputera avec toi au sujet de ta performance pour se mettre en colère, puis sen prendre à nous. Je lai déjà vécu.
- Et si je veux de laide ?
- Demande à lun de nous. Jai déjà travaillé avec lui. Jeremy et Linda aussi. On sait ce quil veut.
- Si cest un bâtard, pourquoi tu travailles à nouveau avec lui ?
Lucy mâcha et avala :
- A cause des critiques, idiote. Ses acteurs reçoivent toujours de bonnes critiques. On se bat avec lui comme des chats, mais on obtient tous de bonnes critiques.
Mai réfléchissait en regardant droit devant elle.
- Je peux vivre avec ça. Je dois le faire.
- Cest un risque pour toi.
- Tu peux le dire. La première fois sur une scène réelle depuis lécole.
- Tu as été courageuse de laisser tomber ton travail à la télévision. Jaurais donné mon sein gauche pour ça.
- Tu peux ten passer, mais pas moi.
Lucy sourit.
- Cest pratique parfois. Avec les bites que tu rencontres dans ce métier !
Les deux acteurs les plus âgés se levèrent au bout de la salle et sortirent pour fumer. Lun deux se retourna et mima lui tirer dessus avec le pouce. Elle ne savait pas sil était ironiquement favorable ou sil voulait dire quelle allait se faire virer.
Un ancien acteur trouvé étranglé par lattache de soutien-gorge dune actriceprometteuse. Ça pourrait arriver
Lucy dévissa le bouchon de sa bouteille de smoothie.
- Pourquoi tu fais ça ? demanda-t-elle.
- Déjeuner ?
- Non, imbécile. Jouer une vieille pièce pour un théâtre sur le point de fermer ses portes. Avec un directeur coincé dans les années soixante.
- À tentendre, ça donne vraiment envie.
- Eh bien, exactement. Je veux dire, je suis contente et tout et je suis sûre quon aura un grand public parce que tu es dedans. Mais tu dois ladmettre que cest une régression par rapport au prime-time télévisé.
Mai en avait souvent parlé avec Eric et sa mère, qui tous deux voyaient que ça ne valait pas le coup de prendre des risques.
- Je voulais maméliorer. Je mennuyais. Souvent on ouvre grands les yeux et on se dit, Tu ne penses pas ! ou, Je ne te crois pas !
- Je dis simplement que cest une voie difficile à prendre. Ils seront prêts avec des couteaux. Tu sais comment est la presse !
- Je peux tenir un combat, dit Mai. De toute façon, ils ont toujours été de mon côté depuis deux ans. Ils ne vont pas se retourner contre moi aussi vite.
Lucy vissa le bouchon de sa bouteille vide et, étrangement, la lança violemment vers Jeremy, qui leva son épaule pour se protéger et lui sourit.
- Jespère que ton agent est bon à corriger les critiques, dit-elle.
- Je continue à penser quil est bon pour quelque chose.
Comme elle lavait prévu, laprès-midi ne sétait pas mieux déroulée. Pedro passa la scène douverture pour que les autres acteurs aient une chance de faire quelque chose. Ils avaient besoin de lopportunité de se la péter, après tout. Mais, vers la fin de la journée, il renvoya tout le monde à lexception de Mai et de Jeremy. Il les réunit, les fit sasseoir sur des chaises parallèles comme un conseiller de mariage, et se mit à parler dune voix à la fois onctueuse et condescendante. Il exposa lentement son point de vue sur la relation entre les deux personnages, donnant à chacun une histoire qui nétait pas précisée dans la pièce et, Mai pensa, quil les avait inventées pour servir ses propres objectifs.
En écoutant les idées de Pedro, Mai se demandait si elle sétait trompée. Elle était allée directement de lécole à un rôle télévisé. Elle avait appris le métier sans formation réelle, aucune technique. Des conseils des directeurs et des membres anciens du casting, ainsi que plusieurs cours sur place. Et bien sûr sa mère. Geraldine Rose. Un jour célèbre, différents premiers rôles dans quelques films britanniques avant que son mari, le père de Mai, ne tombe raide mort au neuvième trou, trou coudé au par cinq. Elle a dû arrêter pour élever Mai et son frère aîné, Jake. Elle navait pas à démissionner, en fait mais elle voulait le faire. Elle narrivait pas à supporter la proximité dautres personnes, dautres acteurs. Toute cette commisération et cette pitié.
Mai ne pensait pas sérieusement au métier dacteur jusquau jour où elle remporta le rôle principal dans la version scolaire de A Streetcar Named Desire jouant le rôle Blanche Dubois à lâge de dix-sept ans. Puis elle performa au National Student Drama Festival à Scarborough où des agents lavaient repérée et sétaient battu pour elle jusquau jour où elle opta pour Eric, que sa mère connaissait depuis sa jeunesse. Ensuite deux ans dans Amberside Tarrace, à stagner.
La plupart de ce que Pedro lui disait semblait être des idioties, mais elle nen était pas sûre. On lui avait dit quelle avait toujours lair confiant, mais que malgré son air de certitude une chose lui manquait peut-être.
Elle recentra son attention dans la pièce, pendant que Pedro disait quelque chose à Jeremy sur le processus créatif. Le personnage de Jeremy était un jeune dramaturge qui avait écrit la pièce dans laquelle le personnage de Mai, une fille de la campagne sans expérience, avait le premier rôle. Pedro parlait avec la ferveur dun évangéliste, comme si lui aussi avait été un jour un jeune dramaturge ayant entreprenant une vie théâtrale. Peut-être que cétait vrai.
- Alors, mes choux, essayons encore une fois. Noubliez rien de ce que je vous ai dit. La jeunesse, linnocence, le désir de montrer au monde quune nouvelle forme artistique est née ce soir, sur cette scène.
Mai et Jeremy déplacèrent leurs chaises pour quils soient face à face, puis jouèrent le début de la scène.
Cela dura trente secondes.
- Arrêtez !
Ils se retournèrent pour voir la main de Petro en lair comme un agent de la circulation.
- Je suis désolé. Je nen peux plus. Rentrez chez vous et réfléchissez sérieusement à ce que vous avez fait aujourdhui. Peut-être quon aura de meilleures idées demain.
Il pencha son poids vers lavant à partir de la taille comme sil allait vomir sur le sol. Puis avec un soupir, il posa ses deux mains sur ses genoux et se poussa pour se relever en se retournant et séloignant sans un mot de plus.
Lorsquil quitta la pièce, Jeremy dit :
- Branleur !
Mai ramassa ses affaires.
- Il a encore du chemin à faire avant datteindre le niveau de branleur. Il est encore au stade de connard.